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La recherche dans le domaine de la foresterie sociale s’est développée de manière importante depuis le début des années 1990. Cet ouvrage collectif contribue au corpus de connaissances et d’études de cas sur la gestion participative des forêts, les dimensions culturelles, symboliques et politiques de l’aménagement forestier, s’intéressant aussi à des problématiques incontournables du XXIe siècle, comme la protection de la biodiversité et l’adaptation aux changements climatiques.

Forêts, savoirs et motivations regroupe des communications présentées au colloque de l’Association de science régionale de langue française (ASRDLF) qui avait lieu à Mons, en Belgique, en 2013. Pour sa 50e édition, l’ASRDLF avait choisi d’aborder le thème du rôle de la culture, du patrimoine et des savoirs dans le développement des territoires. Une session spéciale intitulée Forêts et foresterie : savoirs et motivations accueillait 17 conférenciers qui présentent ici le résultat de recherches réalisées en France, en Belgique, en Suisse, en Angleterre, au Maroc, au Cameroun et au Québec.

Divisé en trois sections, l’ouvrage porte un regard croisé sur la gouvernance des forêts dans plusieurs régions du monde, mettant en jeu savoirs locaux et connaissances scientifiques, motivations des acteurs et systèmes de valeurs, mécanismes d’animation et techniques d’analyse multicritères, controverses socioenvironnementales et médiation. À travers leur expertise, les deux directrices de la publication, Nicole Huybens, éthicienne, et Christine Farcy, spécialiste en politique forestière, ont su donner à cet ouvrage une dimension stratégique qui offre, aux chercheurs, gestionnaires et praticiens, certaines clés pour mieux comprendre et relever les grands défis de la gouvernance des forêts à travers le monde.

La première partie, Savoirs profanes et représentations, aborde la forêt en tant qu’écosystème social et symbolique. Les différentes représentations sociales portées par les ruraux et les urbains, les propriétaires privés et publics, les détenteurs de savoirs traditionnels et les experts des sociétés technoscientifiques sont animées par des visions du monde qui influencent la gouvernance forestière. Cette section est riche d’une diversité d’expériences et de regards sur la forêt, les changements environnementaux et la gestion participative, que ce soit à travers les pratiques culturelles et culturales entourant l’arganier du Maroc (Aziz) ou la perception des changements climatiques par les Pygmées et les Bantous du Cameroun (Wilmart, Nke Ndih et Fracy). Étant donné la richesse des travaux réalisés au Québec sur les savoirs autochtones, on peut toutefois regretter qu’aucun chercheur québécois dans ce domaine n’ait contribué à l’ouvrage. On peut également critiquer l’emploi du terme savoirs profanes, qui laisse entendre un savoir non initié par opposition aux savoirs experts. Ce qualificatif a malheureusement une résonnance colonisatrice et paternaliste ne traduisant pas bien les efforts qui sont désormais consacrés à la reconnaissance de la contribution des savoirs locaux ou traditionnels pour mieux comprendre et résoudre les problématiques environnementales.

La deuxième section, qui se décline sous le thème Animation et territoire, permet d’analyser les motivations et les formes d’engagements des acteurs. On y présente les résultats d’une recherche intéressante portant sur les motivations des habitants à participer à la foresterie locale dans les Alpes suisses et françaises. Le cadre théorique multidimensionnel proposé par Finger-Stich et Shannon (théorie des interactions sociales, sociologie des organisations, approche écosystémique, théorisation de la modernité, théorie de gestion des communs) permet d’analyser de manière transdisciplinaire les enjeux forestiers dans leurs dimensions multifonctionnelles et participatives. Cette section propose d’autres analyses nouvelles en ce qui concerne le défi de la mobilisation des connaissances entre chercheurs et praticiens ou acteurs du terrain. Le « jeu de territoire » appliqué à la région française du Vercors, tel que présenté par Lardon, Bouchaud et Cordonnier, est très porteur et innovant : un projet qui visait à faciliter les apprentissages sociaux en s’intéressant à la manière de traduire les connaissances scientifiques en savoirs pour l’action collective et la coconstruction d’une vision partagée de la forêt et du territoire.

La dernière section, Politique et gouvernance, comprend deux études de cas québécoises qui présentent d’ailleurs les seules recherches réalisées en Amérique. L’étude de Leclerc portant sur le rapport entre standardisation et différenciation dans la territorialité forestière est une illustration fort éloquente des mécanismes de gouvernance qui peuvent évoluer en parallèle et même en complémentarité pour donner au système souplesse et pertinence. On pourra regretter que l’actuel gouvernement Couillard ait démantelé les commissions régionales sur les ressources naturelles et le territoire qui servent ici à illustrer le propos. Dans le contexte de mouvance politique caractérisant la gestion des ressources naturelles au Québec, on comprend que les changements organisationnels précèdent parfois la diffusion des résultats scientifiques qui auraient pourtant pu éclairer les décisions politiques.

Enfin, la dernière étude de cas analyse la dimension éthique qui s’exprime de manière plus ou moins explicite dans la problématique de la protection du caribou forestier au Québec. Huybens et Lord portent un regard éclairé et éclairant sur les enjeux de la prise de décision en matière de gestion des ressources naturelles, en insistant sur la distinction entre faits scientifiques et recommandations, entre le « vrai » et le « bien ». En guise de conclusion, les auteurs proposent les balises d’une éthique multicentrique pour décrire « la forêt souhaitée » où ils suggèrent de « remplacer la nostalgie d’un passé " idéal " (la forêt préindustrielle, par exemple) par l’idée d’un futur élaboré dans le dialogue ». Ainsi, inscrire « une humanité responsable dans les forêts de l’anthropocène » constitue le fil conducteur de l’ensemble des travaux présentés dans cet ouvrage collectif qui, finalement, fait oeuvre de pédagogie de l’espoir. Au fil des différentes propositions, il se dégage que la non-acceptabilité sociale peut représenter une occasion constructive et novatrice et que les controverses socioenvironnementales entourant la gestion des forêts sont de nature à renforcer le dialogue des savoirs et la négociation de valeurs partagées. Un chantier de recherches en pleine évolution !