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Plusieurs recherches portant sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie ont mené au constat que les contenus de formation et les pratiques pédagogiques ne changeaient pas au fil des ans. Or, ici, les chercheurs ont pris le problème par l’autre bout de la lorgnette : ils ont interrogé et observé en situation de classe quatorze enseignants français d’histoire et de géographie du secondaire qui considèrent leurs pratiques comme innovantes. Cette publication présente les résultats de deux des quatre équipes associées à cette recherche. La première partie pose les termes d’une approche de l’innovation en didactique de l’histoire-géographie ; la deuxième traite de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans l’innovation dans ces deux disciplines ; et la troisième partie s’intéresse à l’innovation dans un contexte institutionnel bien précis, celui des zones d’éducation prioritaire.

Les chercheurs se sont penchés sur la nature des apprentissages favorisés par les enseignants qui innovent et sur les finalités éducatives qui les sous-tendent. Ils ont également voulu vérifier si ces innovations participaient d’un changement de paradigme disciplinaire. Trois hypothèses ont été posées : (1) un professeur qui veut innover remet en cause des pratiques que la majorité de ses collègues considère comme normales ; (2) un professeur qui innove devient l’acteur d’un changement, animé d’intentions et à la recherche d’une cohérence qui lui est propre ; (3) l’enseignement de l’histoire et de la géographie fait interagir non pas un seul mais de multiples processus d’innovation.

Les enseignants observés ont effectivement innové par rapport à l’idée qu’ils se font des pratiques habituelles de ces deux disciplines (les outils, les formes pédagogiques et didactiques). Toutefois, les chercheurs ont constaté une grande diversité de points de vue sur les domaines, les formes et l’ampleur que pouvaient prendre ces innovations. Et surtout, les pratiques de ces enseignants restent « fortement ancrées dans l’héritage de l’identité disciplinaire d’histoire-géographie » (p. 209).

Tout cela interpelle, on s’en doute, la formation professionnelle initiale des futurs enseignants. Tous les historiens et les géographes universitaires qui forment ces futurs enseignants auraient intérêt à lire la conclusion qu’Anne Le Roux tire à cet égard dans l’ouvrage. Comment affronter cet écart entre la formation professionnelle initiale et la réalité de ce métier qui change, se demande-t-elle, frappée par le fait que les enseignants interviewés ont à peine fait référence à leur formation de base. Mais la question est posée : peut-on former à l’innovation ? Les enjeux de la mise en place de dispositifs d’une formation au changement sont considérables. Le Roux propose de mieux repérer les besoins de formation chez les jeunes débutants. Cela implique de prendre en compte ce qu’ils perçoivent comme des obstacles à l’innovation : le poids des programmes, de l’évaluation et la gestion de l’ordre dans la classe. Cela implique aussi de prendre acte de la « fragilité d’une culture ou d’une vigilance épistémologique par rapport au savoir disciplinaire », où l’épistémologie scolaire devrait pouvoir servir à construire des savoirs professionnels « qui marchent », en situation.

Ce rapport de recherche est novateur, notamment par la manière de poser les questions et par l’énoncé de propositions que d’autres chercheurs pourraient valider dans des contextes différents. Les conclusions nous placent devant des défis dont certains relèvent davantage du courage politique. Mais d’autres interpellent les chercheurs. Quand donc s’attèleront-ils à développer, avec des enseignants et des élèves, des propositions d’interventions didactiques qui s’inscrivent dans l’ordre des finalités culturelles et épistémologiques tant désirées ?