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À une époque où scientifiques et explorateurs européens cherchaient un passage vers l’Asie, le géographe et océanographe August Petermann (1822-1878), qui ne croyait pas à ce passage du Nord-Ouest, cherchait plutôt une route via le pôle Nord. Petermann est l’homme qui stimule et encourage les explorateurs « terrain » à qui il recommande l’emploi du navire plutôt que du traîneau pour l’exploration polaire, estimant, par déduction, que les bouts du monde sont avant tout constitués de mers.

Ardent défenseur de l’idée d’un océan ouvert au pôle Nord, Petermann naviguait, pour ainsi dire, à contre courant des autres scientifiques et des explorateurs. Sa théorie se développait en deux points : pour atteindre le pôle, ce n’était pas par le détroit de Smith qu’il fallait passer, mais plutôt par la côte est du Groenland, où il estimait que le courant chaud de la dérive nord atlantique allait réchauffer les eaux polaires. C’est malheureusement à cette théorie partiellement erronée et à son obstination à défendre ce point de vue – qui ne sera pas sans engendrer des tragédies – qu’est lié son souvenir. Déçu par l’arrivée de la géographie humaine, à partir des années 1870, Pertermann sombre dans la déprime et connaît une fin tragique à 56 ans. Alors qui’il a été relégué aux oubliettes par son public et ses collègues, la géographie contemporaine reconnaît sa contribution sous-estimée au développement de la cartographie moderne et à l’exploration polaire.

Essayiste, Petermann a dessiné et publié un nombre important de cartes de l’Arctique et de l’Antarctique, sans jamais y avoir mis les pieds, son talent étant plutôt lié à l’interprétation des données des autres. Il utilisait la carte comme d’autres employaient l’essai pour faire progresser les idées à partir des données des explorateurs. Il superposait souvent aux tracés des nouvelles régions explorées par les navigateurs une carte de l’Allemagne, contribuant, par la comparaison des vastes étendues recensées, à faire comprendre à ses lecteurs le mérite des aventuriers de la géographie. Décrié par ces derniers comme un explorateur sur papier seulement, Petermann a consacré sa vie à prouver ses théories, la plupart fondées.

C’est avec brio que Felsch raconte le récit de la carrière de l’exploration arctique de Petermann. Felsch maîtrise la synthèse (les 24 chapitres ne font que quelques pages en moyenne) sans tomber dans les détours trop détaillés des récits historiques. Sa plume est tout à fait originale. Il abandonne le style sec et détaché de la littérature scientifique habituelle pour emprunter à l’enquête policière et au roman d’aventure juste assez de couleur pour garder le lecteur accroché, sans pour autant sacrifier la rigueur d’une étude bien soutenue.

En plus d’une analyse des hypothèses de Petermann, Felsch documente le travail du chercheur et illustre comment l’étude scientifique n’est jamais entièrement déconnectée d’un contexte social et politique. Le lecteur découvre ainsi l’envers du décor du monde de la recherche, qui n’a somme toute pas beaucoup changé depuis l’époque de Petermann.