Corps de l’article

Cet aperçu de nos recherches, en cours et en préparation, se divise en deux parties. La première porte sur la diversité ethnique et l’immigration en milieu urbain. Il s’agit de projets de recherches sur les minorités visibles des villes canadiennes de l’Ouest ainsi que sur la question du logement dit ethnique. Quant à la deuxième partie, elle porte sur nos travaux dans le domaine de l’histoire des utopies architecturales et urbaines des avant-gardes culturelles du XXe siècle. Ce projet se situe à la fois dans le champ de la géographie urbaine et celui de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme. Toutefois la réflexion porte également sur l’expérience subjective de l’espace.

Diversité et immigration

La croissance de la population canadienne s’observe principalement dans les grandes villes. En 2001, 63,3 % de la population était répartie dans les 25 plus grands centres urbains. Depuis 1980, plus de 4 800 000 d’immigrants et de réfugiés ont été admis au Canada, ce qui équivaut à une moyenne annuelle d’environ 192 000 personnes. Depuis 1990, le nombre annuel d’entrées au Canada avoisine les 224 000 personnes et environ 80 % des arrivants ont choisi de vivre dans cinq grands centres urbains. À ce titre, au cours des années 1990, la destination de 43 % des nouveaux arrivants était Toronto, 18 % pour Vancouver, 12 % pour Montréal, 3 % et 4 % respectivement pour Calgary et Edmonton (Statistique Canada, 2003). Par conséquent, la proportion de personnes nées à l’étranger est d’environ 50 % à Toronto, dépasse les 40 % à Vancouver et est de 20 % à Calgary, Edmonton et Montréal (Statistique Canada, 2003). Ainsi les choix effectués par ces nouveaux arrivants ont alimenté une croissance inégale des populations des grandes villes canadiennes. Toutefois, on constate une présence accrue d’immigrants et de réfugiés dans les villes canadiennes de deuxième importance (Winnipeg, Ottawa) et même dans les centres encore plus petits (London, Windsor).

Mis à part un nombre d’arrivants plus élevé depuis les années 1990, leur principale caractéristique demeure leur grande diversité sur le plan de la race, de l’origine ethnique, de la religion et de la langue. De plus, la diversité religieuse est de plus en plus marquée. Ainsi, de 1991 à 2001, la communauté boudhiste a connu une croissance de 83 %, les communautés hindoue et sikhe, de 89 %, et la communauté musulmane, de 129 %. Au Canada, environ 1,5 million de personnes disent pratiquer l’une de ces quatre religions (Bramadat, 2005).

Certes, les souches d’immigration traditionnelle (Grande-Bretagne, Europe et États-Unis) continuent d’alimenter l’immigration au Canada. Toutefois, elles ont été dépassées par l’Asie, l’Amérique latine et l’Afrique. En 2002, 52 % des immigrants au Canada provenaient de l’Asie et du Pacifique, 20 % de l’Afrique et du Moyen-Orient comparativement à 17 % de l’Europe et 2 % des États-Unis. Selon les projections de Statistique Canada, le nombre de personnes appartenant aux minorités visibles, qui était de quatre millions en 2001, augmentera de 56 % à 111 % entre 2001 et 2017.

La ville multiethnique est en voie de devenir la norme sociale et culturelle des métropoles canadiennes. Cela a entraîné, et entraînera, d’importants changements dans l’ensemble des secteurs de l’activité humaine et de son territoire. Cette diversité ethnique, religieuse et linguistique est à l’origine de nouvelles formes d’expression culturelles qui infuent sur de nombreux aspects du milieu urbain : le commerce au détail, les habitudes de consommation, la conception du logement, la façon d’aménager le territoire, l’art et l’industrie du divertissement, etc. (Carter et al., 2006). Cette diversité a également des répercussions sur la nature et l’offre de services tels que la santé, l’éducation et le système judiciaire. Tous les aspects de la vie quotidienne et du milieu urbain en sont affectés.

Historiquement, la majorité des immigrants étaient d’origine européenne. Or le défi d’intégration et d’acculturation de ces groupes a toujours été facilité par le fait qu’ils possédaient une culture à la fois urbaine, sociale, économique et politique semblable à celle des Canadiens. L’acculturation de ces minorités culturelles (Ukrainiens, Irlandais, Italiens, etc.) était compliquée par la présence de barrières linguistiques et économiques. À son tour, la religion a contribué à l’intégration sociale et culturelle puisque ces groupes pratiquent généralement les mêmes religions que celles du pays hôte. Il en est de même pour la culture politique dans la mesure où la plupart des immigrants européens ou du Commonwealth provenaient de pays possédant des traditions démocratiques similaires à celles du Canada. Enfin, depuis les travaux de l’École de Chicago, l’urbanisme et la géographie urbaine ont développé des modèles (par exemple invasion-succession) à même de décrire la distribution spatiale des minorités ethniques traditionnellement européennes.

Pour les villes, le défi est donc de taille. Il consiste à s’adapter a cette diversité de plus en plus grande et à réussir à intégrer les nouveaux arrivants de manière à éviter le racisme, la discrimination et la marginalisation de certains groupes. Dans ces conditions, la recherche sur l’immigration importe afin d’établir des politiques appropriées en matière d’acculturation et d’intégration. Toutefois, certains problèmes doivent être signalés. Comme nous l’avons mentionné, la majorité des immigrants (80 %) choisit d’habiter dans cinq grands centres urbains. Il n’est donc pas étonnant de constater que les travaux portant sur la diversité et l’immigration soient menés principalement dans ces centres urbains. Or, dans une métropole, les problèmes liés à l’immigration (emploi, éducation, accès au logement, etc.) peuvent différer de ceux que l’on retrouve dans les petites villes ou dans les villes de taille moyenne. Par ailleurs, la métropole bénéficie également de ressources financières plus considérables, de meilleures infrastructures d’accueil, d’une plus grande capacité de générer des emplois de même que d’un plus grand nombre de chercheurs et d’organismes qui se consacrent à la recherche en vue de mettre au point des politiques appropriées.

Enfin, il y a lieu de tenir compte de la croissance de la population autochtone dans les villes de l’Ouest. En 2001, 25 % de la population autochtone résidait dans dix des 27 régions métropolitaines de recensement du pays, soit celles de Winnipeg, Edmonton, Vancouver, Calgary, Toronto, Saskatoon, Régina, Ottawa-Gatineau, Montréal et Victoria. En 2001, 55 755 autochtones demeuraient à Winnipeg, soit 8 % de la population de la ville. À Saskatoon, la population autochtone représente 9 % de la population (Statistique Canada, 2003). Ce phénomène est moins prononcé dans les grandes métropoles comme à Toronto et à Montréal, où la population autochtone représente moins de 1 % de la population. Or, en milieu urbain, l’intégration de la population autochtone représente un défi fort différent de celle des immigrants.

Ce survol vise à illustrer l’importance de la diversité de l’immigration dans les villes canadiennes. À cet égard, nos travaux de recherche portent principalement sur la diversité socioculturelle et l’immigration dans les villes de l’Ouest canadien, soit les minorités visibles de Winnipeg et la question du logement dit ethnique. Ces deux aspects posent différents problèmes théoriques et méthodologiques.

Les minorités visibles de Winnipeg

Depuis les années 1970, la diversité ethnique de la ville de Winnipeg a subi plusieurs transformations. La croissance démographique des immigrants venus d’Asie, de l’Afrique et du Moyen-Orient commence à avoir un certain impact social, culturel et économique. Selon le recensement de Statistique Canada (2001), la ville de Winnipeg (610 450 hab.) comprend des représentants de diverses minorités, soit 28 900 Asiatiques, 11 275 Africains et 1105 du Moyen-Orient. De plus, les Philippins constituent la plus importante minorité visible de Winnipeg. Il y a en effet 308 600 Philippins au Canada et 10 % d’entre eux (30 100) habitent Winnipeg. Ainsi, au Canada, la région métropolitaine de Winnipeg est celle qui possède la plus grande proportion de résidants originaires des Philippines.

La première phase de nos recherches est purement empirique. Elle consiste à étudier de façon comparative la répartition spatiale des diverses minorités ethniques, car il importe de pouvoir expliquer à quoi tient leur répartition spatiale au sein de la ville. À ce titre, nous avons complété la recherche sur les caractéristiques de la distribution spatiale des Philippins. Les résultats permettent d’en apprendre davantage sur les vagues migratoires, l’importance du rôle des femmes et de l’emploi traditionnellement féminin ainsi que sur le type de concentration spatiale qu’adopte ce groupe. La recherche portant sur les autres minorités visibles est également en cours.

L’étude de la distribution spatiale des minorités visibles dans les villes de l’Ouest révèle les caractéristiques propres à chaque minorité. Il importe dès lors de rechercher ce qui cause les différentes formes de concentration associées à chaque groupe. Par exemple, la concentration spatiale des Philippins est très faible à Winnipeg lorsque comparée à celle d’autres minorités visibles, pour qui la religion et la langue font obstacle à l’intégration. Ainsi, les similarités culturelles, religieuses, économiques et politiques contribuent à accentuer ou à diminuer la concentration spatiale. De plus, le rôle initial des femmes philippines sur le plan migratoire diffère du rôle plus habituel des jeunes hommes dans ce domaine. Que peuvent avoir en commun ces divers modèles d’immigration ? De plus, ces modèles expliquent-ils la distribution spatiale des immigrants au sein de la ville industrielle et de la ville d’aujourd’hui ? Si tel n’est pas le cas, il y a donc lieu de développer de nouveaux modèles décrivant à la fois la nouvelle réalité de la diversité urbaine de la ville d’aujourd’hui basée sur une économie postindustrielle. Or ces modèles ne peuvent être élaborés qu’à la condition de disposer d’une meilleure connaisance de la répartion spatiale des nouveaux arrivants.

Le logement dit ethnique

Le Canada est l’un des pays les plus urbanisés de la planète tout en ayant un caractère multiethnique prononcé, d’où l’importance de créer des villes inclusives où tous les citoyens soient en mesure de participer pleinement à la vie économique, culturelle, sociale et politique locale. Une attention toute spéciale doit être apportée aux besoins spécifiques des populations dites ethniques en aménagement et en matière de logement. Sans oublier que la recherche d’un emploi et d’un logement convenable demeure l’un des principaux défis pour les nouveaux arrivants (Carter et al., 2006). Plus souvent qu’autrement, la position économique désavantageuse des nouveaux immigrants les condamne à habiter des logements de qualité inférieure. La concentration excessive qui en découle peut conduire à la création de ghettos dits ethniques. Ainsi, plusieurs études démontrent que, dans les grandes villes canadiennes, les individus pauvres et non blancs éprouvent d’énormes difficultés à se trouver un logement (Danso et Grant, 2000 ; Brown et al., 2005). Ils tendent en fait à se rassembler dans des édifices plus ou moins délabrés. Cette situation s’observe notamment dans les quartiers centraux des villes de l’Ouest, soit à Winnipeg, Saskatoon et Régina. C’est aussi le cas de la population autochtone qui habite également dans les quartiers centraux.

La question du logement dit ethnique est devenue préoccupante à la suite des récentes émeutes qu’ont connues les banlieues françaises où se concentrent les représentants des minorités visibles. Mis à part le problème de l’emploi, le phénomène de ghettoïsation en banlieue semble être une des causes importantes de leur insatisfaction. Il y a donc lieu de s’interroger sur la nature même de l’aménagement urbain traditionnel, rationnel et fonctionnel de la métropole et de la banlieue. L’aménagement de nos banlieues est-il destiné à des populations qui seraient homogènes, du point de vue culturel ? Reconnaissons que le modèle de la banlieue canadienne est une expression du rêve américain. Ce modèle est conçu pour contenir le mode de vie des Blancs de classes moyennes et supérieures. Dans ces conditions, comment ce modèle traditionnel peut-il faciliter la coexistence de populations hétérogènes et multiculturelles ?

La majorité des locataires de logements sociaux sont des femmes célibataires, des familles monoparentales dirigées par des femmes, des bas-salariés (individu ou famille), des représentants de minorités visibles, des Autochtones, etc. Les besoins de ces divers groupes ne se limitent pas à l’obtention d’un loyer à prix modique. Ils ont besoin aussi de sécurité, d’une garderie, de l’accès au transport en commun et aux services communautaires, de mème qu’ils ont droit à l’égalité entre les sexes, à un bon design et à une bonne gestion des lieux (Dansereau et Séguin, 1995 ; Séguin, 1997 ; Symes et al., 2000 ; Rohe et Freeman, 2001). La racialisation croissante de la pauvreté au Canada constitue des défis de taille que doivent affronter les divers paliers de gouvernement. C’est à l’échelle des villes qu’il faut les relever.

L’un de nos projets consiste, dans cette perspective, à étudier de façon comparative la situation du logement dit ethnique à Montréal et à Winnipeg. Le projet comprend deux parties. Dans un premier temps, il s’agit d’analyser et de comparer la distribution de deux types de logements dits ethniques : les coopératives d’habitation réservées à des représentants d’une minorité ethnique et les complexes de retraite pour cette clientèle. Le but est d’analyser, en les comparant, les concentrations spatiales de ces deux types de logements. Ce faisant, nous pouvons identifier les types de logement qui, selon les quartiers, sont utilisés par ces divers groupes.

Dans un deuxième temps, notre étude porte sur les avantages et les inconvénients qu’il y a pour des représentants des minorités ethniques à habiter dans des coopératives de logement. À cet effet, nous comparons deux coopératives d’habitation situées dans deux quartiers différents. La première est établie depuis plusieurs années dans un quartier multiethnique, là où, toutefois, l’arrivée de nouveaux immigrants est en baisse. La deuxième coopérative, pour sa part, est située dans un quartier dominé par la présence de membres de minorités ethniques. L’analyse prend en compte différents paramètres déterminés en collaboration avec les représentants des minorités ethniques. Fondamentalement, les coopératives de logements en milieux dits ethniques soulèvent la question de l’inclusion et de l’exclusion des représentants des minorités ethniques par le marché immobilier, de même qu’au plan politique, étant donné notre vision du multiculturalisme. Ainsi, nous cherchons à savoir si le logement pour représentants des minorités ethniques est une forme positive ou bien négative du processus d’intégration et de la préservation des différences culturelle (Taboada-Leonetti, 1989 ; Pareira et al., 1996 ; Séguin, 1997).

Enfin, nous nous demandons s’il importe d’aménager des logements spécialement adaptés aux modes de vie et aux cultures des représentants des minorités ethniques (architecture, design, etc.). Si tel est le cas, alors comment inciter le secteur d’habitation (propriétaire, prêteurs, constructeurs, etc.) à tenir compte de cet aspect important de la demande de logement de la part des immigrants ? Cette question a déjà été étudiée en Europe et surtout en Angleterre (Harrison et Law, 1998), donnant lieu à des travaux portant principalement sur l’aspect architectural. Les municipalités, par contre, ne l’ont toujours pas abordée.

Architecture, villes et culture

Notre deuxième domaine de recherche se rapporte à la géographie urbaine des mouvements d’avant-gardes culturelles du XXe siècle. Nos recherches actuelles à cet égard s’inscrivent dans la continuation de nos travaux sur l’utopie urbaine et la critique de la vie quotidienne par l’Internationale situationniste (Vachon, 2003). Notre objectif est double. Premièrement, il s’agit d’explorer la place qu’occupent la ville, l’architecture et l’urbanïsme au sein des programmes et des pratiques culturelles de ces mouvements. Dans ce contexte, l’analyse des différents mouvements d’avant-garde (futurisme, dadaïsme, constructivisme, surréalisme, situationnisme) porte sur les visions urbaines et architecturales qui les animent et qui sont basées sur une critique de la vie quotidienne. Deuxièmement, l’étude de la critique et de l’utopie urbaine des mouvements culturels permet de mieux connaître et de mesurer leur contribution à l’histoire des idées prospectives de la ville. Cet aspect est d’autant plus important qu’il a été éclipsé par leurs activités culturelles et politiques. Notre recherche examine également l’interpénétration des pratiques culturelles et des visions urbaines et architecturales des différents mouvements par rapport au processus de transformation de la métropole. Ce projet vise donc à élargir la connaissance de l’histoire des utopies urbaines en architecture et en urbanisme en démontrant l’importance du rôle qu’ont joué la critique et la vision urbaine des avant-gardes culturelles du XXe siècle.

Ce projet de recherche s’inscrit également dans le cadre d’une réflexion portant sur la critique de la vie quotidienne, sur l’expérience subjective et affective de l’espace et leur apport à l’aménagement urbain. À ce titre, les pratiques urbaines et culturelles des mouvements d’avant-garde constituent notre laboratoire de recherche. Avec le recul du temps, il est possible d’aborder le concept d’avant-garde et ses adhérents comme une institution, certes informelle, séparée de la société et des institutions artistiques officielles et universitaires. Ces différents mouvements ont entraîné la formation de communautés nationales et internationales. Ces communautés, malgré de véritables conflits internes, partagent les mêmes valeurs et intérêts. Ainsi, au-delà de l’activité culturelle et politique de ces mouvements, leurs protagonistes sont également des acteurs urbains. Par leurs pratiques, ces derniers ont donc modifié le sens accordé aux objets et aux emplacements urbains. Qui plus est, certains mouvements, tels le futurisme et l’Internationale situationniste, ont produit des oeuvres éminement urbanistiques qui expriment une pensée culturelle et politique intimement liée à une vision urbaine et architecturale qui s’oppose au modèle urbain de leurs temps. Une pensée urbaine est issue d’une critique de la vie quotidienne et d’un questionnement sur le sens des lieux.

Le concept de la dérive urbaine permet d’illustrer certains aspects de notre réflexion sur l’expérience subjective et affective de l’espace. La dérive ou la déambulation urbaine constitue une pratique urbaine qui a été adoptée par l’ensemble des mouvements. L’analyse de cette pratique démontre que chaque mouvement l’a adaptée en fonction de ses programmes et de sa vision urbaine. Cette adaptation se poursuit encore aujourd’hui dans le milieu d’avant-garde artistique et comme pratique urbaine ludique par des groupes psychogéographiques d’Europe et des États-Unis. Cette progression critique du concept culmine avec le désir des situationnistes de transformer la dérive en une composante de leur programme d’aménagement urbain : l’urbanisme unitaire. Un phénomène qui n’est pas sans rappeler les tentatives de l’urbaniste Kevin Lynch (1960) d’utiliser les cartes mentales comme outil de planification de l’aménagement de l’espace urbain. Ainsi, l’Internationale situationniste tente de rationaliser le concept de dérive en une technique ou une méthode d’aménagement urbain. L’objectif est d’utiliser cette technique pour effectuer et élaborer une critique de la vie quotidienne et de l’aménagement de l’espace urbain ; identifier les espaces affectifs de la ville et concevoir l’aménagement d’espaces urbains (présent et futur) sur la base d’expérience affective des lieux. De plus, la dérive est intimement associée à la psychogéographie, c’est-à-dire à la cartographie affective de l’étude du terrain issue des dérives.

Sans aucun doute, la dérive constitue-t-elle en quelque sorte une méthode d’observation empirique permettant de critiquer l’aménagement urbain et d’identifier les lieux affectifs conduisant à une meilleure socialisation et à la conception d’environnements urbains viables. À titre d’exemple, Jane Jacobs (2004), grande pourfendeuse du fonctionnalisme, appuie ses travaux sur une critique de la vie quotidienne et une déambulation urbaine dans son propre quartier. De plus, il y a matière à réflexion en ce qui concerne le potentiel créatif de l’utopie et des visions urbaines. Cet aspect fait également partie de nos recherches puisque nous désirons évaluer le rôle que peut jouer le fait de défendre une vision urbaine dans le domaine de la politique municipale. L’on n’a qu’à penser au maire Drapeau de Montréal, dont l’oeuvre urbanistique a visiblement été inspirée par sa vision de la ville moderne. Or comment ces visions – ou leur absence – peuvent-elles favoriser la production ou le maintien d’espaces urbains invisibles et sans véritables significations pour ceux qui y habitent ?

Ce texte a permis de présenter certaines de nos recherches en cours et à venir. Il énonce plus de questions qu’il ne fournit de réponses puisque notre programme de recherche s’étend sur plusieurs années. Enfin, nos deux champs de recherche soulignent la nécessité de prendre en compte les transformations sociales et culturelles de nos villes. L’objectif est d’éviter de répéter les erreurs du passé en matière d’acculturation des communautés ethniques et d’aménagement de la ville fonctionnelle. En d’autres mots, il s’agit de reconnaître le potentiel de l’être humain à habiter ce monde, tel que l’exprime Heidegger : « l’homme habite en poète ».