Corps de l’article

La proposition que m’a faite Rémy Tremblay de contribuer par un article à un recueil qu’il préparait en collaboration avec une collègue étasunienne, Susan Hardwick, sur les parcours personnels de géographes d’origine américaine faisant carrière au Canada et d’origine canadienne engagés dans des universités américaines, est arrivée à un bien mauvais moment. J’ai dû refuser. Dommage, car je crois que mon histoire aurait été d’intérêt pour ce petit recueil déjà assez riche.

Transnational Borders/Transnational Lives est un livre peu épais (140 pages) et vite lu. Il est composé d’une introduction et de neuf chapitres dont le premier, écrit de la main de Mme Hardwick, justifie le choix de l’approche autobiographique en géographie. La coauteure y présente deux cartes qui illustrent, d’une part, pour l’année 2007, la distribution de la population née au Canada répartie sur le territoire des États-Unis et, d’autre part, l’évolution de cette population depuis 1970. Ensuite, deux cartes montrant le phénomène contraire : la présence de la population née aux États-Unis habitant le Canada en 2006, et son évolution depuis 1970. Une cinquième carte (Immigration américaine vers le Canada avant 1920) apporte une dimension historique aux déplacements entre les deux pays. Ce phénomène aurait commencé, selon Hardwick, au XVIIIe siècle par la déportation des Acadiens vers les colonies anglaises et, peu de temps après, par l’accueil en territoire britannique des Loyalistes venus du Sud.

Suivent huit chapitres qui sont, en fait, des témoignages de géographes universitaires ayant choisi de traverser la frontière canado-américaine pour gagner leur vie, quatre dans un sens, quatre dans l’autre. On découvre que c’est surtout avec trépidation que les Canadiens s’installent aux États-Unis. Kate Swanson trouve pas mal loin San Diego, mais le doux climat et la facilité à créer un réseau social compensent. Le choc est terrible pour Nien Tu Huynh qui se déplace, dans un premier temps à San Marcos, Texas – choc qui s’amenuisera deux ans plus tard par un emploi dans les bureaux de l’Association des géographes américains à Washington D.C. Pour Patrick Lawrence et David Rossiter, le Canada n’est pas loin. À Toledo, en Ohio, Lawrence peut conserver sans difficultés ses réseaux ontariens, et à l’University of Western Washington, Rossiter peut se permettre d’acheter une maison à Vancouver et de voyager 50 km pour se rendre au travail chaque jour. Il manque dans cette section du livre – et c’est une lacune majeure – le témoignage d’un géographe francophone poursuivant sa carrière universitaire aux États-Unis.

Quant aux géographes d’origine étasunienne au Canada, deux travaillent au Québec et deux en Ontario. Les deux exemples québécois sont particulièrement percutants, surtout celui de Mario Polèse qui, jeune homme aux origines ethniques assez inusitées, a flirté longtemps avec le Québec avant de pouvoir s’y établir définitivement. Pour Patricia Martin, à l’Université de Montréal, la métropole lui a ouvert des portes insoupçonnées, la rapprochant du Mexique et de l’Amérique latine. Je n’en dis pas plus. Il faut lire son chapitre pour comprendre. Après avoir joué dans les « ligues majeures de la géographie », Jeff Boggs a fait le long trajet de Los Angeles (UCLA) à St. Catherines (Brock University). Après une période d’adaptation difficile, il semble s’être fait à l’idée de jouer maintenant dans « les ligues mineures ». Comme sa collègue Elizabeth Lunstrum, qui a quitté Minneapolis pour le « Great White North », s’agissant de York University, Boggs apprécie les avantages sociaux que le nouveau pays offre : soins médicaux, service de garde, contrôle des armes… Il aurait été important d’inclure un texte ou deux parvenant de l’Ouest du pays.

Deux aspects du bouquin m’ont agacé : d’abord, la référence constante et persistante au 49e parallèle comme frontière entre les deux pays. Oui, cette ligne invisible les sépare sur à peu près la moitié de la distance est-ouest, mais pas plus. J’habite Québec (46°48’). La latitude à Toronto est 43°42’. Même Thunder Bay se trouve au sud du 49e, à 48°42’. Voyons donc, ne faisons pas du Canada un pays encore plus nordique qu’il ne l’est ! Ensuite, l’utilisation du terme partner pour décrire des couples hétérosexuels qui font face à la décision d’émigrer. Peut-être me suis-je assez éloigné de l’anglais pour comprendre que la langue évolue et qu’un mot n’a plus la même signification que dans mon temps. Ou bien, suis-je tout simplement vieux jeu ? Peu importe, je trouve que le mot partners, dans le contexte évoqué ici, laisse beaucoup à l’imagination et porte à confusion.