Corps de l’article

-> Voir la liste des figures

L’ouvrage est d’un volume restreint et pourrait faire figure de manuel utile à tous ceux qui, élus locaux ou étudiants, souhaiteraient se familiariser avec la notion de mixité, telle que définie dans des textes législatifs ou réglementaires français, et avec le sens que cette notion est susceptible de prendre à l’examen critique des réalisations censées correspondre à sa mise en application dans le territoire de l’Île-de-France. Le livre est tiré d’un travail de master 2 « Droit des collectivités territoriales et politiques publiques » de la faculté de Droit de l’Université de Cergy Pontoise, ville nouvelle de la région parisienne. Il témoigne du souci de cette université de faire déboucher une formation de juriste sur les réalités des pratiques opérationnelles des politiques urbaines et du logement par les pouvoirs publics.

Après un bref historique permettant de présenter les outils institués pour lutter contre la ségrégation sociale de l’habitat, Audrey Pierrot, dans un style clair et des propos concis, dresse un bilan de la mixité sociale de l’habitat francilien au regard des objectifs affichés. La réflexion semble avoir été stimulée par la dénonciation que le premier ministre Manuel Valls a formulée, en janvier 2015, d’un « apartheid territorial, social et ethnique » et donc de l’existence d’une ségrégation spatiale que les autorités entendent combattre, apparemment à l’aide de cette notion de mixité, mais sans en connaître et reconnaître tous les ressorts. Le rééquilibrage territorial destiné à réduire les disparités géographiques et une rénovation urbaine s’appuyant principalement sur la réhabilitation de l’habitat social sont présentés comme des procédures construites depuis le XIXe siècle avec l’objectif affiché de venir en aide aux plus démunis pour leur garantir un droit à la ville et un droit au logement. L’introduction correspond à un rapide survol historique des lois les plus connues de la question du logement, rappel qui n’est pas inutile pour qui découvre le sujet.

La première partie de l’ouvrage (p. 31-86) présente d’abord les principaux instruments (mécanismes et procédures) en vigueur pour lutter contre la ségrégation spatiale et conçus pour garantir une certaine mixité sociale, notamment dans des banlieues perçues comme des territoires de relégation, aux multiples contentieux liés aux politiques précédentes. Un bilan est ensuite esquissé pour voir si le brassage social visé apparaît bien comme une réponse judicieuse aux ségrégations spatiales et sociales dénoncées et s’il pallie effectivement les manques de cohésion sociale et territoriale constatés. L’application, au demeurant parcimonieuse, de la loi no 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et les travaux diligentés à partir de 2003 par l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) concernant 58 quartiers franciliens sur les 200 considérés comme prioritaires de la politique de la ville depuis le début du siècle aboutissent à un bilan pour le moins mitigé.

Dans la seconde partie (p. 87-146), l’auteure entend contribuer à une reconsidération de la notion de mixité dans l’habitat, après ces dix années d’expérience, et suggérer de nouvelles modalités de gouvernance. En accord avec les constats et conclusions de nombreux travaux universitaires, elle conclut logiquement au simplisme et au caractère trop strictement matériel et spatial de la notion de mixité telle que cette notion a stimulé les opérations réalisées. Imprécise, floue et trop peu explicitée, la notion, témoignant de bonnes intentions, semble finalement servir plus de caution à la mise en oeuvre des procédures d’aménagement, voire alimenter de multiples discours de légitimation, que contribuer à une meilleure approche tant pratique que théorique des disparités profondes et des mécanismes aussi complexes que sournois de ségrégation des populations dans l’habitat et sur le territoire. Si la notion de « droit au logement opposable » vient compléter récemment les dispositifs préalablement décrits, ceux qui s’y réfèrent ne semblent pas devoir lutter efficacement contre les ségrégations dénoncées.

En conclusion, la notion de mixité est considérée comme une sorte d’utopie utile – surtout à une technostructure étatique de plus en plus décentralisée, ajouterons-nous. On notera tout de même que peu de chercheurs se sont risqués à approfondir les raisons des multiples ségrégations qui existent dans la société française, faute de pouvoir aborder, avec quiétude et force données sociodémographiques fiables concernant les appartenances ethniques ou communautaires, les convictions et pratiques religieuses effectives, les discriminations à l’embauche ou à l’attribution des logements, etc. Autant de réalités trop souvent déniées, notamment quand elles touchent aux héritages et contentieux coloniaux, qui font toujours de la mixité une sorte de voeu pieux participant de multiples cécités.

Le mérite de cet ouvrage ne saurait être de lever le voile sur ces zones d’ombre, mais de donner des repères utiles pour qui souhaite se pencher sur ces questions sans risquer de s’y perdre.