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Le contenu du livre est beaucoup plus ciblé que ce que suggère son titre. L’ensemble des contributions de cet ouvrage porte en fait sur les approches et les expériences canadiennes d’évaluation environnementale, tant au niveau fédéral que dans les provinces. Pourquoi alors ne pas l’avoir indiqué dans le titre ? D’autant plus que, comme le fait remarquer Bruce Mitchell dans un excellent avant-propos, les approches canadiennes peuvent se targuer d’apports majeurs sur la scène mondiale de l’évaluation environnementale. Trois décennies après l’entrée de l’évaluation environnementale dans le corpus des différentes législations au pays, Mitchell soulève également une série de questions et d’enjeux sur lesquels les 19 contributions que réunit l’ouvrage apportent des éclairages variés. Il n’est pas possible ici de rendre justice à chacune de celles-ci. Aussi nous limiterons-nous à quelques commentaires généraux.

Ce livre est divisé en deux parties. Avec ses onze chapitres, la première partie traite des thématiques ou des enjeux de l’évaluation environnementale en tant que pratique. Par exemple, on y aborde (1) la dimension juridique des procédures d’évaluation environnementales, par Gibson et Hanna qui dressent un bilan de l’évolution de l’évaluation environnementale, au niveau fédéral ; (2) la participation publique dans l’évaluation environnementale, analysée par Sinclair et Diduk ; (3) l’évaluation environnementale stratégique (Noble) ; ou (4) les impacts sociaux (Pushchak et Farrugia-Uhalde). Non seulement la réflexion est très poussée, mais, en plus de recenser les principaux problèmes théoriques et pratiques reliés au sujet traité, les contributions fournissent des outils pour l’évaluation environnementale. Ainsi, le premier chapitre, rédigé par Kevin Hanna, constitue une introduction bien structurée à l’évaluation environnementale. Il souligne les liens que ses principes entretiennent avec le processus de planification territoriale et avec le modèle rationnel. Ensuite, dans un chapitre sur l’utilisation des méthodes classiques d’identification et de prévision des impacts dans des études canadiennes, Baker et Rapoport se penchent sur une série de principes incontournables en matière d’études environnementales.

Par ailleurs, certains des chapitres s’appuient sur l’analyse de projets structurants. Dans cette optique, Creasy et Ross dégagent du projet de la mine de charbon de Cheviot, en Alberta, des leçons pour les évaluations d’impacts cumulatifs à venir. De leur côté, Fitzpatrick et Sinclair font ressortir les défis inhérents à l’harmonisation de procédures de niveaux multiples de juridiction. Ils évoquent l’expérience, aux résultats mitigés, d’harmonisation des cinq procédures qui s’appliquaient dans le cas du projet de l’Île de Sable, en Nouvelle-Écosse.

Toujours dans la première partie de l’ouvrage, Gibson et Hanna mettent en lumière les tendances et les forces contradictoires qui marquent l’évolution de l’approche fédérale. D’un côté, il y a celles qui sont favorables à un élargissement de la portée de la pratique de l’évaluation environnementale. De l’autre, on trouve celles qui résistent à un tel élargissement, étant donné le partage de pouvoir qu’il implique et les risques appréhendés d’ingérence du palier fédéral dans les compétences provinciales. Dans son analyse de l’approche ontarienne, Gertler met en garde contre le danger que représente un recours possible à la marge discrétionnaire ministérielle, ceci afin d’assurer la crédibilité de l’approche, par ailleurs exemplaire. Enfin, Sinclair et Diduk soulignent que, quoique le Canada soit un chef de file dans le domaine de la participation publique, il faut noter, parmi certains problèmes qui perdurent, la faiblesse du lien entre participation publique et prise de décision. Il y aurait lieu de déplorer ici, à notre avis, la sempiternelle référence à l’échelle d’Arnstein (1969), dont la valeur pédagogique indéniable entretient cependant une perception formaliste simpliste du processus. Cette première partie se termine par deux chapitres sur la gestion environnementale dans les territoires nordiques où la question des droits ancestraux, entre autres, occupe une place importante.

La seconde partie de l’ouvrage présente les procédures d’évaluation environnementale en fonction des niveaux de gouvernement : d’abord le niveau fédéral, puis, d’ouest en est, celui des provinces, les quatre provinces atlantiques étant traitées comme si elles formaient un espace contigu. Les huit chapitres de cette seconde partie possèdent une structure similaire. Successivement, les auteurs y traitent de l’historique de l’évaluation environnementale, des caractéristiques de la procédure ainsi que des forces et des faiblesses de l’approche. Notons que malgré la richesse de l’information transmise, ces chapitres reprennent parfois des sujets déjà abordés dans la première partie de l’ouvrage. Signalons aussi que le chapitre de Bardati sur le Québec comporte des imprécisions et des jugements un peu trop rapides et impressionnistes. Avant de tirer plusieurs de ses conclusions, l’auteur aurait eu intérêt à lire certains des chapitres antérieurs de l’ouvrage ainsi que les travaux des nombreux chercheurs québécois. Plus spécifiquement, nous faisons référence aux réflexions de Bardati sur la marge discrétionnaire du ministre de l’environnement, sur le caractère non contraignant de l’évaluation environnementale et du rapport d’audiences publiques, ou bien sûr à l’isolationnisme politique comme présumée raison de la non-signature par le Québec de l’accord d’harmonisation canadien.

Tout ceci amène à nous questionner sur la pertinence de cette seconde partie de l’ouvrage. Pourquoi ne pas avoir fait deux ouvrages distincts, le second comprenant les chapitres de la seconde partie plus axée sur les procédures ? Il eût aussi été intéressant de retrouver une synthèse des différences pour l’ensemble des approches, à l’instar de celle réalisée par Van Wilgenburg pour les quatre provinces atlantiques. Mieux encore, une conclusion aurait pu reprendre de façon systématique le cadre de Hanna, présenté en introduction, qui s’inspire du remarquable bilan dressé par Sadler (1996) ainsi que des principes formulés par Sénécal et al. (1999). Soulignons que l’absence de conclusion constitue souvent un travers hélas trop fréquent dans les ouvrages collectifs de ce type.

Ces critiques n’enlèvent rien à la qualité du recueil de textes qu’a piloté Kevin Hanna. Ce dernier réussit remarquablement un pari ambitieux, celui de produire un ouvrage qui soit à la fois un outil utile pour la formation en évaluation environnementale, une référence indispensable pour les gestionnaires de procédures, ainsi qu’une ressource incontournable pour les chercheurs qui s’intéressent aux différentes dimensions de l’évaluation environnementale.