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Déjà auteur d’une Géographie des transports parue chez Nathan en 1995, Émile Mérenne a réactualisé et étoffé son manuel «afin de faire à nouveau le point sur l’état actuel de ce secteur d’activité en constante évolution». Les choses vont vite en effet, car ce domaine est sensible à toutes les transformations techniques, économiques, politiques ou sociales des territoires. C’est aujourd’hui l’ouvrage général le plus à jour sur le thème. Il s’adresse surtout à un public européen.

Le livre se compose de quinze chapitres groupés en quatre parties: les conditions d’implantation des réseaux (80 p.), la circulation (75 p.), les acteurs (40 p.) et les impacts (40 p.). L’exposition est, on le voit, très analytique. Il faut en effet souvent détailler les nombreux points abordés en fonction des différents moyens de transport ou de ce qui est transporté. C’est la loi du genre. On n’échappe donc pas toujours à l’inventaire, mais l’ensemble est bien documenté et illustré par de très nombreux exemples. La bibliographie est riche et variée.

Son point faible est l’impasse faite sur les facteurs explicatifs de l’évolution des transports et sur leur rôle dans les transformations territoriales. Certes, l’auteur accorde, à bon droit, une place importante à l’augmentation proprement «révolutionnaire» des vitesses au cours des cent cinquante dernières années, mais il nous explique peu la dynamique particulière des différents réseaux. Quelles sont les causes de leur expansion ou de leur régression? Quelles sont les implications d’une possibilité de massifier des flux ou d’un mode de gestion des infrastructures? Guère plus de développements sur la relation très puissante entre la différenciation des circulations et celle des espaces. Comment varie l’utilisation, par exemple, de l’automobile en fonction des différents milieux habités? Comment les réponses apportées aux problèmes de circulation contribuent-elles à différencier encore plus ces types de milieu? Ces mécanismes sont fondamentaux mais n’apparaissent que par fragments dans l’ouvrage, car la description analytique a malheureusement pris le pas sur l’explication. Ceci n’aide pas vraiment à comprendre pourquoi le transport se trouve dans la ligne de mire des plus grandes problématiques sociétales actuelles: métropolisation, mondialisation, sécurité des personnes ou réchauffement climatique. Voici quatre thèmes transversaux qui, s’ils étaient abordés plus profondément, enrichiraient beaucoup la matière des troisième et quatrième parties, et interpelleraient davantage le lecteur.

Pendant longtemps, le manuel francophone de référence en géographie des transports fut celui de M. Wolkowitsch qui, malgré son édition de 1992, est dépassé. Peut-être celui d’Émile Mérenne est-il en train de prendre sa place. Cependant, sa vision du transport y est assez réductrice: le phénomène est réduit à un problème technique d’offre et de demande de déplacement dépendant de multiples contraintes, et de l’État en dernier ressort. M. Wolkowitsch écrivait dans sa conclusion «La circulation ne répond […] pas exclusivement à des fins économiques, mais elle est chargée d’une profonde signification humaine» (p. 348, souligné dans le texte). Cette signification manque, mais elle ne manque pas qu’à ce livre.