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Le problème auquel tente de s’attaquer l’ouvrage de Vincent Renauld, c’est celui de l’usage des écoquartiers français de la dernière décennie. L’auteur postule qu’il y aurait, dans ce type d’aménagement durable, plus ou moins progressiste, des « décalages » entre les savoir-faire professionnels et les savoir-vivre populaires. Et la raison principale viendrait du fait que le phénomène de la durabilité est devenu « le nouveau mode de production et de consommation de masse », porté par l’offre incessante des innovations techniques, fer de lance de l’économie capitaliste. Ainsi, les savoirs deviennent obsolètes et les usages inadaptés, car l’acteur, agissant sur son présent et sur son devenir, n’existerait pas. Il est un simple consommateur d’espace, ici, un habitant à l’aptitude mal « instrumentée ». De même, la « pédagogie stratégique » adaptée par des professionnels, quant à l’usage quotidien des innovations techniques, les rendrait « contre-productives ». Pour illustrer son propos, l’auteur s’appuie sur trois exemples, qualifiés d’emblématiques, soit celui du sol écologique inadapté, celui des interrupteurs coupeurs de veille détournés par les habitants et, enfin, celui de la façade végétale des habitations, perçue comme envahissante.

Précédemment à la démonstration centrale, sur le hiatus entre innovations techniques et usages sociaux (chap. IV), un bref historique des écoquartiers et des villes durables françaises (chap. I) sert d’avant-propos sur l’analyse de la production économique de l’habitat français (chap. II). Le chapitre suivant porte sur la projection sociale de l’usager dans l’appareil productif urbain (chap. III), dont la représentation est jugée « bucolique et traditionnelle ». Les habitants des lieux ne seraient considérés qu’à titre « d’usagers abstraits », et « virtuoses » rendant du coup les innovations écoénergétiques inefficaces. L’auteur conclut que, à partir de trois exemples d’usages d’habitat énergétique, la ville dite durable ne serait qu’une sorte d’ajustement structurel aux exigences de la production.

Cette position critique renvoie aux courants de pensée néomarxiste et postmoderniste qui surdéterminent l’économie et où l’acteur social ne fait que réagir aux préceptes du capitalisme. Au-delà des positions idéologiques, la rigueur méthodologique de la présente recherche versus ses conclusions interpelle. En effet, du point de vue du titre et de l’argumentaire, l’empirique repose exclusivement sur le bâtiment durable et les innovations techniques plutôt que sur les processus d’aménagement des quartiers écologiques, par ailleurs très différents entre eux. Leur fabrication ne se limite pas qu’à des mesures écoénergétiques, mais correspond, le plus souvent, à une démarche d’apprentissage collectif complexe, opposant des pouvoirs et des intérêts, surtout si cette démarche est d’abord issue d’une volonté citoyenne. Dans la littérature sur l’urbanisme durable, le renouvellement du mode de gouvernance et de décision, où l’usager joue un rôle central, est pourtant bien documenté. Le concept de gouvernance participative fait partie intégrante du concept d’écoquartier, ou quartier 21, comme l’illustrent les cas de Lausanne et de bien d’autres villes. Du point de vue analytique, les trois villes françaises choisies et leurs trois quartiers ne sont pas contextualisés, voire présentés, et on reste sur l’impression que les trois exemples d’usages servent davantage de prétexte à défendre une position qu’à comprendre la construction sociale sous-tendue par le mouvement urbanistique durable. Ainsi, sur une base empirique et méthodologique limitée, la généralisation sur l’aménagement durable en France semble démesurée.