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La République de Corée, depuis son adhésion à l’ONU en 1991, insiste pour que la communauté internationale renomme la mer du Japon qui la jouxte en «mer de l’Est» (forme: 012314aro001n.png ou Donghae). Ce nom-ci est le seul reconnu par la loi coréenne et toute la cartographie officielle et privée en fait foi dans ce pays; on n’y veut aucunement référer à l’ancienne puissance impériale, qui l’avait colonisé. Une société nationale y a même été constituée pour promouvoir ce projet de modification de l’appellation, jugée erronée, de cette entité de la toponymie maritime mondiale. Le nom de mer du Japon, déjà bien établi depuis plus d’un siècle, fut officiellement reconnu par l’Organisation Hydrographique Internationale en 1928.

À l’appui de leur revendication, les ambassades coréennes ont, entre 2001 et 2003, répertorié 386 cartes parmi environ 600 documents européens du XVIe au XIXe siècles (en insistant grandement sur le XVIIIe) faisant partie de fonds cartographiques occidentaux (États-Unis, France, Allemagne, Russie, Royaume-Uni).

Le résultat paraît dans ce livre en format A4, présenté comme un «compte-rendu systématique de la situation» pour «corriger une erreur injustifiée», sur le ton polémique qui convient peu à un inventaire ou une compilation commentée à caractère scientifique. Sans entrer dans le débat, et tout en reconnaissant l’effort investi par diverses équipes mandatées par les ambassades (des «consultants», sans expertise particulière), il nous faut considérer ce corpus strictement selon certains critères de scientificité pour mener une analyse cartographique raisonnée. Le résultat est décevant. Un examen attentif révèle surtout un travail d’amateurs effectué sans méthode d’analyse cartographique sérieuse, produisant des erreurs grossières, des redondances accumulées, des pseudo-principes faux ou dévoyés, des confusions biaisées d’appellations dans une même classe, et des conclusions contraires à l’argument invoqué. Dommage.

On y retrouve donc jusqu’à 200 assez bonnes reproductions (deux par page) de documents complets, avec leur extrait agrandi de la zone en question, la rendant plus facile à lire et à comparer. On ne notait que l’inscription figurant dans cette zone, sans considération pour la couverture géographique ou maritime de chaque carte ni pour les inscriptions en dehors de la zone. Toutes les cartes consultées (soit près du double) sont identifiées dans des tableaux de compilation par pays, mais la valeur de chacune ou l’autorité de leur auteur ne sont pas établies selon les époques ou les éditeurs. Or les compilateurs leur accordent a priori une haute considération, une sorte de force probante et objective puisque les cartographes et navigateurs auraient été de mieux en mieux informés de la réalité et donc de l’appellation «correcte» de cette mer. Ce n’est véritablement pas le cas, à la vue des cartes montrées qui sont de qualité très variable et dont la justesse d’information n’a sûrement pas été cumulative dans le temps, concernant des rivages si lointains.

On n’a reproduit que les cartes indiquant une appellation «reliée à la Corée» ce qui, sans aucune explication, inclut la «mer de l’Est». En fait, l’exercice consistait plus à démontrer la rareté d’une appellation reliée au Japon jusqu’au début du XIXe siècle, soit pendant l’ère de fermeture, qu’à prouver la justesse d’utiliser un neutre descriptif cardinal (quoique local et spécifique à la péninsule coréenne) comme la «mer de l’Est». Dans bien des cas, il s’agit en fait de versions, copies ou filiations de fonds cartographiques antérieurs (en particulier ceux de Guillaume de l’Isle), tout à fait reconnaissables à leur facture et à leur contenu, d’où la perpétuation des mêmes tracés de côtes et des appellations, ce qu’on accumule comme autant d’occurrences de preuve. Les documents présentés prouvent plutôt par leur nombre, même en réduisant ces redondances, que le nom de mer de Corée fut autrement plus utilisé que celui de mer de l’Est ou mer Orientale mineure pour désigner spécifiquement cette entité. Cela est symptomatique dès la couverture du livre où un encart d’agrandissement cartographique présente justement en son centre: «Corean Sea»!

Les Coréens insistent sur la position de cette mer par rapport à l’ensemble immense du continent eurasien. D’ailleurs, cet argument est aussi incongru, pour plusieurs raisons: ce ne constitue pas la mer la plus orientale ni la plus importante à l’est du continent; il y a déjà une autre mer de l’Est tout près, soit la mer de Chine orientale (fait qu’on ignore), dont elle ne serait qu’une extension; l’orientation cardinale utilisée pour identifier une mer n’est pas un nom propre mais une désignation par défaut, qui s’est avérée régressive partout sauf en mer du Nord; quelques cartes présentées démontrent que cette mer faisait partie d’un vaste «océan Oriental» pour les explorateurs et cartographes d’alors.

On ne peut aucunement conclure que cette compilation cartographique des Coréens respecte les conditions méthodologiques qui auraient pu appuyer leur revendication politique de reconnaissance de la «mer de l’Est» comme appellation valable pouvant remplacer celle de la mer du Japon.