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L’ouvrage, coordonné par deux universitaires, l’une française et l’autre canadien, spécialistes de la littérature des voyages, rassemble les communications données à l’occasion d’une journée d’étude organisée en novembre 2004 par le Centre de recherches interactions culturelles européennes de l’Université de Bourgogne, autour de l’ouvrage de Charles de Brosses, l’Histoire des navigations aux terres australes, publié en 1756. Dans la lignée de la fameuse Histoire générale des Voyages de l’abbé Prévost (1746) ou encore des Lettres sur les progrès de Maupertuis (1752), l’auteur, alors président du parlement de Bourgogne, mais aussi actionnaire de la célèbre Compagnie des Indes, réalisait une vaste synthèse des écrits, mi-réels mi-fictifs (relations de voyages, journaux de bords, essais, etc.), consacrés à la présentation du continent austral, encore à découvrir. Ce vaste territoire émergé, supposé être situé au sud de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique, aiguisait alors la curiosité de toute la société intellectuelle et scientifique européenne, et ce, avant que la publication de la relation des voyages de Cook (1768) ne vienne briser le mythe.

L’ouvrage de Charle de Brosses, qui s’inscrit pleinement dans l’esprit de son époque, à savoir une démarche encyclopédique associant une meilleure connaissance géographique à des visées commerciales et expansionistes (ici, celles du royaume de France), dépasse toutefois la simple compilation pour proposer une réflexion des plus passionantes, rassemblée en deux chapitres reproduits (les livres I et V de l’édition originale, encadrant les trois autres livres consacrés à la synthèse des témoignages sur les terres australes). L’auteur s’interroge d’une part sur les avantages que tirerait son pays d’engager une expédition dans ces confins, et d’autre part sur les moyens de favoriser plus particulièrement un premier point d’implantation, qu’il propose d’établir sur l’île de Nouvelle Bretagne (située dans l’Archipel des îles Bismark). Comme le souligne Jean-Michel Ricault, l’un des cinq auteurs des textes accompagnant cette réédition partielle, le projet colonial de Charles de Brosses s’apparente à divers programmes coloniaux (donc certains alors déja réalisés, telles les réductions jésuites du Paraguay) « qui se donnent pour objectif une construction sociale originale à partir de la table rase de l’état de nature ». Notons que l’auteur envisage une colonisation de type pénitentiaire, les déportés fournissant ainsi la main-d’oeuvre nécessaire. Quant à la dimension utopique du projet, elle tiendrait plutôt à la finalité historique de la colonisation, celle-ci étant envisagée « comme l’agent du progrès des lumières, de l’unification graduelle du monde par les échanges [et] de la transformation du “matériau humain” », qu’il s’agisse des naturels ou des déportés d’Europe à réformer (Ricault).

Les cinq autres textes accompagnant cette réédition sont de même passionnants, nous présentant et décortiquant tout un échantillon de figures hautes en couleurs, attachées à ses confins australs, tel l’homme de guerre et historien protestant Lancelo Voisin de La Popelinière (1540-1608), adepte du modèle de colonisation portugais, soit plutôt qu’une occupation intégrale du territoire à l’espagnole, un semis de ports et de places fortes où l’on commerce avec les indigènes, si possible dans une ambiance amicale.

Au final, nous regretterons seulement l’absence de toute discussion préalable sur la notion de mythe, à propos de laquelle, par exemple, les Cahiers de géographie du Québec ont consacré jadis un numéro spécial (Mythes et géographie : des relations à repenser, vol. 45, n° 106, décembre 2001).