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Les territoires ruraux ont subi ces dernières années de profonds bouleversements, tant au niveau de leurs structures socioéconomiques (modes d’occupation et d’exploitation, modes de mise en marché) qu’institutionnelles (modes de financement et de gestion, organismes de régulation). Ces changements majeurs, l’auteur, Adéodat St-Pierre, les a vécus en tant que producteur agricole et forestier, mais, surtout, comme acteur engagé dans le développement rural de la région du Bas Saint-Laurent. Ce sont les grandes étapes de ce parcours professionnel et sociocommunautaire, qui s’échelonne sur plus de 50 ans, que retrace ce court ouvrage écrit en collaboration avec Marièle Cantin et Jean Larrivée, du Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional de l’Est du Québec (GRIDEQ).

L’ouvrage se compose de trois parties, portant respectivement sur l’agriculture, la foresterie et le développement rural. Chacune de ces parties est structurée de la même manière : d’abord, un portrait sommaire de l’évolution de ces domaines à travers les grandes étapes de la vie professionnelle de l’auteur, puis du rôle important qu’y ont joué les différents organismes au sein desquels l’auteur a milité.

La première partie, agriculteur d’une génération à l’autre et implications syndicales, expose ainsi les conditions de son implantation en agriculture et la mise en place des principaux organismes d’encadrement agricole (Union catholique des agriculteurs, Union des producteurs agricoles).

Dans la seconde partie, portant sur la ressource forestière : un complément essentiel à l’agriculture, l’auteur, président du Syndicat des producteurs forestiers du Bas-Saint-Laurent entre 1998 et 2001, puis président de la Fédération des producteurs du bois du Québec de 2001 à 2005, décrit l’évolution des modes d’exploitation et de mise en valeur de cette ressource (le Plan de l’Est, la notion d’aménagement forestier, la forêt modèle du Bas-Saint-Laurent) et le rôle des syndicats dans l’élaboration et la mise en oeuvre de ceux-ci.

Dans la troisième partie, défendre la ruralité : implication sociale et communautaire, l’auteur souligne la continuité des enjeux, depuis la période du Bureau d’Aménagement de l’Est du Québec et des Opérations Dignité, « vécue surtout comme témoin et peu comme participant » (p. 71), jusqu’à aujourd’hui, au travers l’expérience de la Coalition Urgence rurale du Bas-Saint-Laurent, organisme d’éducation et de revitalisation du milieu rural dont il fut le président-fondateur, et dont la politique de développement s’apparente à celles défendues notamment par l’Union paysanne et Solidarité rurale du Québec.

La présentation, sommaire, de ces enjeux fait d’ailleurs l’objet de la conclusion de l’ouvrage, portant sur quelques défis pour l’avenir du monde rural : le développement durable, l’occupation du territoire, l’exode des jeunes et la migration des aînés, l’immigration, l’évolution des productions agricoles et le maintien de l’agriculture familiale, les relations villes-campagnes, la protection du territoire et des activités agricoles, la formation, la responsabilité citoyenne et le rôle des pouvoirs publics.

Témoignage d’un intérêt certain, notamment pour les nouvelles générations qui n’ont pas vécu d’aussi près cette période, cet ouvrage met en lumière les splendeurs et les misères du développement rural, à travers les grandes étapes de la vie d’un acteur engagé dans les grands organismes de développement de son époque, au demeurant fort nombreux. Il ressort en effet, à la lecture de cet ouvrage, que le développement rural, agricole et forestier, au Québec, est fortement encadré : Jeunesse agricole catholique, Union catholique des cultivateurs, Union des producteurs agricoles, Fédération des producteurs de bois, Bureau d’aménagement de l’Est du Québec, Conseil régional de développement, Conférence régionale des élus, Municipalités régionales de comté, etc.

L’auteur souligne à plusieurs reprises la nécessité d’une organisation forte et solidaire (« seulement les organisations qui parlent d’une seule voix réussissent » p. 61), dont témoignent ses multiples engagements, ainsi que d’une planification active : « un gouvernement qui n’a pas de plan pour développer son agriculture et sa forêt, cela ne peut pas marcher ; il fait toutes sortes de choses qui ne sont pas cohérentes. Il faut un plan pour avancer » (p. 20), « la forêt privée est mieux surveillée parce qu’il y a des plans de gestion et d’aménagement » (p. 62) ; « ce qui manque au niveau régional à l’heure actuelle, c’est un plan de développement » (p. 112). Toutefois, si l’on peut certes voir dans ce caractère fortement organisé des activités l’expression d’une forte solidarité sociale et communautaire, ne pourrait-on également y déceler une tendance tout aussi forte à la bureaucratisation et au corporatisme ? On peut regretter l’absence de critique de la part d’un acteur qui, ayant été au centre de ces développements, ne peut pas en ignorer les possibles aspects négatifs et les effets pervers.

Même si l’auteur n’évite pas toujours les clichés (« aimer la terre, c’est tout dire » p. 9), son ouvrage a comme principal mérite de dépasser une certaine vision néo-romantique du développement rural, notamment par le regard sans complaisance qu’il porte sur les modèles actuels de développement : « tout le système forestier est à revoir en entier » (p. 61), « Il y a encore trop de petites chicanes de clochers, souvent les villages se battent pour réclamer l’établissement d’un projet » (p. 102) et en insistant sur les problématiques concrètes que rencontrent les acteurs de ce développement, notamment l’importante question du financement : « le problème est le montant d’argent nécessaire pour accéder à la propriété » (p. 45), et le rôle crucial des grands organismes de financement agricole (caisses d’établissement, Financière agricole) et forestier (Agence de mise en valeur des forêts).

L’ouvrage, un peu court, aurait mérité une introduction critique, capable de dépasser la simple narration des événements offerte par l’auteur, pour interroger ce témoignage et en dégager des pistes d’action et de réflexion nouvelles. On peut également se demander si la forme retenue est la plus pertinente. En effet, un meilleur encadrement, par la reproduction des questions et des réponses des entretiens réalisés auprès de M. St-Pierre, par exemple, aurait sans doute permis de mieux faire ressortir les points forts du témoignage d’un acteur dont on ne peut manquer de saluer l’engagement et l’apport au développement rural québécois.