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On a beaucoup écrit au sujet du smart growth et du nouvel urbanisme, deux mouvements majeurs aujourd’hui en aménagement. Il se dégage de la consultation de cette littérature que les positions prises par les auteurs participent le plus souvent à un débat fortement polarisé entre ceux qui idéalisent ces mouvements et ceux qui les rejettent complètement. La présente étude vise d’abord à mettre en perspective une appréciation du smart growth et du nouvel urbanisme à travers une revue de la littérature récente. Cela nous amènera, après avoir défini les mouvements en question et relevé tant leurs similitudes que leurs distinctions, à évoquer les principales critiques qui leur sont adressées et questionner leur légitimité. Nous présenterons ensuite un bref aperçu de la progression des deux mouvements au Canada, notamment au sein des organismes publics. Pour terminer, nous préciserons les enjeux majeurs et les conditions nécessaires à un développement urbain plus viable.

Smart growth et nouvel urbanisme : définitions et origines

Le smart growth est avant tout un concept dont la définition courante est si proche du concept de développement urbain durable qu’il s’agit ni plus ni moins d’une appellation ou d’une version nord-américaine de ce dernier (Lewis et al., 2002 ; O’Neil, 1999 ; Smart Growth Network, 2005). Le smart growth tire son origine des théories de la gestion de l’urbanisation des années 1960 et a évolué vers sa forme actuelle dans la foulée du paradigme du développement durable à la fin des années 1980 (Gillham, 2002).

D’ailleurs, à l’instar de l’idée de développement durable, celle de smart growth a reçu un accueil favorable au sein de nombreuses organisations qui, il est vrai, l’interprètent souvent différemment (Gillham, 2002 ; O’Neil, 1999). Malgré cette situation qui peut malheureusement rendre le concept ambigu et même le dénaturer, le smart growth, dans son acceptation et sa définition les plus courantes, peut être identifié à une série de principes d’aménagement et de développement qui visent essentiellement la préservation des ressources (naturelles et financières) ainsi que la réduction de la ségrégation spatiale sous ses diverses formes (fonctionnelles, sociales, etc.) par la priorité donnée au redéveloppement urbain ; il s’oppose ainsi fondamentalement à l’étalement urbain (Gillham, 2002 ; Lewis et al., 2002 ; Smart Growth Network, 2005).

De concept, le smart growth est devenu un véritable mouvement, car il connaît une popularité grandissante et une diffusion rapide en Amérique du Nord, particulièrement aux États-Unis. Un réseau national, le Smart Growth Network (SGN), fut créé en 1996 par l’Agence fédérale de la protection de l’environnement (EPA) et ses partenaires, et un nombre croissant d’acteurs publics, de tous les paliers, mettent désormais de l’avant des politiques basées sur le smart growth (Garde, 2004 ; O’Neil, 1999). Au Canada, le smart growth gagne également en popularité (New Urban News, 2001 ; Tomalty, 2003). Le premier groupe du genre à avoir vu le jour est Smart Growth BC, et une première coalition nationale comprenant principalement des organismes non gouvernementaux existe depuis 2003.

Tout comme le smart growth, le nouvel urbanisme est fondamentalement opposé au type de développement périurbain prédominant en Amérique du Nord depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, développement qui favorise l’étalement urbain. Il s’inscrit lui aussi, en théorie, dans le paradigme global du développement urbain durable et cherche à réformer notre mode actuel de planification et de développement de la ville.

Les définitions du nouvel urbanisme peuvent varier. On parle parfois, au sens large, d’une approche en urbanisme ou d’une « philosophie d’aménagement » (Falconer Al-Hindi et Till, 2001 ; Marshall, 2000). Mais la définition de loin la plus courante le désigne comme étant avant tout un mouvement en aménagement et en design urbain ; mouvement qui est le plus souvent associé à un groupe de professionnels réuni au sein du Congress for the New Urbanism, basé aux États-Unis et fondé au début des années 1990. On parle aussi du nouvel urbanisme comme étant le plus important mouvement en urbanisme actuellement (et depuis longtemps), mouvement qui a à tout le moins contribué à alimenter et à réactualiser les débats autour de la question de l’étalement et de notre modèle de développement urbain. Il est à noter que les principaux chefs de file du mouvement, sur lesquels nous reviendrons plus loin, ont eux-mêmes grandement contribué à la diffusion et à la popularisation de leurs idées en publiant un nombre important d’articles et d’ouvrages, dont certains peuvent être considérés comme de véritables références pour le mouvement (par exemple: Calthorpe, 1993 ; Calthorpe et Fulton, 2001 ; Duany et Plater-Zyberk, 1991 ; Duany et al., 2000 ; Katz, 1994 ; Leccese et McCormick, 2000).

Le nouvel urbanisme est en fait l’appellation la plus récente du néotraditionalisme. Cette approche en architecture et urbanisme, initiée au début des années 1980, vise à recréer les qualités et les attributs des types de développement urbain traditionnels qui prévalaient encore en Amérique du Nord au début du XXe siècle. Le néotraditionalisme serait lui-même issu du mouvement de la préservation du patrimoine bâti des années 1970 (Falconer Al-Hindi et Till, 2001). Certains associent également le nouvel urbanisme à des mouvements plus anciens, particulièrement ceux qui ont voulu réformer les développements en périphérie des agglomérations : les mouvements américains des villes nouvelles des années 1960 et 1970 et des cités-jardins des années 1920 et 1930 (Fulton, 1996 ; Marshall, 2000).

Globalement, deux grands objectifs pourraient être associés au nouvel urbanisme selon Fulton (1996): (re)créer des collectivités qui offrent non seulement convivialité, interaction sociale et sentiment d’appartenance (sense of community), mais aussi des environnements plus favorables à la marche et aux transports en commun. Pour ce faire, le mouvement s’appuie sur une série de principes de design urbain que l’on peut regrouper en trois points :

  • des développements plus compacts et planifiés selon l’échelle humaine, c’est-à-dire ayant une distance entre leur centre et leur périphérie qui soit praticable à pied (environ un quart de mille ou 400 mètres, l’équivalent de plus ou moins cinq minutes de marche) ;

  • une nette préférence pour le transport en commun ;

  • une plus grande intégration de fonctions urbaines diverses (habitations, commerces et services, emplois, écoles et équipements communautaires, espaces publics) au sein de chaque quartier.

Mais, comme le souligne Marshall (2000 : 34), le nouvel urbanisme ne forme pas un bloc monolithique : « New Urbanism is plural, with many different adherents, thinkers, and streams of thought within it ». En effet, plusieurs tendances coexistent à l’intérieur du mouvement, comme le traditional neighbourhood design (TND) et le transit-oriented development (TOD), avec leurs spécificités et leurs priorités. Le nouvel urbanisme est donc un forum d’idées et des divergences existent entre les membres. Par exemple, il y aurait une certaine division entre le nouvel urbanisme de la Côte ouest et celui de la Côte est. Le mouvement de l’Ouest, dont l’une des figures de proue est l’urbaniste et architecte californien Peter Calthorpe, serait plus proche du mouvement environnementaliste, mettant l’accent sur l’importance du transport en commun et adoptant une perspective plutôt régionaliste du design urbain. Le mouvement de l’Est, mené par les architectes et designers urbains floridiens Andres Duany et Elizabeth Plater-Zyberk, mettrait d’abord l’accent sur le formalisme et l’esthétisme du design urbain (Fulton, 1996 ; Marshall, 2000).

Selon Marshall, les promoteurs du nouvel urbanisme seraient écoutés et appréciés en proportion inverse de la profondeur de leurs idées, dans la mesure où leur doctrine est souvent réduite à des considérations esthétiques : « To most city councils and zoning boards, New Urbanism represents the option of solving serious urban problems of sprawl and center-city decline by the application of front porches, alleyways, and other devices in new developments far out of town » (Marshall, 2000 : 35). On néglige ainsi, par exemple, que la priorité à donner au redéveloppement urbain est, au sein même du mouvement, une source de divergences importantes entre, d’une part, les régionalistes et environnementalistes et, d’autre part, les formalistes. Vers la fin des années 1990, on pouvait lire à ce sujet : « Even within the movement, some New Urbanists fear that the focus on reinventing suburban neighborhoods won’t solve broad metropolitan problems but will simply replace “suburban sprawl” with “New Urban sprawl” » (Fulton, 1996 : 3). Mais récemment, selon plusieurs, le nouvel urbanisme aurait opéré un virage et de plus en plus de projets viseraient le redéveloppement de secteurs urbains et périurbains existants (Falconer Al-Hindi et Till, 2001 ; Gordon, 2003 ; Marshall, 2000).

Enfin, un des aspects particuliers du nouvel urbanisme concerne le recours au design participatif. Essentiellement, il s’agit d’associer divers acteurs (promoteurs, représentants du secteur public, mais aussi citoyens et groupes d’intérêt) dans l’élaboration des lignes directrices d’un projet de développement, ceci dans le cadre de sessions intensives de remue-méninges (brainstorming). Plusieurs y voient une contribution intéressante du mouvement dans le domaine des procédures de planification urbaine ou, du moins, un effort louable pour la promotion de la participation publique et pour l’atteinte de plus grands consensus.

Smart growth et nouvel urbanisme : similitudes et distinctions

Le smart growth et le nouvel urbanisme partagent la même vision de base en ce qui a trait aux principes généraux d’aménagement. D’ailleurs, on compte le Congress for the New Urbanism parmi les fondateurs du Smart Growth Network. Cette compatibilité s’exprime, dans les faits, par une complémentarité entre les politiques et les initiatives publiques de smart growth (menées à l’échelle des États et des régions) et les projets de développement urbain de type nouvel urbanisme menés sur le terrain. En 2002, un recensement de ces projets aux États-Unis montra que les trois quarts d’entre eux avaient eu lieu dans des États et des régions ayant adopté des mesures de smart growth (Garde, 2004).

Si le smart growth et le nouvel urbanisme sont très proches et s’inscrivent, globalement, dans le paradigme du développement urbain durable et de la lutte à l’étalement urbain, certaines distinctions doivent cependant être soulignées. D’abord, le smart growth revêt un caractère beaucoup plus global que le nouvel urbanisme. Cela tient au fait que le smart growth est avant tout un concept de développement. Quant au nouvel urbanisme, il constitue davantage un mouvement exclusif ou corporatiste, en ce sens qu’il est généralement associé à des membres et des représentants officiels, à une organisation porte-parole (le Congress for the New Urbanism), voire à une certification de projets par cette même organisation.

Une distinction peut-être encore plus claire concerne les échelles d’intervention et les acteurs directement concernés. Le smart growth englobe généralement plusieurs échelles géographiques (locales, régionales et nationales) et comprend habituellement un ensemble de mesures variées, allant de la gestion du développement urbain et territorial à l’élaboration de lois, d’outils fiscaux et d’incitations économiques à incidence territoriale. Il concerne donc essentiellement et en premier lieu les politiques, les investissements ainsi que les programmes des acteurs publics de tous les niveaux. En revanche, l’échelle d’intervention du nouvel urbanisme est davantage locale, voire infra-locale, en se concentrant sur des projets et des opérations de développement et de design urbains (Garde, 2004). Les acteurs concernés sont donc davantage ceux du secteur privé, soit les designers urbains, les architectes et les promoteurs.

Enfin, comme le smart growth est avant tout concerné par la gestion de l’urbanisation plutôt que par des questions de design, il met l’accent sur la lutte à l’étalement urbain. Pour sa part, le nouvel urbanisme est plus enclin aux nouveaux développements urbains en périphérie, visant peut-être davantage à changer le visage de la croissance urbaine qu’à véritablement la contrôler. Comme nous l’avons vu, il reste que le nouvel urbanisme semble de plus en plus conscient de l’importance du redéveloppement urbain. Ce qui fait dire à certains, dont Marshall (2000), qu’il se rapproche peut-être encore un peu plus du smart growth.

Au-delà des principes

On s’entend pour dire que l’aménagement et le développement de nos agglomérations selon les principes du smarth growth constituent un très grand défi, surtout dans le contexte nord-américain actuel où il existe plusieurs obstacles, notamment du côté des organisations et des pouvoirs publics, à une réelle mise en oeuvre du processus : faible consensus politique (ou carrément son absence), peu d’importance accordée à ces questions (comparativement à celles relatives à la croissance économique), grande fragmentation des pouvoirs publics à l’échelle des métropoles, etc.

Certains font aussi remarquer que même en présence d’un consensus politique, à l’échelle d’une province ou d’un État par exemple, il s’agit souvent d’apparences trompeuses, les lois étant tellement vagues que personne ne peut (ni ne veut) vraiment s’y opposer (Ben-Zadok, 2003 ; Garde, 2004). Ceci constitue en fait la critique majeure faite au smart growth, à savoir qu’il débouche sur un ensemble de lois qui apparaissent cohérentes et louables en soi, mais qui sont dans bien des cas trop vagues ou trop permissives pour amener des changements significatifs à l’échelle locale.

Au sujet du nouvel urbanisme, les critiques ne manquent pas non plus. Elles sont même plus nombreuses et elles sont assurément plus acerbes que celles adressées au smart growth. Mais il ne faut pas s’y tromper, car cela tient au fait que le nouvel urbanisme est justement plus concret que le smart growth et, en ce sens, qu’il doit se commettre davantage en allant au-delà des considérations et des politiques générales : il a en effet un visage, celui des nombreux projets hétéroclites réalisés un peu partout dans les nouveaux quartiers.

Une critique parmi les plus courantes faites au nouvel urbanisme concerne son appellation elle-même (plus précisément son qualificatif de nouveau), parce qu’elle serait tantôt paradoxale, tantôt prétentieuse. Il s’agit en effet davantage d’un réarrangement et d’une réappropriation de principes qui existent depuis fort longtemps en urbanisme (Robbins, 2004 ; Robinson, 1997 ; Wight, 1995). Ainsi, les tenants du nouvel urbanisme auraient emprunté plusieurs notions comme celle de l’unité de voisinage, de Clarence Perry et de Clarence Stein (années 1920), ainsi que celles de la revalorisation de la rue en tant qu’espace public, de la diversité et de la mixité des fonctions, idées défendues notamment par Jane Jacobs dans les années 1960. De plus, certains trouvent ironique que le nouvel urbanisme, qui se dit en rupture avec les méfaits et les abus de l’urbanisme moderne, ait plusieurs éléments et méthodes en commun avec le Congrès international d’architecture moderne (CIAM), dont Le Corbusier fut l’une des âmes dirigeantes : le nom même du Congress for the New Urbanism ; la tentative de réformer l’industrie du bâtiment et du développement urbain et le travail assidu de promotion des idées auprès des organisations gouvernementales ; la confiance en l’efficacité des codes et des conventions écrites pour régir le développement (ce qui dénoterait un certain autoritarisme) ; l’existence, enfin, d’une charte avec ses objectifs et ses prétentions à remédier au chaos des villes existantes et à favoriser le bien commun à travers le design (Robbins, 2004).

C’est pourquoi plusieurs auteurs préfèrent parler du nouvel urbanisme d’une façon plus modeste, soulignant qu’il défend des principes issus d’un urbanisme intemporel ou du bon sens, tout simplement. Peter Robinson, dans un article de 1997 dont le titre exprime clairement la réticence dont il est question ici (New Urbanism, Old Urbanism… What’s New Under the Sun?), soulignait par exemple que le concept du transit-oriented development est remarquablement similaire à l’approche préconisée par la planification urbaine néerlandaise, fortement intégrée à la planification des transports, et que les responsables ne considèrent en rien nouvelle. On pourrait aussi mentionner la planification métropolitaine à Copenhague et à Stockholm, largement intégrées aux transports en commun depuis au moins le milieu du XXe siècle.

Une autre critique récurrente, peut-être la plus fondamentale, est que le nouvel urbanisme ne livre tout simplement pas la marchandise, qu’il s’agisse de l’efficacité urbanistique de ses projets ou de la nature des changements que ceux-ci apportent aux agglomérations. En effet, on l’accuse d’être superficiel, faisant passer les considérations autour de l’ambiance issue du design urbain et de l’architecture (bref de l’image) avant les considérations métropolitaines plus fondamentales comme la lutte à l’étalement urbain et à la dépendance automobile. Par exemple, selon Hall (2000), les projets du nouvel urbanisme sont, en favorisant l’architecture nostalgique (nostalgic architecture), une tentative pour recréer l’ambiance des premières banlieues cossues du XIXe siècle et du début du XXe, mais sans en recréer la structure. Aujourd’hui, contrairement aux premières railroad suburbs (prenant notamment exemple sur Forest Hills Gardens à New York, 1909), la plupart des projets du nouvel urbanisme sont, selon l’auteur, carrément dépendants de l’automobile. À l’instar de Hall, Southworth (1997) considère que les projets du nouvel urbanisme n’ont tout simplement pas les caractéristiques et les qualités urbanistiques des modèles desquels ils sont supposés s’inspirer. À cet égard, une critique de Marshall à l’endroit du projet Celebration de Disney, en Floride, est percutante :

Where New Urbanism errs is treating the design of a neighborhood as something done on the level of individual streets and buildings. In reality, a neighborhood is designed within the context of its larger transportation system, which, in the case of Celebration, is the network of freeways and large suburban boulevards. What Celebration is trying to do is re-create an urban neighborhood without creating the transportation network that spawned such neighborhoods. Which is not possible. So what you get is a peculiar thing, an automobile-oriented subdivision dressed up to look like a small pre-car-centered town.

Marshall, 2000 : 6

En d’autres mots, si on critique autant le nouvel urbanisme à l’effet qu’il ne constitue pas une solution à l’étalement urbain, c’est principalement en raison de son manque généralisé de densité [1] et de sa forte tendance, en réalité, à favoriser l’automobile et la périurbanisation (Leung, 1995 ; Marshall, 2000). On lui reproche aussi de ne pas intégrer suffisamment les préoccupations écologiques (énergétiques ou autres) ; bref, de ne pas avoir tous les éléments nécessaires pour être considéré comme durable (Beatley, 2000).

Une autre critique importante à l’endroit du nouvel urbanisme est qu’il serait un mouvement élitiste qui ne crée ni ne recherche une véritable mixité sociale (Leung, 1995), se contentant d’une mixité sélective réservée aux couches sociales plus élevées (Marshall, 2000). À la défense du nouvel urbanisme, cependant, de récents projets de redéveloppement urbain aux États-Unis intégreraient davantage, tel que déjà mentionné, la question du logement abordable. Il n’en demeure pas moins qu’une étude récente, qui sondait les opinions et les perceptions des designers, des urbanistes du secteur public ainsi que des promoteurs engagés dans plusieurs projets américains du nouvel urbanisme, n’est pas très encourageante à ce sujet : « Results suggest that principles that focus on neighborhood design but are likely to be contentious – such as provision of affordable housing and accommodation of ethnic diversity – may be compromised in New Urbanist developments » (Garde, 2004 : 158).

On dit aussi du nouvel urbanisme qu’il adopte une attitude déterministe, c’est-à-dire aussi naïve qu’erronée vis-à-vis des rapports entre l’environnement construit et les comportements des gens (Leung, 1995 ; Robbins, 2004). Ceci concerne surtout les comportements individuels attendus en matière de transport et la recherche du (fameux !) sentiment d’appartenance (ou sentiment de communauté). Sur ce dernier point, une étude récente (Lund, 2003) tend toutefois à montrer que certains principes du nouvel urbanisme peuvent effectivement favoriser la marche à pied et une plus grande interaction entre les individus d’un même quartier.

Enfin, d’aucuns questionnent le réalisme de certains principes du nouvel urbanisme face aux préférences et aux attitudes actuelles des individus et des marchés en général en matière d’habitation, de mobilité et plus largement de mode de vie (Fulton, 1996 ; Marshall, 2000 ; Wight, 1995). On vise plus particulièrement en l’occurrence la capacité à développer et à opérer des commerces de proximité économiquement viables, face à un phénomène comme les commerces à grande surface, ainsi que la capacité à mieux intégrer (à rapprocher) les lieux de résidence et les lieux d’emploi.

Si diverses réalités d’aujourd’hui (ménages dont les deux adultes travaillent, mobilité et précarité des emplois, etc.) peuvent convaincre assez aisément de la difficulté à rapprocher emplois et résidences, une étude dont il a été question précédemment (Lund, 2003) indique que les environnements conviviaux pour les piétons favorisent effectivement la marche pour se rendre aux commerces de proximité. De plus, les changements démographiques des sociétés occidentales (vieillissement des populations et diversification des types de ménages) seraient favorables à des développements urbains plus compacts et mixtes (Gordon et Vipond, 2005 ; Myers et Gearin, 2001). Enfin, les services et commerces de proximité auraient une part de marché non pas dans une logique de concurrence avec les commerces régionaux (de type big-box, par exemple), mais plutôt dans une logique de complémentarité avec ces derniers. Une récente étude de Heitmeyer et Kind (2004) tend en effet à valider l’existence d’une demande à cet égard dans les secteurs établis selon les principes du nouvel urbanisme, particulièrement pour des commerces spécialisés destinés au marché de proximité.

Toujours sur cette question importante, d’autres regards sont posés. Kaufmann, dans une étude sur les aspirations et les choix résidentiels de ménages français vivant en banlieue, a montré qu’une partie significative d’entre eux ne choisissaient pas la banlieue pavillonnaire standard et sa dépendance automobile, mais étaient plutôt contraints d’y résider : « l’habitat périurbain apparaît ainsi fréquemment en France être un choix par défaut, faute d’alternatives économiquement et socialement attractives pour les familles » (Kaufmann, 2002 : 129). Dans le même esprit, Bohl (2003) et Levine et Inam (2004) soutiennent que les règles du marché et les règlements d’urbanisme actuels font en sorte de réduire considérablement les choix offerts aux consommateurs, en matière de milieux de vie, en n’offrant pas d’alternatives valables au modèle de la banlieue standard.

On peut constater que le débat et surtout les questions qu’il soulève ne sont pas simples. Avec à propos, plusieurs auteurs reprochent à de nombreux critiques du smart growth et du nouvel urbanisme de manquer de nuances et de rejeter catégoriquement la possibilité de tout changement dans le développement urbain actuel et futur.

Au-delà des critiques

On peut noter une certaine évolution dans les critiques qui sont adressées au smart growth et au nouvel urbanisme. Les commentateurs des années 1990 semblaient beaucoup plus méfiants et négatifs comparativement à ceux d’aujourd’hui, en apparence plus favorables aux deux mouvements (sinon plus nuancés et moins catégoriques envers eux). Cela est sans doute lié à l’évolution même du nouvel urbanisme et à certains changements qu’il aurait réalisés dans la pratique. Cela est peut-être également dû au fait que de nombreuses études récentes appuient, d’une certaine façon, le nouvel urbanisme et le smart growth en revalorisant un urbanisme davantage normatif et ses principes de bonne forme urbaine et de forme urbaine viable, que ce soit pour leurs avantages globaux (Filion, 2004 ; Lewis et al., 2002 ; Talen, 2003b ; Talen et Ellis, 2002 ; Southworth, 2003) ou leurs avantages pour les transports urbains et l’accessibilité (Rajamani et al., 2003 ; Rodriguez et Joo, 2004 ; Srinivasan, 2002 ; Zhang, 2004), ou encore pour la mixité fonctionnelle mise de l’avant dans les développements urbains (Heitmeyer et Kind, 2004 ; Lund, 2003 ; Myers et Gearin, 2001).

D’autres auteurs s’efforcent de mettre en perspective les critiques adressées au smart growth et au nouvel urbanisme et même à retourner la critique. On reproche alors aux tenants de ces critiques d’adopter une position passive (voire défaitiste) et de ne rien proposer en retour. On leur reproche aussi de manquer de nuances et de chercher à caricaturer le mouvement (plus particulièrement le nouvel urbanisme) en le considérant comme un bloc monolithique et en lui prêtant des objectifs démesurés (Dunham-Jones, 2000 ; Ellis, 2002). Ainsi, défendant la position du nouvel urbanisme en matière de mobilité urbaine, Ellis (2002) soutient que celui-ci ne vise pas nécessairement à enrayer la congestion routière, mais poursuit un objectif plus modeste qui est de créer des formes urbaines offrant davantage de choix viables sur le plan du transport. Cet impératif d’offrir davantage de choix, de diversité et de flexibilité par des formes urbaines et métropolitaines plus viables est un argument récurrent qui légitimerait, presque à lui seul, le smart growth et le nouvel urbanisme (Handy, 1996 ; Cervero, 2002 ; Levine et Inam, 2004). Car, comme le souligne Ford, si des formes urbaines différentes ne changent pas automatiquement les comportements des individus par rapport à l’utilisation de l’automobile, il est possible que les gens, s’ils en avaient la chance, pourraient bien agir autrement : « it is possible that people just might behave differently if given the chance » (Ford, 1999 : 254).

Enfin, devant la complexité d’un phénomène comme le nouvel urbanisme, un consensus semble émerger à l’effet qu’il est impératif d’alimenter le débat d’une manière plus éclairée en adoptant des approches d’analyse neutres, du moins davantage pragmatiques, centrées sur les résultats concrets et les impacts réels qu’a tel projet ou telle initiative d’aménagement (Ellis, 2002 ; Falconer Al-Hindi et Till, 2001 ; Ford, 1999). Un apport important, à ce niveau, viendrait du développement de nouvelles méthodologies et de nouveaux outils d’analyse de la forme urbaine qui viseraient notamment à opérationnaliser les concepts et les principes du développement urbain durable, ce qui les rendrait à la fois plus précis et plus efficaces pour rendre compte de la structure métropolitaine. Pour ce faire, on pourrait prendre avantage des dernières avancées et les possibilités offertes par les logiciels spécialisés en système d’information géographique (Avin et Holden, 2000 ; Hess et al., 2001 ; Southworth, 2003 ; Talen, 2003a ; Vernez Moudon, 2000).

La nécessité de faire preuve de pragmatisme et de plus d’objectivité dans l’évaluation du smart growth et du nouvel urbanisme, de même que la légitimité de rechercher une meilleure forme d’urbanisation, plus en accord avec les principes du développement urbain durable, sont deux éléments qui ressortent de notre revue de littérature. D’ailleurs, il existe aujourd’hui dans cette littérature un remarquable consensus (pour ne pas dire une redondance) autour des grands principes urbanistiques susceptibles de favoriser un développement urbain plus durable : un développement qui soit davantage mixte (tant au niveau social qu’au niveau des fonctions), mieux intégré aux transports urbains durables (avec, en tête de liste, le transport en commun et la marche) et, enfin, plus tourné vers la conservation des ressources (financières, écologiques, énergétiques et territoriales). Il s’agit donc d’un plaidoyer et d’une action en faveur d’une urbanisation foncièrement opposée à l’étalement urbain à faible densité et monofonctionnel, qui est considéré comme étant l’antithèse du développement urbain durable.

Le Canada emboîte le pas

Les idées propres au développement urbain durable sont de plus en plus reprises et intégrées, à divers degrés, dans les discours et les documents de planification des gouvernements et des autorités publiques responsables de l’aménagement du territoire et du développement urbain à travers le monde. En Europe, où il existe une longue tradition de planification urbaine, des agglomérations comme Stockholm et Copenhague ont depuis longtemps veillé à intégrer développement urbain et développement des transports publics (Cervero, 1998). Aussi, il n’est pas surprenant qu’une campagne européenne sur le développement urbain durable ait été lancée et qu’une charte (Charte d’Aalborg) ait été signée en 1994 par plusieurs collectivités (Vivre en Ville, 2004 ; Beatley, 2000). En 1998, un rapport du Groupe d’experts sur l’environnement urbain de la Commission européenne, contenant plusieurs recommandations en faveur de la ville durable, était publié. Aujourd’hui, une véritable compétition concernant les plans et les projets de développement urbain les plus durables est ni plus ni moins engagée entre les collectivités de plusieurs nations du nord-ouest européen (Beatley, 2000).

Aux États-Unis, pays symbole de l’étalement urbain s’il en est un, un vif débat a lieu sur le sujet (Downs, 1999 ; Ewing, 1997 ; Gillham, 2002 ; Gordon et Richardson, 1997) et plusieurs États, tels l’Orégon et le Maryland, ont adopté officiellement des initiatives de smart growth. Le gouvernement fédéral, surtout sous la gouverne des démocrates de Bill Clinton et d’Al Gore, avait débuté la promotion de ces principes d’une façon active durant les années 1990. Pour leur part, des organismes fédéraux importants comme le US Department of Energy (États-Unis, 2005a) et la US Environmental Protection Agency (États-Unis, 2005b) professent aussi l’idée de villes plus durables et ciblent l’étalement urbain comme étant un phénomène à maîtriser, alors que le US Department of Transportation a mis davantage de fonds pour les transports urbains durables à la disposition des organisations métropolitaines de planification (Gillham, 2002). Enfin, certaines agglomérations se démarquent par leurs efforts pour la mise en oeuvre de ces principes. Portland, en Oregon, en est le chef de file (Portney, 2003 ; Gibson et Abbott, 2002). Il n’en demeure pas moins que les agglomérations américaines partent évidemment de très loin en matière de lutte à l’étalement urbain.

Au Canada, plusieurs acteurs publics nationaux ont récemment souligné l’importance croissante d’un développement urbain plus durable et ont proposé un nouveau cadre d’action pour le gouvernement fédéral en matière urbaine (Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, 2003 ; Groupe de travail du Premier ministre sur les questions urbaines, 2002). Si bien que selon l’ex-ministre du ministère des Infrastructures et des Collectivités, il existe désormais au Canada « un nouvel urbanisme […] appuyé par tous les ordres de gouvernement » (Godfrey, 2004). Au plan de l’information, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) a un volet spécifique consacré aux collectivités viables et produit des rapports de recherche sur le sujet depuis déjà plusieurs années (SCHL, 2005). Au Canada, cependant, une question importante, délicate et sans doute non résolue, concerne le rôle que doit et peut jouer le gouvernement fédéral en matière d’aménagement et de développement urbains sans empiéter sur les juridictions provinciales.

Du côté des provinces canadiennes, certaines semblent se démarquer en matière de développement durable et de promotion d’un nouvel urbanisme. En Colombie-Britannique, le contexte serait particulièrement favorable au smart growth : les mesures adoptées par la province pour protéger les terres agricoles seraient, semble-t-il, satisfaisantes et le leadership viendrait à la fois du secteur municipal et du secteur privé (Smart Growth Canada Network, 2004). En Ontario, le gouvernement avait déjà amorcé la promotion de normes d’aménagement urbain alternatives dans les années 1990 (Ontario, 1995 ; Ontario, 1997), mais le dernier gouvernement conservateur n’a vraisemblablement pas fait de la lutte à l’étalement urbain sa priorité. En revanche, la forte croissance démographique de la grande région de Toronto, les problèmes de congestion automobile et de smog (dont le lien avec la santé publique a été mis en évidence, Ontario Medical Association, 2000) et les grandes pressions exercées par l’étalement urbain sur les terres agricoles et les espaces naturels (particulièrement dans le secteur du Greater Golden Horseshoe) ont poussé le nouveau gouvernement libéral à proposer plusieurs changements en faveur du smart growth (Smart Growth Canada Network, 2004). Une série d’initiatives interministérielles ont ainsi été amorcées, dont une nouvelle législation (Places to Grow Act) mettant de l’avant diverses mesures inspirées du smart growth adoptée en 2004 par le nouveau ministère du Renouvellement de l’infrastructure publique et une réforme de la planification urbaine (Building Stronger, Better Communities) effectuée par le ministère des Affaires municipales et du Logement. Ces changements sont accueillis favorablement par certaines organisations non gouvernementales, lesquelles demeurent toutefois vigilantes et prudentes (Smart Growth Canada Network, 2004 ; Ontario Farmland Trust, 2005).

En ce qui a trait aux projets de développement urbain innovateurs (officiellement inscrits au compte du nouvel urbanisme), c’est en Ontario, particulièrement dans la grande région de Toronto, où il y en aurait le plus au Canada (Forand, 2000 ; Gordon et Vipond, 2005). La ville de banlieue de Markham serait même l’endroit où se trouverait la plus forte concentration de nouveaux projets de ce type en Amérique du Nord (Gordon et Vipond, 2005). Ailleurs au Canada, selon un groupe américain qui tient un registre des projets du nouvel urbanisme (Town Paper, 2005), on en compterait cinq en Colombie-Britannique, trois en Alberta et un seul au Québec (soit le projet Bois-Franc à Montréal). À noter que le nouveau développement du Village de la gare à Saint-Hilaire, en banlieue de Montréal, qui n’est pas comptabilisé ici, est basé sur les principes du transit-oriented development (TOD), tout comme existent sans doute plusieurs dizaines d’autres projets de développement urbain au Canada qui, sans être officiellement reconnus, s’inscrivent globalement dans le paradigme du développement urbain durable.

Mais, plus fondamentalement, la question de la planification urbaine et métropolitaine intégrée apparaît plus importante que le fait d’avoir ou non des projets de type du nouvel urbanisme reconnus, éparpillés çà et là sur le territoire. Surtout que ces projets correspondent rarement, comme nous l’avons vu, à de véritables projets de développement urbain durable. Comme le souligne Cervero (1998 : 4) : « Islands of TOD in a sea of freeway-oriented suburbs will do little to change fundamental travel behavior or the sum quality of regional living ». Ainsi, on reproche à certains projets périurbains du nouvel urbanisme, comme McKenzie Towne à Calgary, de n’être autre chose qu’une banlieue déguisée, largement dépendante de l’automobile (Cox, 1999). Et si le Village de la gare, en banlieue de Montréal, le premier TOD au Québec (Benoît-Lapointe, 2003), est pour sa part centré sur le train de banlieue, certains pourront toujours lui reprocher d’être trop excentré et de favoriser, en définitive, l’étalement urbain (Bisson, 2005 ; Robitaille, 2005).

À l’égard de la planification métropolitaine intégrée et du développement urbain durable, la ville et la région de Vancouver apparaissent comme étant fort probablement des leaders au Canada, voire en Amérique du Nord (Dietrich, 2003 ; Langdon, 2003 ; Williams-Derry, 2002). Le centre-ville de Vancouver a le taux de croissance résidentielle le plus élevé en Amérique du Nord (Langdon, 2003) et sa vitalité et son design urbain feraient figure ni plus ni moins de modèle au niveau international (Boddy, 2004). À l’échelle métropolitaine, de récents indicateurs montrent que les objectifs du plan métropolitain de développement durable (le Livable Region Strategic Plan, adopté en 1995), qui visent entre autres la création d’une agglomération compacte composée de quartiers mixtes intégrés au transport en commun et favorables à la marche, de même que l’augmentation de l’offre en transport public, seraient sur la bonne voie (Greater Vancouver Regional District, 2003 ; Northwest Environment Watch, 2002 ; Bula, 2002). De plus, des projets de redéveloppement urbain novateurs, comme le projet pilote de développement durable de Southeast False Creek (Alexander, 2000), et l’architecture durable, déjà des éléments de marque de Vancouver, sont aujourd’hui encore plus stimulés et encouragés par la planification des jeux olympiques d’hiver de 2010, dits verts (Ville de Vancouver, 2005).

Au niveau municipal, la Fédération canadienne des municipalités (2005) a mis sur pied un centre d’information pour le développement des collectivités viables, en plus de remettre des prix annuels destinés aux municipalités méritantes en la matière. Dans l’ensemble du pays, outre Vancouver, plusieurs grandes villes canadiennes ont adopté (ou sont en voie d’adopter) des approches et des principes urbanistiques similaires (sous divers vocables et concepts) pour leurs nouveaux plans stratégiques d’aménagement et de développement. Pour citer quelques exemples, mentionnons que la nouvelle ville de Gatineau se tourne vers le nouvel urbanisme et le concept de villages urbains (Duquette, 2004 ; Ville de Gatineau, 2003), alors que sa grande voisine, Ottawa, se dote aussi d’une stratégie de consolidation urbaine et de développement urbain durable à travers son initiative Ottawa 20/20 (Ville d’Ottawa, 2005). De son côté, la ville de Toronto a adopté un nouveau plan qui vise la consolidation de centres et de corridors reliés efficacement par le transport en commun (Ville de Toronto, 2005). Enfin, la ville de Montréal est en voie d’adopter un nouveau plan d’urbanisme qui intègre le développement durable d’une façon comparable (Cardinal, 2004 ; Ville de Montréal, 2005).

Le défi

On ne peut sans doute que se réjouir de cet engouement des autorités publiques pour le développement urbain durable. Il reste que le vrai défi n’est pas l’adoption de lois ou de plans qui intègrent des principes de développement durable (ou de smart growth), mais bien la traduction de ces initiatives de planification en résultats concrets, à l’échelle des agglomérations. Il s’agit, encore une fois, d’aller au-delà de quelques îlots durables et de quelques projets pilotes exceptionnels.

Car, parallèlement à ces élans nouveaux pour le développement durable, l’étalement des villes canadiennes continue (Presse canadienne, 2005) et l’utilisation de l’automobile y est toujours à la hausse (Raad, 1998 ; Raad et Kenworthy, 1998). Si bien que la différence, à ce sujet, entre les agglomérations canadiennes et américaines – que bon nombre de canadiens se plaisent à rappeler – tendrait à s’amenuiser (Filion et al., 2004 ; Filion et al., 1999 ; Raad et Kenworthy, 1998). De plus, le phénomène des grandes surfaces commerciales (big box) et des power center se poursuit (Cloutier, 2005), ce qui ne favorise guère le développement durable et ne facilite en rien sa mise en oeuvre. Enfin, plusieurs banlieues des premières couronnes (datant des années 1950 et 1960) sont vieillissantes et devront être rénovées avant de perdre dramatiquement de leur valeur (Fortin et al., 2002). De toute évidence, le problème n’est pas simple, car l’attrait des nouveaux développements périphériques et de leurs maisons neuves est fort pour les jeunes familles.

La majorité des auteurs s’entendent à l’effet que l’étalement urbain devra être maîtrisé et que les tissus urbains et périurbains existants devront être réinvestis et consolidés (Beatley, 2000 ; Filion, 2004 ; Fortin et al., 2002 ; Gillham, 2002 ; Groupe d’experts sur l’environnement urbain, 1998 ; Lewis et al., 2002 ; Marshall, 2000 ; Raad, 1998 ; Tomalty, 1997 ; TRNEE, 2003). Un tel virage est d’autant plus impératif que la mondialisation et la nouvelle économie accroissent l’importance des agglomérations en tant qu’entités productrices des richesses nationales, entités qui se doivent d’être compétitives en offrant un cadre de vie de grande qualité (Banque Mondiale, 2000).

Or, pour espérer un virage significatif, plusieurs conditions seraient nécessaires, à commencer par un renforcement des institutions régionales (métropolitanisme) (Fulton, 1996 ; Hall, 2000 ; Gillham, 2002 ; Marshall, 2000 ; Southworth, 1997 ; Tomalty, 1997). À ce sujet, le succès jusqu’à maintenant reconnu du Greater Vancouver Regional District peut-il servir de modèle canadien ? De même, le schéma d’aménagement de la nouvelle Communauté métropolitaine de Montréal, qui doit être adopté prochainement, jouira-t-il d’éléments contextuels comparables pour sa mise en oeuvre ? Autant de questions auxquelles il est difficile aujourd’hui de répondre.

Une seconde condition est l’investissement financier direct de tous les paliers de gouvernement dans des projets clés et concrets de développement urbain durable, notamment dans le renforcement et le développement des transports publics urbains (Filion, 2004 ; Fulton, 1996 ; Hall, 2000 ; Marshall, 2000). Si le gouvernement du Canada était encore récemment le seul, parmi les pays de l’OCDE, à ne pas financer le transport public, le récent pacte canadien pour les villes et les collectivités, avec des fonds prévus pour le transport en commun provenant d’une partie de la taxe fédérale sur l’essence, crée certes de l’espoir pour remédier à cette situation (Canada, 2005). Mais, en plus de tels investissements, seule une politique d’aménagement du territoire cohérente et intégrée (une compétence provinciale) pourra en maximiser les impacts positifs sur la mobilité et la forme urbaine (Cervero, 1998 ; Rompré, 2004).

Enfin, plusieurs soulignent qu’en plus de mesures d’aménagement et de transport, une stratégie efficace devrait intégrer une série de mesures complémentaires comme des outils fiscaux et d’incitation économique (De Jong, 2003 ; Sewell, 2003) pouvant rendre les modèles alternatifs de développement plus attrayants et plus accessibles. Une telle stratégie devrait aussi assumer que les règlements de zonage et les autres instruments d’urbanisme locaux favorisent la mise en oeuvre des principes du développement urbain durable (ou du smart growth).

Conclusion : prudence et détermination

La présente étude a voulu jeter un nouvel éclairage sur les concepts et les mouvements du smart growth et du nouvel urbanisme à la lumière d’une revue de la littérature récente sur le sujet. On a pu voir que les débats que ces mouvements soulèvent sont relativement complexes. Dans ces débats, les généralisations sont souvent hasardeuses et parfois tendancieuses. L’étude a aussi fait ressortir la forte adhésion actuelle des pouvoirs publics responsables aux principes et aux théories du smart growth et du nouvel urbanisme et, plus globalement, du développement urbain durable.

Devant des phénomènes et des débats complexes et, aussi, devant des discours politiques qui adoptent les principes globaux de ce développement, de nouveaux outils d’évaluation adéquats sont plus que jamais nécessaires. De nouveaux indicateurs de développement urbain durable, spécifiquement reliés à la mesure de l’évolution de la forme urbaine à l’échelle métropolitaine, devraient pouvoir répondre à un tel besoin d’évaluation en prenant avantage des développements informatiques dans les systèmes d’information géographique [2]. Comme le titraient Avin et Holden (2000), « Does your growth smart? To fight sprawl, you have to measure it ».

Il est à souhaiter que les agglomérations canadiennes, ainsi que les autres paliers de gouvernement responsables des aménagements, mettent conjointement tout en oeuvre pour que se réalisent les visions contenues dans les nombreux et récents plans stratégiques de développement urbain durable. Un vrai contrôle de l’étalement urbain pourrait ainsi initier un contrepoids au tout-automobile et un virage, à long terme, vers des collectivités plus viables.