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Que peut-il y avoir de commun entre un monstre marin, un chaudron de cuivre, une île basque sans Basques et quelques restaurants «étrangers» à Québec? Rien, assurément, dans l’enfermement d’une quête identitaire «essentialiste» pétrie de la rhétorique de la pureté originelle! Ou bien une réflexion très riche, incontestablement, sur les sociétés et leurs modes d’élaboration rapportés aux grandes tendances de la mondialisation contemporaine, en particulier dans les contextes coloniaux et postcoloniaux, mais aussi a contrario de toute idée de choc, serait-il celui des «civilisations», à la manière d’un Samuel Huntington[1].

Poursuivant ses champs de recherches centrés sur l’interculturalité, Laurier Turgeon répond au problème par la notion de «métissage», placée au «coeur de tout processus culturel» (p. 21). Il y fonde les raisons de son choix, de sa cohérence et de leurs richesses heuristiques. Le fil commun est donc celui d’une démarche ethnologique, interactiviste, généalogique, donc aussi politiquement critique, que suggèrent et valident les déplacements constants des angles de vue et d’interprétation: que devient l’objet quand le contexte change radicalement, au moment où le symbolique l’emporte sur l’utilitaire?

Appliquée au patrimoine, cette démarche privilégie l’entrée par les processus, ceux de la production, de la transmission et, à l’occasion, de la manipulation. Et l’on peut suivre l’auteur dans cette voie quand il souligne que «le patrimoine découle ainsi d’un processus de métissage culturel qui naît d’une dynamique relationnelle entre soi et l’autre»(p. 25). Dès lors, cela ouvre directement sur la question de l’identité, conçue comme la construction réfléchie des uns et des autres à travers le patrimoine: «Le soi se met en lieu et place de l’autre pour se construire à partir de lui» (p. 189).

Parfaitement aboutie, la démarche est aussi réflexive. Elle est une invitation à se penser en pensant les autres et, à ce titre, implique le lecteur comme issu de sa propre société autant qu’à titre singulier. Et cela vaut donc aussi pour l’auteur. Dans un «avant-propos» particulièrement touchant, Laurier Turgeon a le courage et le talent de se situer pleinement lui-même dans la théorie qu’il énonce. Elle prend alors, tout à la fois, crédibilité humaine et portée scientifique.

On regrettera donc d’autant plus que le patrimoine reste un peu hors-champ. Qu’est-ce qui fait la différence entre un document d’archives, un objet «historique» ou un restaurant, et le patrimoine, au sens contemporain du terme? Quand la notion prend-elle sa spécificité de sens actuelle et pourquoi? Finalement, en quoi la démarche de l’auteur peut-elle, aussi, aider à cerner le contenu même d’un mot si commun et pourtant si impliqué dans le monde, quand l’histoire est faite «pratique sociale» et non «discipline scientifique» (p. 134)?

Mais cette lecture, une parmi tant d’autres possibles, du texte de Laurier Turgeon n’est qu’une invitation à le prolonger, ailleurs peut-être, et souligne ainsi ce qui en fait la réussite: une rencontre.