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Mustapha Chouiki est consultant en urbanisme et en aménagement et ancien professeur à l’Université de Casablanca. Il a dirigé de nombreuses recherches et a écrit de nombreux ouvrages sur la ville, l’habitat et l’urbanisme au Maroc. Son dernier ouvrage, objet de la présente recension, est composé d’une introduction, de trois parties de trois chapitres chacune, d’une conclusion et de nombreuses annexes.

L’auteur établit le bilan d’un siècle d’urbanisme, à travers une série d’analyses et de lectures, pour enfin explorer les perspectives d’avenir de la ville marocaine. Le contexte est notamment lié à la commémoration du centenaire de la loi de 1914, la première sur l’urbanisme au Maroc, mais également au fait d’un Maroc en quête d’amélioration de son image de marque. En effet, leur pays ayant été épargné de l’instabilité qui a touché la région (Afrique du Nord et Moyen-Orient) et convoité par les investissements directs étrangers (IDE), les pouvoirs publics marocains sont de plus en plus conscients de la nécessité d’assainir l’urbanisme.

Dans les deux premières parties et les deux premiers chapitres de la troisième partie du livre, l’auteur explique le rôle qu’a joué l’urbanisme au Maroc au cours des 100 dernières années. L’analyse, plus ou moins bien documentée, est de trois types : chronologique, sectorielle et synthétique. Pour Chouiki, l’urbanisme constitue un vecteur de changements assez déterminant pour le devenir du pays, mais également un vecteur de résistance et d’inertie, à l’origine de l’apparition d’un certain nombre de problèmes urbains.

Dans le dernier chapitre de la troisième partie et dans la conclusion, l’auteur propose un nouvel urbanisme, à vision stratégique, pour une ville plus conforme aux normes internationales. Il donne certains détails sur les performances à atteindre et la manière d’accomplir un urbanisme intégrateur, fédérateur et partagé. S’adressant aux décideurs, il propose un certain nombre de réformes à entreprendre.

Mustapha Chouiki met particulièrement en évidence le lien qui s’est formé, il y a un siècle, entre urbanisme et modernisation, de même que la nécessité de valoriser ce lien pour baliser le chemin du développement futur du pays et dépasser les obstacles du présent. Pour lui, les signes actuels de modernisation ne sont pas fiables (frustrations, indigence urbaine, faible mobilité sociale, etc.). « Le Maroc vit au rythme d’une urbanisation sans modernisation certaine et globale », écrit-il (p. 200).

L’ouvrage traite d’une manière remarquable les développements en matière d’urbanisation sous l’angle des continuités et ruptures. Dans le cadre de ses analyses, l’auteur trouve une « prééminence de la continuité » (p. 131) ou encore que les « changements s’opèrent toujours dans la continuité [et que] même la décolonisation du Maroc n’a pas pu ébranler cette continuité » (p. 149). En effet, les ruptures introduites par l’urbanisme colonial n’ont pas été voulues totales et profondes.

Pour briser l’étau de la crise due aux inaltérables continuités, l’auteur propose, dans le dernier chapitre, le concept de « rupture positive » (p. 188). Une telle rupture permettra de ne plus recourir aux solutions à caractère conjoncturel et de mettre en place  :

  • une vision stratégique de la ville marocaine de demain : modernisation du profil urbain, pour une ville inclusive, compétitive, frugale, résiliente, intelligente, humanisée ;

  • un renouvellement de l’urbanisme : globalité, cohérence et transversalité de la stratégie, plus grande performance et réforme des codes et règlements.

Par ailleurs, l’auteur reconnaît la modestie de son ouvrage par rapport aux objectifs imposés par la problématique ; il reconnaît également que l’incursion dans tout un siècle d’urbanisme et d’urbanisation est rapide (p. 9). Dans le même sens, il ne prétend pas avoir mené une recherche exhaustive (p. 195) et admet que le champ investi est inépuisable. En conclusion, il énonce, sous forme de questions ouvertes, des pistes de recherche pour l’avenir. En effet, l’aspect concis et synthétique du texte nous pousse à espérer que cet ouvrage soit suivi par d’autres. Écrits par l’auteur ou par d’autres chercheurs, ils auront l’avantage d’enrichir le « nouveau discours » sur la ville marocaine.

Les limites de l’ouvrage résident dans le fait que le texte est densément fourni en données et informations qui le rendent difficilement lisible pour un public peu initié. Seulement, cette démarche foncièrement synthétique a également constitué un atout. Elle a permis d’analyser le développement urbain et d’expliquer les facteurs ayant présidé aux évolutions récentes du paysage urbain et de l’urbanisme marocains. Et conformément à sa finalité, la démarche a permis d’interpeller les décideurs pour les inciter à rompre avec les pratiques du passé en leur fournissant quelques pistes innovantes à suivre.

Enfin, il y a lieu de rappeler que le Maroc (ancien empire chérifien) a été le dernier pays d’Afrique du Nord à tomber sous la domination européenne, en 1912, et ce, notamment en raison d’une importante capacité de résilience politique, socioculturelle et spatiale urbaine. Le passage tardif sous protectorat principalement français a eu entre autres pour conséquences une « modernisation » plus élaborée que celle subie par d’autres colonies françaises, plus anciennes, et avec moins de traumatismes pour la population et ses structures sociopolitiques. De ce fait, le Maroc est, encore aujourd’hui, parmi les pays de la région qui maintiennent des rapports relativement apaisés, dans le cadre d’une culture duale : traditionnelle et moderne. Le pays pourrait donc, à l’avenir, constituer un modèle en matière de développement, en général, et urbain en particulier, notamment à travers des formes d’alternance entre tradition et modernité, entre « continuité » et « ruptures positives ».

Le livre constitue indéniablement une contribution à la recherche urbaine marocaine contemporaine. L’ouvrage est intéressant à lire pour les chercheurs, les praticiens, les acteurs administratifs et politiques, pour ceux qui interviennent comme pour ceux qui devront intervenir à l’avenir en matière d’urbanisme et d’urbanisation. Je pense notamment aux étudiants en aménagement, urbanisme et sciences politiques. L’ouvrage est d’une utilité certaine dans le contexte marocain, mais également dans les contextes proches des pays en voie de développement : maghrébins, arabes et africains.