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L’auteur de cet ouvrage est un praticien français de l’urbanisme qui a notamment été directeur de sociétés d’aménagement, puis urbaniste-conseil indépendant. Il a également été maire adjoint d’une commune de banlieue parisienne. Dans ce livre, il poursuit deux objectifs liés : d’une part, initier aux questions d’aménagement des villes en France, d’autre part, plaider pour d’autres priorités pour l’urbanisme des prochaines décennies.

Huret se fait volontiers provocant. Il s’agit de dénoncer les pratiques de l’urbanisation en France depuis un demi-siècle : « Il n’y a aucune pensée urbaine, […] simplement une prolifération […] de zones toutes monofonctionnelles » (p. 28). On suivra l’auteur sur certains points de son raisonnement. Ainsi, au moment où se met en place le palier métropolitain dénommé Grand Paris, l’auteur pointe le lourd héritage de l’émiettement communal. La spécialisation à outrance de l’espace de la banlieue parisienne (grands équipements, zones commerciales, parcs industriels, habitat social, zones pavillonnaires, etc.) contraste avec la mixité fonctionnelle et l’urbanité de la commune centre. Le zonage engendre des coupures urbaines, des déplacements automobiles et une certaine relégation sociale qu’avait déjà décrite François Maspéro (1990), il y a 25 ans. De même, l’auteur rejoint un résultat de la recherche sur les « écoquartiers » ou « villes durables » autoproclamées, à savoir que l’immense majorité de la structuration du tissu urbain français demeure antiécologique, générant des déplacements quotidiens qui s’allongent, une dégradation plus fréquente de la qualité de l’air et de la biodiversité, ainsi qu’une ségrégation sociospatiale accrue.

Pourquoi le zonage est-il aussi pratiqué en France ? Marc Huret met cette question en perspective. Après la Deuxième Guerre mondiale, dans un contexte d’urbanisation rapide, l’État français faisait l’urbanisme. Il favorisait l’industrialisation du bâtiment et décidait des implantations nouvelles au gré des occasions, souvent sans tenir compte des oppositions ou des demandes des conseils municipaux. Pour l’auteur, en dépit de la décentralisation et des lois produites pour lutter contre l’étalement urbain, le référentiel du zonage imprègne toujours l’esprit du législateur et celui des élus locaux, qui ont maintenant en charge l’évolution spatiale de leur commune. Les plans locaux procèdent toujours par zonage et ne rendent pas lisibles les orientations futures. On est ici surpris que l’auteur n’évoque pas le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) qui est couplé depuis 2000 aux cartes de destination des sols. Mais on partage avec lui l’idée que l’urbanisme du quotidien est méconnu des citoyens : « Pour que la citoyenneté urbaine existe, il faut que les “gens” puissent s’investir dans la réflexion sur les enjeux du développement urbain et participer au choix et à la mise au point des solutions » (p. 81). Tout reste une affaire de spécialistes : élus locaux, praticiens, promoteurs… Marc Huret aurait pu mettre en exergue la grande diversité des postures et des jeux d’acteurs, notamment selon la qualité de la maîtrise d’ouvrage.

Pour changer l’urbanisme, l’auteur appelle à une grande mobilisation, des habitants aux professionnels en passant par les intellectuels. Mais plutôt que de s’appuyer sur des initiatives d’habitants qui se développeraient à l’écart des politiques publiques, il pousse à l’adoption d’une nouvelle législation, radicale. Sur cette base, l’agenda 2020-2040 évoqué dans le titre consisterait à énoncer à l’échelle des agglomérations un projet de ville, c’est-à-dire un ensemble cohérent d’objectifs à poursuivre et de programmes à réaliser. Ce projet ferait preuve de pédagogie. Par exemple, il serait illustré par des cartes présentant les limites de la ville, ainsi que les centralités existantes et à renforcer. Partisan de la mixité entre l’habitat, les emplois, les équipements et les services, Huret s’attache en particulier au commerce parmi les fonctions à réintégrer dans les quartiers et les bourgs. Selon nous, il aurait pu réfléchir également aux activités manufacturières, dans la mesure où les progrès faits dans les nouvelles technologies rendent parfois possible leur réintroduction dans des espaces à dominante aujourd’hui résidentielle.

Au final, ce livre mêle à la fois l’utopie et le concret. Son impertinence et sa pertinence sont susceptibles d’intéresser un large public, notamment des étudiants qui compléteront ainsi leur approche plus didactique de l’urbanisme.