Corps de l’article

-> Voir la liste des figures

Le grand mérite de ce petit ouvrage est de venir combler à bon escient un vide éditorial : tandis que les géographes ont très souvent recours à des méthodes qualitatives, il n’existait pas de manuel recensant l’ensemble de ces méthodes pour un grand public, notamment à destination des étudiants de géographie de premier cycle (licence / baccalauréat). Écrit à quatre mains par Marianne Morange et Camille Schmoll, maîtres de conférences en géographie à l’Université Paris-7, le livre s’adresse en effet aux étudiants, et il est donc très didactique. Dans un souci louable de clarté, les auteures développent leur propos en sept chapitres d’égale longueur. Chaque chapitre présente ses objectifs en ouverture, agrémente le propos général d’exemples précis et d’extraits bruts de travaux de géographes, et se referme sur des exercices fort utiles pour les étudiants. Ces derniers, dans une tradition bien française qui prêtera peut-être à sourire de ce côté-ci de l’Atlantique, sont donc véritablement pris par la main, incités à suivre pas à pas les recommandations des auteures au fil de chapitres liés logiquement les uns aux autres.

Ainsi, après avoir présenté l’approche qualitative en géographie (chap. I), l’ouvrage entre dans le vif du sujet avec le triptyque enquête (chap. II), observation (chap. III) et entretien (chap. IV). Il examine ensuite le cas spécifique des cartes mentales (chap. V et en partie chap. VI), puis le traitement et l’interprétation des données (chap. VI) et, enfin, la restitution des résultats (chap. VII). Hormis leur souci pédagogique, l’autre grand mérite de Marianne Morange et Camille Schmoll est d’avoir réussi, dans chaque chapitre, à présenter telle ou telle méthode de manière claire et synthétique tout en incluant systématiquement des extraits de thèses ou d’articles très parlants, permettant aux étudiants d’entrer directement dans la matière et dans les questionnements des géographes de terrain. Ce faisant, elles ne cherchent pas à masquer les problèmes rencontrés sur le terrain, les projets inaboutis, voire les impasses. À ce titre, l’extrait de texte intitulé Rencontrer des travailleuses agricoles marocaines à Cartaya (Espagne) : comment on « balade le chercheur » (p. 44) est éclairant, tandis que l’extrait intitulé Penser avec le corps : comment une panthère a transformé ma thèse est savoureux. Dans les deux cas, l’impasse première est contournée grâce à la souplesse du chercheur, et la situation fermée à l’origine se transforme en une belle occasion de recherche. Une habile façon de suggérer aux étudiants que patience et persévérance constituent souvent les mamelles du succès scientifique.

Doté d’une bibliographie très actuelle, ce petit ouvrage documenté et vivant, écrit dans un style limpide, constituera à n’en pas douter une aide bienvenue pour tous les étudiants de géographie, quel que soit leur niveau (doctorants compris). On ne saurait trop le recommander également aux étudiants de sociologie, d’ethnologie, d’anthropologie, bref à tous ceux qui, comme les géographes, « font du terrain ». Au chapitre, non pas des critiques, mais plutôt des regrets, il eût été souhaitable d’élargir aux contextes ruraux et aux problématiques environnementales le spectre des terrains ici proposés à l’analyse. Même si les auteures justifient ce parti-pris, cela aurait forcément donné un poids encore plus important à leur démonstration. Enfin, à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, et qui plus est, sachant l’usage souvent immodéré que les étudiants font de ces médias, il aurait peut-être été bienvenu d’introduire un chapitre consacré aux analyses de terrain virtuelles : quid des entretiens réalisés sur Internet ? Quelle valeur accorder à un entretien réalisé par Skype par rapport à un entretien réalisé en présentiel ? Comment utiliser les réseaux sociaux à bon escient (en ayant par exemple accès à une cohorte d’« amis » sur Facebook) ? Ces questions, nous en avons conscience, sont d’une actualité trop brûlante pour susciter une réponse définitive. Gageons quand même qu’elles seront abordées à l’occasion d’une éventuelle réédition de l’ouvrage.