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L’idée centrale à la base de cet ouvrage et de la thèse de doctorat dont il émane trouve son expression dans la dynamique de patrimonialisation ou de construction patrimoniale de deux « berceaux » de la présence française en Amérique du Nord, l’île d’Orléans et la place Royale de Québec. La démarche s’inscrit dans un courant conceptuel et méthodologique, tant international que québécois, bien établi dans de multiples disciplines historiques et sociologiques. Elle se relie également aux travaux du sociologue et philosophe Fernand Dumont et à ceux de plusieurs historiens de la culture, les Yvan Lamonde, Maurice Lemire et Fernand Harvey, de même que des historiens de l’architecture Luc Noppen et Lucie K. Morisset. Elle s’appuie sur des textes d’époque participant à la construction du patrimoine qu’elle met en dialogue avec le contexte, de même qu’avec les interventions de restauration qui l’accompagnent.

L’auteur choisit deux territoires d’enquête particulièrement intéressants et révélateurs. L’île d’Orléans, d’une part, a suscité beaucoup de texte élogieux et passionnés au milieu du XIXe siècle. Les Noel Bowen, Hubert Larue, Louis-Édouard Bois et Louis-Philippe Turcotte en sont les premiers protagonistes, qui mettent surtout en évidence sa ruralité exemplaire et fondatrice. Le discours est repris dans les années 1920, à l’instigation de la nouvelle Commission des monuments historiques du Québec, dans un ouvrage prestigieux et luxueux écrit par Pierre-Georges Roy et illustré par des oeuvres d’Horatio Walker, Cornelius Krieghoff, Clarence Gagnon, Charles Huot et plusieurs autres. Le discours s’affirme certes à cette époque, tout comme il se retrouve 70 ans plus tard dans l’ouvrage monumental de Michel Lessard, L’île d’Orléans : aux sources du peuple québécois et de l’Amérique française (Montréal, Les Éditions de l’Homme, 1998, 415 p.) que l’auteur aurait pu signaler, sinon considérer sa contribution dans la même perspective que la sienne. Du discours à l’action, il y a un grand pas et l’auteur se concentre sur l’intéressante expérience de restauration du manoir Mauvide-Genest par le juge Joseph-Camille Pouliot, dans la seconde moitié des années 1920, et sur les activités commémoratives qui suivent, au tournant des années 1930.

Dans le cas de la place Royale, d’autre part, l’auteur évoque à peine la construction patrimoniale du Vieux-Québec antérieure aux années 1950 (p. 122-124), mais suit plutôt de près la vision et les réalisations de Gérard Morisset et de la Commission des monuments historiques en collaboration étroite avec l’architecte et urbaniste André Robitaille, dans le projet de reconstruction à l’ancienne de la place Royale (1956-1978), à travers des fonds d’archives et de multiples rapports. Appliqué d’abord à la maison Chevalier, ce projet est étendu à l’ensemble résidentiel qui entoure l’église Notre-Dame-des-Victoires, reconstruit selon la même philosophie, dans une perspective affirmée de rénovation urbaine. L’auteur aborde en profondeur les péripéties du projet, les débats qui l’animent, les retombées sur la population locale et ses fonctions résidentielles et muséologiques. C’est sans doute sa principale contribution.

La juxtaposition des deux démarches reste intéressante, mais en dissemblance, faute de suivre le dossier de l’île d’Orléans après les années 1930 et celui du Vieux-Québec d’avant 1956. L’image du « berceau » ne parvient pas à combler entièrement ce fossé, même si les deux « berceaux » partagent pourtant le statut d’arrondissement historique, depuis le milieu des années 1960.