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Un florilège d’articles et d’ouvrages aborde aujourd’hui le thème de la géopolitique du pétrole. Le prix de l’or noir bat des records historiques depuis 2006, et la hausse enregistrée n’est pas appelée à se calmer, d’après les experts, tout simplement parce que la demande ne diminuera pas étant donné la forte croissance économique contemporaine. Les Occidentaux ont l’habitude depuis des décennies de consommer de grandes quantités de pétrole, et les pays dits émergents pratiquent désormais une politique de croissance fondée sur une consommation élevée d’énergie. À ce problème majeur s’ajoutent des réserves pétrolières limitées dans certains pays ainsi que la part de la spéculation financière. Cette situation tendue inquiète les citoyens, confrontés aux prix qui grimpent mais aussi aux conséquences environnementales des fortes émissions de gaz à effet de serre. Quant aux États, ils doivent maintenant envisager le pire : la fin du pétrole.

La thématique des géopolitiques du pétrole, plurielle car se déclinant de diverses façons selon les régions, est fondamentale dans la structuration des relations internationales contemporaines, puisque à la fois internationale et multinationale :

  • Cette géopolitique des ressources est inhérente aux relations internationales depuis que les efforts de prospection menés à la fin du XIXe siècle ont révélé des gisements mirifiques au Moyen-Orient. Cette région est désormais l’objet de rivalités entre grandes puissances, déjà pendant la guerre froide et encore à l’heure actuelle, avec les interventions des États-Unis en Irak en 1990-1991 et depuis 2003.

  • L’économie mondiale est désormais en bonne partie dépendante de la santé financière de multinationales du secteur pétrolier et des banques qui appuient ces entreprises.

  • Un nombre croissant d’analystes soulignent la probabilité de l’atteinte du pic pétrolier, soit le point au-delà duquel la production mondiale va entamer un long déclin, avivant les tensions sur le marché mondial – sauf si, à moyen terme, l’économie mondiale se convertit à des sources d’énergie différentes.

  • L’économie mondiale devient de plus en plus multipolaire, avec l’émergence de nouvelles puissances régionales, Inde, Chine, Brésil, Afrique du Sud, qui entrent en concurrence avec les États-Unis, l’Union européenne et le Japon pour l’approvisionnement en pétrole.

Géopolitiques du pétrole de Philippe Sébille-Lopez est une mine d’informations. L’ouvrage est certes bien documenté, même si beaucoup des affirmations qu’on y trouve sont déjà connues, notamment à travers la presse. L’intérêt réel de ce travail est d’avoir tout synthétisé et d’avoir ordonné ces analyses dans un seul volume. Après un utile premier chapitre plus géographique, analysant l’importance des détroits maritimes et des routes des flux pétroliers, puis une présentation de la stratégie pétrolière de l’hyperpuissance états-unienne, l’ouvrage est divisé par sections géographiques des régions productrices de pétrole, la dernière étant la plus intéressante qui porte sur le Moyen-Orient. L’axe principal de la démarche de l’auteur est la politique des États-Unis dans le monde. L’auteur souligne le recours à des instruments de plus en plus musclés de la part de Washington, relevant notamment les projets de rapprochement entre talibans et Washington pendant la présidence de William Clinton, les deux guerres menées dans le Golfe arabo-persique (1991 et 2003) et l’intervention en Afghanistan (2001) qui a permis à Washington de prendre pied en Asie centrale.

Les analyses sont souvent pertinentes, comme par exemple sur la Russie en passe de devenir un arbitre du marché européen et mondial. C’est un bon livre de géopolitique mais aussi un livre géographique sur la production de pétrole. De nombreuses cartes et autres graphiques permettent de comprendre les enjeux géographiques : l’importance des rivalités portant sur le tracé des oléoducs en Asie centrale, la construction de l’oléoduc Bakou-Ceyhan à travers la Turquie, la permanence de projets d’oléoducs transafghans vers le Pakistan, mais aussi les réelles capacités de production et les réserves prouvées des différents acteurs du grand jeu mondial. Il s’avère en effet que certaines réserves, par exemple celles de l’Arabie Saoudite, ont été surévaluées, soit dans les années précédentes par manque de technologies adaptées, soit par intérêt politique bien compris, afin d’attirer des capitaux d’une part, et surtout d’augmenter la production, car, au sein de l’OPEP, les quotas de production étaient déterminés en fonction des réserves prouvées.

De ce fait, la hiérarchie des principaux producteurs pourrait être appelée à changer. Si l’Arabie saoudite semble dominer le marché, l’Irak dispose de réserves considérables, tandis que la Russie s’efforce de mettre en valeur les importants gisements en gaz et pétrole de la Sibérie. L’auteur a un parti pris très clair : les États-Unis ont une volonté affichée d’indépendance énergétique et l’administration Bush fait tout (même la guerre) pour l’obtenir. Dans un contexte de la conjonction d’un probable pic pétrolier d’une part, et d’autre part, de l’émergence de nouvelles puissances économiques affichant de forts appétits énergétiques – Chine, Inde, Brésil, etc., – la rivalité internationale pour la prise de contrôle des ressources afin de se garantir un approvisionnement pérenne se voit exacerbée.

On a ici un bon ouvrage de synthèse, qui présente un panorama intéressant des rivalités de pouvoir entre les différents acteurs sur la scène internationale, et dans les théâtres régionaux abordés. On relève cependant, ça et là, quelques erreurs ou raccourcis, notamment une prétendue revendication chinoise sur les îles Natuna (Indonésie), ou un hypothétique projet américain de Grand Moyen-Orient, sans plus d’explication ou de sources pour l’étayer. De même, le fait que l’administration américaine du président Bush aurait repris à son compte les théories fumeuses d’Alford Mackinder du heartland reste à prouver. On remarque aussi une référence lapidaire à des frontières artificielles, alors que le caractère très discutable de ce qualificatif est connu. L’auteur effectue des classements de PIB en parité de pouvoir d’achat, alors que ce mode de calcul du revenu par habitant, fort utile pour rendre compte du niveau de vie réel des populations à travers le monde, n’a aucun sens dans l’économie mondialisée dominée par des transactions en dollars, en euros ou en yens : les importations de pétrole comme de n’importe quel produit se règlent en espèces sonnantes et trébuchantes, non pas en dollars ajustés selon la parité de pouvoir d’achat! Autant de petits détails qui laissent penser que cet ouvrage a été rédigé très rapidement, ou qu’il repose sur une méthodologie plus ou moins rigoureuse. On pourra regretter aussi l’absence de discussion des enjeux portant sur l’Arctique, déjà bien connus en 2005 lorsque l’ouvrage a été rédigé. Bref, un ouvrage d’information, utile pour faire le point sur l’actualité des rivalités pétrolières, mais sans prétention théorique et à la facture un peu légère.