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Dans son ouvrage Labrador, le photographe Bob Mesher présente un ensemble de clichés qu’il a pris au Labrador, au cours des dernières années. Sans qu’il y ait d’explications claires dans le livre, le terme Labrador désigne la partie continentale de l’actuelle province de Terre-Neuve-et-Labrador. Aucune référence n’est faite au territoire historique de la péninsule du Labrador et à sa partition en 1927. Les photographies qui composent l’essentiel du livre forment un ensemble de superbes images, majestueuses quand elles montrent la nature et les grands espaces, instructives quand elles documentent les traces de la présence humaine (tentes, bâtiments valides ou en ruine, moyens de transport, etc.), attendrissantes quand elles font découvrir ceux et celles qui habitent cet immense territoire.

Dans l’avant-propos, Daniel Chartier, directeur du Laboratoire international d’étude multidisciplinaire comparée des représentations du Nord et directeur de la collection Imagoborealis, dans laquelle l’ouvrage s’inscrit, expose le processus de sélection des photographies contenues dans le livre. Parmi les milliers de clichés pris par Mesher, Danielle Schaub en a choisi quelque 80. Elle a aussi rédigé une introduction. Mesher – présenté dans l’avant-propos comme un Inuit « né au Labrador, mais originaire du Nunavik » – a écrit par la suite les légendes des images retenues par Schaub. Le livre qui en résulte invite à la découverte.

Une certaine logique d’exposition s’en dégage : au début du parcours, l’accent est mis sur le cadre naturel, puis c’est l’occupation humaine du territoire qui est surtout illustrée. Ceci dit, le lecteur qui tourne les pages se prête à une exploration spontanée des lieux, sans organisation stricte. Par exemple, les images ne sont pas ordonnées par saison : il y a un va-et-vient entre les paysages avec et sans neige. Elles ne sont pas non plus classées par gradient de latitude : de clichés du sud-est du Labrador (île Grady, par exemple) on passe à des photographies de la zone de Torngat, dans le segment septentrional du territoire, pour revenir ensuite dans le centre (Nain, Makkovik) ou le sud (Red Bay, fleuve Churchill) puis retourner dans le nord (Hebron), effectuant ainsi plusieurs allers-retours. De même, les photographies de l’intérieur et celles de la zone littorale se succèdent sans ordre précis. Enfin, la charge temporelle des photographies ne sert pas non plus de fil organisateur dans le déroulement du parcours : les images qui connotent le présent et celles qui dévoilent le passé – sous forme, par exemple, de vestiges d’activités révolues – s’entremêlent sans être réglées selon un continuum détectable. Cette grande liberté d’exposition favorise une lecture impressionniste de l’ouvrage. La perception du lecteur qui n’a jamais parcouru le territoire se constitue par sédimentation progressive. Celle du lecteur qui connaît déjà le Labrador se voit ravivée par touches successives dans un ordre qui n’est pas prévisible, du fait que le livre ne comporte pas de divisions prédéterminées, ce que traduit très bien l’absence de table des matières.

Le Labrador de la grande industrie minière ou hydroélectrique n’est pas illustré dans les photographies retenues pour publication. Dans la légende 26, on fait mention des barrages servant à produire de l’électricité, mais aucune image ne leur est consacrée. Les clichés qui montrent les habitants du Labrador ont tous pour sujets des résidants de villages ou de petites localités, dont un bon nombre d’autochtones. Même si certaines des activités de ces hommes et de ces femmes pourraient être considérées comme relevant du registre traditionnel, les situations présentées ne véhiculent pas de nostalgie. Les photographies, en définitive, se contentent de témoigner « des travaux et des jours » de ceux et celles qui habitent aujourd’hui les zones où Mesher a choisi de poser son trépied.

Un certain nombre de photographies mettent en scène des ruines ou des vestiges. Souvent, il s’agit de traces de la présence de gens venus de l’extérieur (missionnaires, scientifiques, etc.). Leur activité n’a pas perduré dans le temps, tandis que celle de la population locale a traversé le temps, tout en s’adaptant au monde moderne. Il en ressort une forte impression de territoire vivant, toujours habité, où les populations natives ont trouvé les moyens de se maintenir à travers les siècles.

L’avant-propos, l’introduction de deux pages et les légendes sont rédigés en trois langues : le français, l’inuktitut et l’anglais.