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Introduction

Les grands projets urbains et autres opérations de rénovation, de réhabilitation ou de design urbain contribuent à la revitalisation de nombreux quartiers délabrés. La revitalisation serait souhaitable, car elle permettrait à la fois d’« améliorer » les conditions physiques du milieu de vie des résidants actuels (incluant pour les moins fortunés) et d’attirer des investisseurs, touristes, visiteurs, travailleurs et résidants plus fortunés. Or, pour les administrations municipales, cette idée est séduisante. En plus d’annoncer un accroissement probable des revenus de taxation, ces projets participeront à l’augmentation de la mixité sociorésidentielle, valeur qui serait à intégrer en planification urbaine et un idéal à atteindre pour ses vertus d’égalité et de cohésion sociale (Lupton et Tunstall, 2008). Cependant, le discours sur la mixité que tiennent les acteurs impliqués dans le (re)développement urbain est de plus en plus critiqué parce qu’il cacherait des stratégies de gentrification [1] des quartiers (Lees, 2008 ; Germain et Rose, 2010).

Le centre-ville montréalais est l’un des plus habités en Amérique du Nord (Ville de Montréal, s.d.). Après une phase de déclin démographique et socioéconomique qui a commencé durant les années 1950 et 1960, plusieurs quartiers centraux semblent « renaître » à la faveur de grands projets urbains. Certains de ces projets ont été réalisés récemment (dont le nouveau Quartier des spectacles), d’autres sont en cours de réalisation (dont le nouveau centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM)) ou ont été annoncés. C’est le cas de la deuxième phase du Programme particulier d’urbanisme (PPU) Quartier des spectacles, touchant le pôle du Quartier latin. Ce programme prévoit notamment doubler la population du Quartier latin en favorisant la construction de 2500 à 3000 logements et vise à attirer les « jeunes urbains branchés » (Ville de Montréal, 2012).

Peu de travaux sur les grands projets urbains se sont attardés sur leurs impacts dans les environnements résidentiels. Cet article présente les résultats d’une recherche exploratoire sur la revitalisation urbaine comme facteur de changement social dans les quartiers centraux montréalais. Plus spécifiquement, cette recherche vise à : 1) décrire les transformations récentes des quartiers centraux depuis l’implantation de grands projets urbains ; 2) mieux comprendre les perceptions qu’ont les résidants actuels des transformations physiques et sociales de leur milieu de vie, ainsi que leur satisfaction (ou non) à la suite de ces transformations.

La revitalisation des quartiers pose de nombreux défis de partage de l’espace, que ce soit entre différentes fonctions urbaines plus ou moins compatibles, entre différentes populations résidantes, ou entre populations résidantes et populations marginalisées. Les impacts sociaux des grands projets urbains dans les quartiers centraux restent difficiles à évaluer. Les prochaines sections de cet article poursuivent la discussion sur les impacts possibles des grands projets urbains sur la gentrification et sur la mixité sociorésidentielle. Suivront la présentation de l’approche méthodologique et les résultats d’une étude sur le Faubourg Saint-Laurent, un quartier central montréalais en transformation qui, en plus d’abriter des fonctions propres au centre-ville, comprend de nombreux secteurs résidentiels.

Grands projets urbains et gentrification

Après 50 ans de recherche, il n’y a toujours pas de consensus sur ce qui définit la gentrification (Bidou-Zachariasen, 2003). Pour certains chercheurs, la gentrification serait le résultat d’un processus, d’abord marginal, d’agrégation de décisions individuelles touchant la réhabilitation résidentielle par des ménages aux caractéristiques socioprofessionnelles différentes de la population locale (Rose, 1984). Pour d’autres, la gentrification découlerait de projets de revitalisation ou de (re)développement qui attireraient une nouvelle population (Smith, 1996). Malgré les discordances entre chercheurs, la majorité semble s’entendre sur l’idée de déplacement ou du moins de remplacement d’une population plus démunie par une population plus fortunée (Atkinson, 2000 ; Freeman, 2005) ou possédant un capital culturel (différent) (Ley, 1996).

On semble ainsi rejeter ce que Rose (2004) nomme la « gentrification instantanée », ces nouveaux projets résidentiels sur lots vacants ou par la réhabilitation qui s’adressent à une population fortunée. Dans ce cas, la transformation du tissu social fait suite à l’ajout de nouveaux résidants et non pas au remplacement d’une partie de la population. Dans les faits, quel que soit le processus identifié, les secteurs dégradés physiquement ou abandonnés semblent renaître. L’environnement physique se transforme et de nouvelles activités commerciales et de services s’implantent afin de répondre aux besoins des nouveaux résidants (ce qui permet aussi une augmentation de l’assiette fiscale). Il ne faut pas s’étonner que les administrations publiques encouragent la gentrification, tentent de l’induire avec de grands projets urbains, voire de la créer instantanément.

Les grands projets urbains arrivent rarement seuls. Afin d’assurer une bonne intégration de ces projets dans leur environnement immédiat et de favoriser une augmentation de la demande en espace à proximité du projet, différentes interventions urbanistiques sont souvent nécessaires. Ces interventions peuvent prendre la forme de réfection routière, de développement d’infrastructures de transport collectif ou de création de nouveaux espaces publics. Elles rendent encore plus difficile l’évaluation des impacts de grands projets sur la demande en espace et sur l’augmentation des valeurs foncières qui varieraient, comme le montrent différents travaux, selon le type de projets et selon l’environnement physique et social d’accueil. Par exemple, l’implantation d’installations sportives n’a pas eu d’impact sur les valeurs foncières à Cleveland, car le projet n’a pas réussi à attirer de nouveaux résidants dans le secteur (Rosentraub, 2006) tandis que les valeurs ont augmenté à proximité du Superdome, à La Nouvelle-Orléans (Ragas et al., 1987). Dans ce cas, c’est plutôt l’amélioration de l’accès routier, la création d’un boulevard urbain et de nouveaux espaces de stationnement abordables qui ont été des facteurs attractifs. Dans le cas d’un centre de congrès et d’un opéra à Montpellier, Christofle (1999) a noté que le projet avait eu un impact sur l’image de la ville, ce qui expliquerait que les retombées se sont fait sentir à cette échelle et non pas dans l’environnement immédiat du projet.

À plus ou moins long terme, ces transformations pourraient perturber le profil social d’un secteur. Comment ? Les propriétaires perçoivent différemment l’implantation d’un nouveau projet selon la valeur d’échange (financière), mesurée à partir de l’état du bien ainsi que des infrastructures et autres caractéristiques urbaines (Logans et Molotch, 1987 dans Duke, 2009), et la valeur d’usage qu’ils accordent à leur propriété. Lorsque la propriété est considérée pour sa valeur d’échange, le propriétaire sera tenté de tirer profit de l’augmentation de la demande en espace (Haila, 1988). Dans le cas plus spécifique d’une augmentation de la demande (réelle ou perçue) en logements par une population plus fortunée, des lots et bâtiments vacants feront place à de nouveaux développements résidentiels de luxe contribuant à une augmentation des valeurs foncières. À l’opposé, lorsque la propriété est considérée pour sa valeur d’usage, elle sera investie symboliquement et financièrement (Haila, 1988). C’est le cas du logement social et communautaire, qui ne participe pas à cette bulle spéculative, ce qui pourrait ralentir le processus de gentrification (Cuierrier et al., 2008).

En somme, les transformations physiques causées par les grands projets urbains engendrent ou alimentent une dynamique sociorésidentielle des ménages. Même en l’absence d’éviction, les ménages plus pauvres et locataires sur le marché privé peuvent être incapables d’absorber une augmentation des loyers et se voir dans l’obligation de déménager dans un logement plus abordable. Avec l’ajout de nouveaux résidants et le remplacement d’une partie de la population locale, le milieu d’accueil sera témoin d’une augmentation de la mixité, du moins au début.

Revitalisation, mixité sociale et gentrification

Rappelons que l’objectif de la mixité sociale « repose sur la croyance qu’il y a une composition socioéconomique idéale qui, lorsqu’elle est atteinte, produit un bien-être optimal tant pour les individus que pour la communauté » (Lees, 2008 : 2450 – traduction libre). Ainsi, vivre dans des secteurs de la ville à forte concentration de pauvreté serait pénalisant. Ces secteurs ne permettraient pas de développer un réseau de contacts favorisant l’insertion à l’emploi ou l’avancement professionnel. Il y aurait absence d’exemples, de mentors pour les jeunes qui leur permettraient de sortir du cercle de la pauvreté (Atkinson et Kintrea, 2001 ; Friedrichs et Blasius, 2003 ; Bacqué et Fol, 2005 ; Baum et al., 2010). Cet « effet de quartier », c’est-à-dire que la mixité sociorésidentielle favoriserait la réussite sociale des résidants plus démunis et pourrait même amorcer un processus de développement économique local (Joseph et al., 2007 ; Duke, 2009), est une idée séduisante pour les acteurs impliqués dans le (re)développement urbain. Cependant, les études empiriques des deux côtés de l’Atlantique ne permettent pas de dégager un consensus sur les impacts réels, positifs ou négatifs, de la mixité à différentes échelles (quartier, site ou bâtiment) (Avenel, 2005 ; Lees, 2008 ; Bretherton et Pleace, 2010 ; Joseph et Chaskin, 2010). Malgré cela, on en fait la promotion sans certitude qu’elle permet d’atteindre les objectifs (Avenel, 2005 ; Graham et al., 2009). C’est pourquoi un certain scepticisme se dégage de l’étude des objectifs poursuivis dans la mise en place des politiques, projets ou stratégies de mixité sociale (Atkinson, 2005 ; Bacqué et Fol, 2005 ; Cheshire, 2009 ; Graham et al., 2009).

Les administrations publiques se font reprocher de favoriser la mixité sociale comme stratégie de gentrification et de « nettoyage social » (Lees, 2008). Or, tel que souligné par Lees (2008), les programmes de mixité sociale utilisent rarement le terme « gentrification », lui préférant des termes tels que « renaissance urbaine », « régénérescence », « revitalisation », voire « durabilité », même lorsque la gentrification est, du moins en partie, un objectif à atteindre. Germain et Rose (2010) se sont questionnées sur les véritables objectifs poursuivis par la Ville de Montréal dans sa Stratégie d’inclusion de logements abordables dans les nouveaux développements résidentiels et avec d’autres programmes favorisant la mixité sociale. Plus spécifiquement, elles se sont demandé si ces outils de programmation de mixité sociale sont utilisés afin de contrôler minimalement le processus de gentrification et de le rendre ainsi plus acceptable. Or, la question du contrôle des processus de gentrification doit être examinée, car, si rien n’est fait pour les stopper, ces processus continueront de prendre de l’expansion et éventuellement, plutôt que d’augmenter la mixité sociale et la diversité, les diminueront (Lees, 2008).

Dans cette dynamique sociorésidentielle des ménages qui serait induite par la transformation de l’environnement physique, il ne faut pas oublier que les ménages sont influencés par différents facteurs (ou stimuli) dans leurs choix de (re)localisation résidentielle. Aux caractéristiques de l’environnement physique et social et des contraintes budgétaires (incluant le marché du logement) s’ajoutent le cycle de vie, les caractéristiques socioprofessionelles, le style de vie et l’identité culturelle des ménages, qui ont tous une incidence sur leurs besoins et aspirations résidentielles. Ainsi, certains ménages préféreront vivre dans un environnement social diversifié, c’est-à-dire dans un quartier caractérisé par la mixité sociale, tandis que d’autres voudront vivre à proximité de leurs semblables. Selon Avenel (2005), ce serait le cas des classes moyennes, car elles craindraient que l’environnement physique et social des quartiers pauvres soit à la base d’une forme de déclassement social et qu’il ne constitue pas un environnement stimulant pour leurs enfants. Joseph et Chaskin (2010) vont même jusqu’à affirmer que l’augmentation de la mixité sociale peut rendre les résidants plus conscients des différences de classes et ainsi contribuer au syndrome du « pas dans ma cour », ou encore contribuer au désir de changer les normes locales et les pratiques, par exemple dans ce qui est acceptable ou non comme comportement dans les espaces publics (voir Schaller et Modan, 2005 pour un exemple à Mount-Pleasant, Washington DC).

Le Faubourg Saint-Laurent : un quartier en transformation

Le Faubourg Saint-Laurent est l’un des 10 quartiers de l’arrondissement de Ville-Marie. En plus de secteurs à vocation plus résidentielle, surtout dans sa partie est, Le Faubourg abrite de nombreuses fonctions de centre-ville : des infrastructures culturelles (Place des arts), d’éducation supérieure (Université du Québec à Montréal, cégep du Vieux-Montréal), de santé (hôpital Saint-Luc, des CHSLD), de nombreux espaces commerciaux (Complexe Desjardins, Place Dupuis), des espaces publics (place Émilie-Gamelin, square Viger) et des organismes d’aide aux populations pauvres ou marginalisées. La forte présence de populations marginalisées créerait, par ailleurs, certaines tensions dans le partage des espaces publics (Morin et al., 2008).

Le Faubourg a connu un important déclin démographique entre 1961 et 1991, avec une population totale qui est passée de 15 000 résidants en 1961 à seulement 6800 en 1991 (Burgess, 2009). Mais, depuis une dizaine d’années, le Faubourg est témoin de transformations importantes de son environnement physique et social. Des grands projets urbains se sont implantés : la Grande Bibliothèque (BANQ), en 2004, le Quartier des spectacles, en 2009, et le CHUM, dont l’ouverture est prévue en 2016. À ces projets s’est ajoutée la construction de plusieurs projets résidentiels de logements en copropriété. Entre 2001 et 2011, la population totale des secteurs de recensement couvrant le territoire du Faubourg [2] a augmenté de près de 17 % pour atteindre 14 819 résidants dans 9796 ménages. Cette augmentation cache une grande disparité entre les secteurs de recensement, ceux à l’est ayant connu une diminution ou une relative stabilité démographique, tandis qu’à l’ouest, les secteurs ont connu une augmentation de 26 % à 85 %. On s’attend à ce que cette augmentation se poursuive durant les prochaines années. En 2012, la Ville avait déjà approuvé une vingtaine de projets résidentiels pour un total de 761 logements en copropriété et 210 logements locatifs. C’est sans compter les 919 logements en copropriété en chantier. Dans la partie est qui comprend moins de lots vacants, seulement 342 logements en copropriété ont été approuvés pour la même période. Au terme de ces projets, c’est 2022 logements, sur un potentiel estimé par la Ville à 4500, qui auront été construits (figure 1). On peut supposer que les grands projets urbains ont contribué à rendre le quartier plus attrayant pour une nouvelle population résidante et que le PPU Quartier des spectacles – Pôle du Quartier latin y contribuera. « Vivre, apprendre, créer, se divertir » constitue la vision du PPU qui comprend 13 priorités d’action touchant le design urbain, la piétonisation de voies de circulation, la rénovation de façade, la revitalisation des artères commerciales, l’animation du domaine public ainsi que la construction résidentielle (Ville de Montréal, 2012).

La population du Faubourg est principalement composée de ménages plus petits, avec moins d’enfants, plus de personnes âgées et possédant une scolarité plus élevée que la moyenne de la ville (tableau 1). À ces caractéristiques, il faut ajouter une plus petite proportion de propriétaires (malgré une augmentation de 8 points de pourcentage en 10 ans) et davantage de ménages locataires qui consacrent 30 % ou plus de leur revenu pour se loger. Certaines de ces caractéristiques se concentrent dans des secteurs spécifiques du Faubourg. Par exemple, à l’exception du secteur des Habitations Jeanne-Mance, un développement de logement social, on trouve une plus grande proportion d’enfants de moins de 15 ans dans le secteur nord-est du territoire, à vocation plus résidentielle. C’est aussi le cas de la diplomation universitaire, du revenu moyen des ménages, de la proportion de propriétaires et de la proportion de logements faisant partie d’un ensemble de logements en copropriété, qui se concentrent davantage dans un secteur contigu au CHUM et dans le Quartier des spectacles (figure 2).

Figure 1

Projets en chantier et projets approuvés en 2012

Projets en chantier et projets approuvés en 2012

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Tableau 1

Quelques caractéristiques de la population

Quelques caractéristiques de la population
Source des données brutes : Statistique Canada, recensement de 2011

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Figure 2

Quelques caractéristiques de la population

Quelques caractéristiques de la population

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Méthodologie

Les transformations physiques et sociales

L’analyse de l’évolution de la fonction résidentielle a été faite à partir des bases de données des rôles d’évaluation foncière pour les années 2004 et 2011 et d’une base de données cartographiques de l’arrondissement Ville-Marie de la ville de Montréal. Le rôle d’évaluation est un résumé de l’inventaire des immeubles sur le territoire. Il contient différentes informations nominatives, quantitatives et qualitatives telles que la valeur des terrains et des bâtiments, le nombre d’unités de logement, le type de bâtiment, le mode de tenure, les conversions du mode de tenure, ainsi que les adresses. Ces informations sont répertoriées par unité d’évaluation foncière, c’est-à-dire par immeuble (terrain, bâtiment ou meuble). Afin de rendre possible la spatialisation des données, les bases de données ont été uniformisées. L’opération a consisté à agréger les unités d’évaluation foncière localisées à la même adresse. Cette opération de standardisation a entraîné une certaine perte de précision, mais les résultats obtenus illustrent très bien les grandes tendances de l’évolution du foncier du Faubourg Saint-Laurent.

Perceptions du milieu de vie

Cette partie de la recherche s’intéresse plus spécifiquement aux perceptions et attentes des résidants quant à leur milieu de vie. Au printemps et à l’été 2013, une première série d’entretiens, d’une durée de 60 à 90 minutes, a été faite auprès d’une vingtaine de résidants du Faubourg. Les répondants ont été contactés par la méthode boule de neige, et les contacts initiaux proviennent du réseau de la Table de concertation du Faubourg Saint-Laurent, un forum d’échange sur des préoccupations du milieu. La technique de prise de contact a favorisé une sélection de résidants, sans égard à la durée de résidence dans le Faubourg, ayant manifesté à un moment ou à un autre certaines préoccupations quant à leur milieu de vie, par exemple, en assistant à des réunions d’information sur des projets prévus dans le quartier. Une deuxième série d’entretiens est en cours auprès de résidants plus « éloignés » de la Table, incluant notamment de nouveaux résidants dans les complexes résidentiels luxueux du Quartier des spectacles, des étudiants et des jeunes familles.

Le profil des résidants interviewés est varié, tant au niveau de la durée de résidence dans le quartier (de 2 à 30 ans) que de leur parcours de vie. L’échantillon est composé de 6 femmes et 14 hommes âgés de 30 à 70 ans. Il comprend notamment d’anciens itinérants (2), des résidants de logement social (2), des professionnels à l’emploi (8), des non-professionnels (7), des retraités (5). Aucun interviewé n’a de jeunes enfants à la maison. Tous sauf un habitent dans la partie est du territoire du Faubourg. Les entretiens ont touché plusieurs thèmes : la satisfaction résidentielle et les attentes concernant le milieu de vie ; les perceptions des transformations physiques et sociales du Faubourg, incluant les grands projets urbains dans le quartier et son environnement immédiat ; et, finalement, la vie de quartier.

L’évolution du foncier dans le Faubourg

Typologie résidentielle

La typologie résidentielle du Faubourg est assez représentative de ce qu’on trouve à l’échelle de l’arrondissement. Sur les quelque 9400 logements du Faubourg, plus de 6500 (60 %) sont dans des bâtiments multiplex de 12 logements et plus (avec ou sans commerce). La répartition spatiale des logements varie selon la typologie des bâtiments : les plus petits tendent à se concentrer dans la partie est du territoire. Pour ce qui est des grands (12 logements et plus), on en trouve un peu partout sur le territoire, mais ils tendent à se concentrer davantage au sud du boulevard René-Lévesque, notamment près du CHUM, et le long de la rue Sherbrooke. Finalement, les immeubles à usage mixte (commerce et logement) se concentrent le long des principales rues commerciales, dont la rue Saint-Denis et le boulevard Saint-Laurent.

Le nombre de logements a augmenté, dans toutes les catégories, entre 2004 et 2011, mais de façon beaucoup plus marquée pour les multiplex de 12 unités et plus avec commerce. En parallèle, des bâtiments ont été détruits à proximité du CHUM, et 142 logements sont passés du mode de tenure normale (locatif ou en copropriété indivise) à la copropriété divise. À cela s’est ajoutée la construction de 242 logements en copropriété divise dans des espaces interstitiels. Il n’est donc pas étonnant que le taux de propriété ait augmenté. Ces projets ont contribué à la densification (physique et démographique) du territoire.

Les valeurs foncières

La valeur foncière moyenne des unités de logement (terrain et bâti) du Faubourg Saint-Laurent, tous types de bâtiments confondus [3], s’élevait à près de 200 000 $ en 2011 (en dollars actualisés), ayant presque doublé en sept ans. Cette augmentation est plus élevée que dans l’ensemble de l’arrondissement (69 %) ce qui pourrait indiquer un effet de rattrapage à la suite de la construction de logements plus luxueux ou de la rénovation résidentielle faisant augmenter la valeur. Cette question mériterait une recherche plus poussée, car s’il est vrai qu’on note des valeurs plus élevées, dans certains cas, pour les conversions et les nouveaux logements en copropriété, dans l’ensemble, les valeurs plus élevées s’observent partout, toutes catégories confondues. Ces valeurs ne se répartissent pas également sur le territoire. Ainsi, les valeurs foncières moyennes plus élevées, par unité de logement, se retrouvent davantage à l’est du territoire, dans différents types de bâtiments (figure 3). On remarque le même phénomène pour ce qui est de l’augmentation moyenne des valeurs par unité de logement, plus importante à l’est du territoire.

Figure 3

Valeurs foncières moyennes (terrain et bâti) des unités de logement supérieures à la moyenne du territoire du Faubourg en 2011 (excluant les bâtiments avec commerce)

Valeurs foncières moyennes (terrain et bâti) des unités de logement supérieures à la moyenne du territoire du Faubourg en 2011 (excluant les bâtiments avec commerce)

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Le Faubourg Saint-Laurent : un milieu de vie

En général, les répondants, quel que soit leur profil, s’entendent sur les qualités de leur milieu de vie. Même si certains se déclarent résidants du centre-ville (5), d’autres du Centre-Sud (1), de Ville-Marie (1), du Quartier latin (5) voire du Quartier des spectacles (8), ils apprécient tous vivre dans un quartier central pour la grande proximité des commerces, des services et des activités, dont ils profitent fréquemment, ainsi que pour l’accessibilité et les facilités de transport. Plusieurs apprécient particulièrement les nouveaux équipements culturels du Quartier des spectacles et la Grande Bibliothèque. Ils aiment également le dynamisme du quartier, grâce à la diversité des usages, mais également de la population. Cette mixité sociale reste recherchée pour la vitalité qu’elle insuffle au quartier.

Lorsque questionnés plus directement sur les transformations physiques et sociales de leur milieu de vie, plusieurs répondants considèrent qu’il y a eu certaines améliorations physiques. Le Faubourg serait mieux entretenu, les nouveaux projets dont la Place des festivals, la Grande Bibliothèque voire la place Émilie-Gamelin (malgré les problèmes de toxicomanie et d’itinérance) donneraient une meilleure image du Faubourg. Certes, les problèmes de pauvreté et de populations marginalisées seraient toujours présents, se seraient même aggravés selon certains, ou du moins seraient plus visibles.

Plus ça avance, pire ça devient. […] On améliore les choses dans le centre-ville comme tel où sont les grands magasins et tout, et on pousse les gens par ici, les indésirables entre guillemets.

Homme, résidant depuis 4 ans

Des intervenants du milieu avaient déjà souligné le manque de tolérance de nouveaux résidants face à la visibilité des problèmes sociaux historiques des quartiers centraux (Bélanger et al., 2013). Cette intolérance se manifesterait même à l’endroit des services sociaux et des institutions qui tentent d’atténuer ces problèmes (Ibid.). Dans notre enquête, seule une participante a manifesté un certain niveau d’intolérance. Propriétaire depuis 11 ans d’un logement en copropriété dans le quartier, elle s’était opposée à l’implantation d’un organisme venant en aide aux toxicomanes.

Quant aux transformations sociales, la plupart des personnes enquêtées ont observé l’augmentation de la population qui aurait un profil différent de la population traditionnelle du secteur. Les résidants des nouveaux projets de logements en copropriété contribueraient au processus de gentrification. Cette gentrification, souvent nommée, est perçue positivement par trois répondants et négativement par deux. En plus des différences socioéconomiques, plusieurs répondants ont mentionné l’absence des familles et l’importance de la population étudiante dans le Faubourg. Mis à part quelques tensions jugées sans grande importance entre voisins, la cohabitation serait pacifique.

Les gens qui habitent le quartier, je pense que ça change, depuis qu’on habite ici, on voit s’élever des édifices condominiums qui ne sont pas accessibles à des gens qui ont des revenus trop bas, sont accessibles aux gens qui ont des revenus élevés et ça va changer les gens qui vont être dans le quartier. Moi je suis pour la mixité partout.

Homme, retraité, habite le quartier depuis huit ans

L’augmentation de la population fait aussi en sorte que la proximité entre les voisins diminue. Il y a une détérioration de l’environnement physique par endroit.

Homme, plus de 50 ans, habite le quartier depuis 23 ans

Les espaces publics

Les répondants disent utiliser les espaces publics du Faubourg, notamment la Grande Bibliothèque, les rues commerciales (Sainte-Catherine, Saint-Denis et Saint-Laurent), la Place des arts et la Place des festivals. Cette dernière est appréciée par plusieurs répondants, mais davantage pour sa programmation que comme espace ouvert faisant partie intégrante du milieu de vie. Le design « pas très chaleureux mais beau », pour reprendre les mots d’un résidant, ne favorise peut-être pas son appropriation, rendue difficile une bonne partie de la saison estivale. Et les nombreuses activités qui se succèdent, attirant les foules et dont les impacts « débordent » dans le reste du quartier, créent quelques frustrations.

Quant à d’autres espaces, tels que la place Émilie-Gamelin, on s’entend pour dire que des efforts ont été déployés pour sa revitalisation, avec plus ou moins de succès. Les problèmes sociaux y restent très visibles, davantage lorsqu’il n’y a pas d’activités programmées. Mais certains répondants sont aussi des usagers, dont une résidante de très longue date, qui fait l’effort d’y aller pour lire, car « si on n’y va pas, le parc sera approprié par les toxicomanes ».

Les usagers des espaces publics du Faubourg proviendraient de toutes les classes socioéconomiques, incluant une présence marquée d’itinérants et de toxicomanes où « chacun fait son affaire », selon la majorité des répondants. L’exception resterait la Place des festivals, où la pauvreté serait moins visible, pour ne pas dire invisible. Dans l’ensemble, à l’exception de quelques malaises face aux populations marginalisées, les résidants n’ont pas observé de conflits clairs entre les différents types d’usagers des espaces publics. Certains ont toutefois noté des tensions entre les vendeurs de drogue, ainsi que quelques comportements intimidants de la part de populations aux prises avec des problèmes de santé mentale. Une résidante a même mentionné les problèmes liés à la présence de gangs de rue aux abords de la place Émilie-Gamelin durant un certain temps, problèmes plus criants en raison du comportement violent et territorial des vendeurs de drogue face à la population « ordinaire » de l’espace.

Mégaprojets et revitalisation

Les répondants connaissent la plupart des projets en cours dans le Faubourg et ses abords. Parce que le projet du Quartier des spectacles (PPU) vise une population de touristes et de « jeunes professionnels branchés », certains répondants s’attendent à ce que le processus de gentrification en cours se poursuive. Selon eux, des ménages plus jeunes remplaceront peu à peu une population plus âgée et moins fortunée dans les logements existants, à quoi s’ajoutera l’arrivée d’une population plus fortunée dans les nouveaux logements en copropriété. Plusieurs ont manifesté un certain pessimisme quant à la pression immobilière que les grands projets engendreront.

En outre, cette population de plus en plus riche qui s’installe est moins impliquée dans la vie communautaire et fera augmenter les pressions pour régler les problèmes sociaux. Mais pour d’autres résidants, les nouveaux arrivés devront « mettre de l’eau dans leur vin » puisque c’est le centre-ville et non un quartier jet-set.

Les nouveaux résidants ont des attentes envers le quartier. Ils n’assument pas la vraie nature du quartier. Eux vont contribuer à mettre de la pression sur les anciens résidants. Les nouveaux résidants vont pousser pour évacuer ce qui est indésirable, ce qui va contribuer à aseptiser le quartier.

Homme, habite le quartier depuis quatre ans

Les principales critiques face aux grands projets en cours touchent à l’identité du lieu et aux craintes d’homogénéisation que ces projets risquent d’insuffler au Faubourg Saint-Laurent.

Donc, le quartier des spectacles tu veux l’étendre jusqu’à où ? Il y a d’autres choses que le spectacle, il y a du monde qui respire, puis qui vit. Les bars, les clubs, les théâtres puis tout ça, il y en a, parfait, mais il faudrait avoir peut-être des maisons. […] Ces projets n’essayent pas de conserver l’identité de l’histoire du quartier, pas beaucoup.

Homme, ancien itinérant, résidant depuis deux ans

Je pense qu’on est en train de faire une ville américaine du troisième millénaire, c’est-à-dire que la Place des spectacles, ça pourrait être à Berlin, à Montevideo ou à Barcelone. Il n’y a pas de caractère ou de référence à la culture québécoise ou à la culture historique de Montréal.

Homme, retraité, habite le quartier depuis huit ans

Conclusion

Les grands projets urbains font partie de la boîte à outils des décideurs pour la revitalisation des quartiers en déclin. L’étude des impacts sociaux de ces projets est particulièrement d’intérêt, car on estime que la revitalisation sera bénéfique pour tous les résidants grâce à l’amélioration physique des quartiers et l’attrait que ceux-ci auront alors pour les investisseurs, touristes, travailleurs et résidants. Que nous enseigne cette étude exploratoire du Faubourg Saint-Laurent ?

Le Faubourg, quartier central habité, est en transformation avec l’implantation de grands projets urbains misant sur des fonctions centrales et visant, plus particulièrement dans le cas de certains projets, une population résidante de « jeunes urbains branchés ». La population est en augmentation notable et cette augmentation devrait se poursuivre durant les prochaines années avec les nombreuses constructions de logements. Cette croissance prend place dans des secteurs spécifiques, là où les espaces vacants permettent la construction de bâtiments de haute densité. Depuis une dizaine d’années, les valeurs foncières sont en augmentation, plus rapidement que dans le reste de l’arrondissement Ville-Marie. Mais ce rattrapage apparent ne semble pas seulement le fait de nouvelles constructions luxueuses ou de grands projets de réhabilitation résidentielle. L’ensemble du parc de logements semble être sous pression. Cette question nécessitera des études supplémentaires.

Les répondants choisis pour cette étude l’ont été pour leur préoccupation à l’égard de leur milieu de vie. Ils connaissent les projets récents et en cours et apprécient l’amélioration physique que ces projets apportent. Ces résidants s’entendent sur les qualités du quartier, sa centralité et son accessibilité. Ils s’entendent également sur les défauts, principalement les problèmes d’itinérance et de toxicomanie toujours présents dans le quartier malgré l’amélioration de l’environnement physique. Les résidants craignent une augmentation de la pression immobilière et l’augmentation des valeurs foncières. À ce stade, les répondants sont conscients du processus de gentrification en cours, mais ne notent pas de tensions particulières entre les résidants, même si on observe une perte de la vie de quartier. Les tensions sont plus palpables pour quelques résidants face aux populations marginalisées, mais ces personnes semblent ne représenter qu’une minorité. Cette question de l’impact de la cohabitation des résidants avec les populations marginalisées sur les perceptions des milieux de vie et la satisfaction résidentielle nécessitera d’être approfondie. Et cela, d’autant plus si se poursuit le processus de gentrification alimenté par les projets récents ou en cours, tel que l’estiment la plupart des répondants. En somme, d’autant plus que la revitalisation du Faubourg à la suite de l’implantation de grands projets sera un facteur de changement social.