Corps de l’article

Introduction

Les grandes aires métropolitaines font face à des problématiques complexes de structuration de leurs territoires. Parmi les enjeux sensibles auxquels se trouvent confrontées les métropoles figurent l’accessibilité au territoire et l’accessibilité du territoire [1]. L’article porte plus spécifiquement sur une observation de la structure de l’offre de transport collectif urbain dans le cadre d’une approche géographique renouvelée de l’accessibilité du territoire. L’enjeu est d’estimer plus finement des potentiels d’accessibilité en transport collectif (dimension méthodologique) et d’interpréter (dimension appliquée) les (dés) équilibres d’accès aux pôles d’excellence dans le territoire métropolitain lillois.

Les transports collectifs, en tant que solution de rechange à l’automobile et complément des modes actifs, ont un rôle important à jouer dans l’accès aux fonctions métropolitaines. Les indices d’accessibilité sont des outils privilégiés pour mesurer leur performance territoriale. Si de nombreux indicateurs existent, il reste plusieurs pistes méthodologiques à explorer pour affiner la mesure de l’accessibilité en transport collectif.

Le premier objectif de cet article porte sur ces investigations méthodologiques : comment mieux rendre compte des conditions d’accessibilité en transport collectif ? Comment mesurer la vulnérabilité du réseau de transport collectif et la plus ou moins grande fragilité de l’accessibilité du territoire ? Il s’agit de construire une méthode d’analyse originale de l’accessibilité qui tienne compte de la logique horaire des transports collectifs et de critères multiples, pas seulement temporels. De manière plus exploratoire, nous testons l’apport de simulation en situation perturbée pour compléter l’estimation multicritère de l’accessibilité.

Le second objectif de l’article concerne l’application à notre terrain d’étude : l’aire métropolitaine lilloise. À l’échelle de la Communauté urbaine de Lille Métropole (LMCU), nous analysons le niveau d’accessibilité en transport collectif aux sites stratégiques, à l’image de la méthode Public Transport Accessibility Level (PTAL) utilisée dans la planification des transports au Royaume-Uni. Dans une optique d’aide à la décision, notre ambition finale dans cet article est de mettre en regard les choix de planification multipolaire des pôles d’excellence avec l’organisation radiale du réseau de transport collectif : dans quelle mesure la structuration des projets stratégiques de l’aire métropolitaine lilloise est-elle orientée, accompagnée ou fragilisée par la structure du réseau de transport collectif ? L’hypothèse qui motive notre investigation méthodologique concerne la tension entre le développement radial des transports collectifs et la multipolarité des sites d’excellence métropolitains, qui peut fragiliser l’accessibilité par les transports collectifs.

Cette contribution se concentre sur les transports collectifs (combinés à la marche) et n’envisage pas une comparaison avec l’accessibilité automobile aux pôles d’excellence de Lille Métropole. L’enjeu est d’observer les territoires que dessinent les différents niveaux d’accessibilité par des modes autres que l’automobile afin de guider des choix de localisation et d’envisager une moindre dépendance à l’automobile dans les mobilités quotidiennes. L’apport d’une comparaison entre voiture et transports collectifs, par exemple sur des critères de temps d’accès, ne nous apparaît pas indispensable. En effet, les transports collectifs peuvent aujourd’hui offrir « des gains de temps non fondés sur des gains de vitesse » (Crozet, 2011b : 79) [2], à condition bien sûr que le minimum de « performance » (temps, fréquence, nombre de correspondances…) soit garanti, ce que nous cherchons à observer dans ce travail.

La démarche méthodologique et appliquée est précédée d’un cadrage théorique sur le concept d’accessibilité (différentes acceptions et mesures) et d’une présentation de la méthode PTAL (partie 1).

L’accessibilité des territoires en question

L’accessibilité du territoire : positionnement théorique

L’accessibilité se définit comme la possibilité, la capacité d’un lieu ou de toute autre chose d’être accessible à un individu ; c’est-à-dire qu’on est en mesure d’atteindre, d’utiliser, de comprendre. La définition est très large et le terme est aujourd’hui abondamment utilisé pour décrire des dimensions très diverses. Par analogie avec les multiples formes que prend un concept comme celui de la mobilité [3], il est nécessaire d’effectuer un effort de cadrage théorique pour préciser notre positionnement. Nous cherchons donc à étudier plus précisément l’accessibilité spatiale des personnes à travers le concept jugé englobant de mobilité, étudié également dans sa dimension spatiale.

La mobilité spatiale correspond à un « mouvement » des réalités sociales dans l’espace (Bassand et Lévy, 2003) qui peut être potentiel ou réel :

  • La mobilité « effective » ou « réalisée », c’est-à-dire le déplacement, caractérise des pratiques ou comportements avérés, individuels ou collectifs, marqués par un changement de position spatiale. Elle se rapproche de la définition utilisée dans l’ouvrage de géographie des transports : « système de déplacement en relation avec les programmes d’activité, les positions géographiques et la diversité des modes de déplacement » (Bavoux et al., 2005 : 10). Cette définition de la mobilité comme un transfert d’un lieu à un autre est l’acception la plus fréquente (Cattan, 2009).

  • La mobilité « potentielle », c’est-à-dire l’accessibilité, caractérise « l’offre de mobilité » (Lévy, 2003) à travers différentes dimensions estimant la capacité d’accès de l’espace ou à l’espace. Il s’agit d’une « possibilité » d’atteindre un lieu dans le but d’y effectuer une activité (L’Hostis et Conesa, 2010).

Cette première distinction revient à considérer que la mobilité se structure en deux dimensions : le déplacement observé et mesuré par des enquêtes de mobilité n’est que la partie immergée de l’iceberg. En effet, ce déplacement « résulte de conditions et d’aptitudes à la mobilité qui existent en amont de la mobilité effective et qui décrivent un éventail de potentiels individuels » (Wenglenski, 2006 : 105). On peut ainsi mesurer, en amont de l’action de se déplacer, « non plus une mobilité effective mais potentielle » (Wenglenski, 2003 : 113), c’est à dire une accessibilité. Cette forme de mobilité « n’appréhende pas le choix effectué et observé mais saisit et dénombre l’éventail des choix qui sont possibles et traduit par conséquent un « degré de liberté » en fonction de profils d’individus » (Ibid. : 15). Le paradigme d’accessibilité « permet de mettre en évidence les déterminants structurels, sociaux et spatiaux jouant sur les potentiels de mobilité. Cette notion de potentiel est centrale car elle différencie les déplacements effectués de la capacité des individus à se déplacer » (Oppenchaim, 2011).

Cette clarification en appelle une autre : chacune de ces dimensions de la mobilité spatiale – le déplacement et l’accessibilité – peut être observée à travers un prisme social et un prisme spatial. Ainsi, l’appréhension de l’accessibilité s’enrichit d’une formalisation systémique (figure 1) s’inspirant des termes employés dans l’appel à communication (MSFS, 2011) et d’une production récente (L’Hostis et Conesa, 2010) :

  • L’accessibilité des personnes correspond aux potentialités d’accès des populations aux ressources urbaines du territoire. Elle renvoie à un potentiel social qui peut être interprété comme une capacité individuelle ou collective d’être mobile dans l’espace. Cet aspect fait référence à la notion de motilité, définie comme « la manière dont un individu ou un groupe fait sien le champ du possible en matière de mobilité et en fait usage pour développer des projets » (Kaufmann et Jemelin, 2004). Le concept de « capital de mobilité » partage avec le paradigme de l’accessibilité une même conception de l’action comme moyen d’accéder à un certain nombre de ressources (Oppenchaim, 2011). Le territoire et ses aménagements nécessitent la mobilisation d’un certain niveau de compétences (physiques, cognitives, sensorielles) par les individus pour accroître leur potentiel de mobilité [4].

  • L’accessibilité du territoire correspond davantage à un potentiel spatial qui détermine la capacité de différentes ressources d’être accessibles en fonction de leur position dans l’espace et de la plus ou moins bonne maîtrise des distances. C’est donc ici la structure spatiotemporelle de l’offre de transport qui détermine le potentiel spatial de l’accessibilité. L’accessibilité est alors « un concept essentiellement spatial, qui vise à rendre compte de l’effort à consentir pour parcourir l’espace, dans le but d’atteindre un lieu qui abrite une ressource » (L’Hostis et Conesa, 2010 : 66).

Les interactions entre ces deux champs d’analyse décrivent un système d’accessibilité territoriale qui témoigne de la complexité des rapports entre les individus et les groupes sociaux, d’une part, et la configuration de l’espace géographique, d’autre part. Cette approche systémique s’inspire directement des travaux sur les interactions entre la matérialité du territoire et l’organisation sociale, rangées sous les expressions « autopoïèse » (Le Berre, 1995) ou « système territorial complexe » (Moine, 2002).

Figure 1

Le système d’accessibilité territoriale

Le système d’accessibilité territoriale

Réalisation : CETE Nord-Picardie

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Les interactions concernent, d’un côté, l’influence du potentiel social de mobilité sur le potentiel spatial ; de l’autre, la contrainte du potentiel spatial sur le social. Dans la première direction, il s’agit, par exemple, des démarches de « mise en accessibilité » de l’espace public qui visent à gommer au maximum les situations de mobilité réduite de diverses catégories d’usagers ou de l’apprentissage de compétences ; il s’agit aussi du développement de stratégies permettant à des individus ou groupes sociaux de s’ouvrir des potentiels de mobilité (sur ce point, voir par exemple la thèse de Yves Jouffe, 2007, les communications de Joël Meissonnier ou Thierry Ramadier au colloque MSFS 2011). Dans l’autre direction, l’exemple des contraintes du déséquilibre spatial de l’offre en transport collectif pour l’accès à un bassin d’emploi adapté illustre bien cette situation (Wenglenski, 2003 ; CERTU, 2007). Notre article porte sur un des aspects du système d’accessibilité territoriale, en l’occurrence l’accessibilité du territoire à travers la structure spatiotemporelle de l’offre de transport afin d’estimer la contrainte que celle-ci exerce sur les potentialités d’accès des populations.

Les mesures d’accessibilité du territoire par les transports collectifs

L’accessibilité, telle que nous la considérons dans cet article, renvoie donc à des critères spatiotemporels d’évaluation reflétant la performance intrinsèque du système de transport (Chapelon, 1997). Elle va dépendre non seulement de la position géographique respective des lieux d’origine et de destination, mais également du niveau de service offert par le ou les systèmes de transport utilisés pour accomplir le déplacement (Chapelon, 2005). L’accessibilité se mobilise très bien dans une modélisation spatiotemporelle, ce qui permet d’affiner les calculs et de mesurer l’adéquation des réseaux de transport à des rythmes de vie (Baptiste et L’Hostis, 2002). L’évaluation de l’accessibilité des transports collectifs, sous l’angle de la performance territoriale des réseaux de transport (Stathopoulos, 1994), fait référence à de multiples indicateurs. Différents travaux dressent des perspectives méthodologiques et clarifient le choix d’indicateurs pour l’analyse de l’accessibilité (Dupuy, 1985 ; Chapelon, 1997 ; Joly, 1999 ; Hilal, 2003 ; Caubel, 2006 ; Conesa, 2010). Selon ces sources, on peut déterminer trois grandes familles de mesures de l’accessibilité :

Indicateurs économiques

Les travaux d’économie spatiale distinguent généralement une accessibilité dite géographique (somme des distances aux lieux) et une accessibilité dite potentielle (somme des distances pondérées par le poids des lieux). Les modèles qui en découlent s’inscrivent dans le prolongement de la théorie économique de l’accessibilité urbaine de Koenig (1975). Les mesures d’interaction spatiale, généralisant les modèles gravitaires, visent à estimer un volume potentiel d’opportunités qu’on peut atteindre dans l’ensemble de l’espace urbain, pondéré par une fonction de résistance liée au déplacement entre une zone d’origine et une zone de destination (Caubel, 2006). Cette fonction de résistance traduit l’effort (distance, coût, durée du déplacement) que doit fournir l’individu en se déplaçant pour réaliser une activité ou pour atteindre un lieu de destination. Parmi les indicateurs les plus utilisés, figure le calcul de potentiel pour mesurer l’offre probable d’une ressource en tenant compte de sa distribution et d’une fonction d’interaction (Hilal, 2003). Dans notre approche davantage géographique, nous nous écartons des modèles gravitaires et donc de certaines modélisations récentes de l’accessibilité (par exemple les travaux du Laboratoire d’Économie des Transports dirigés par Yves Crozet).

Indicateurs rétistiques

Les modèles topologiques font appel à la théorie des graphes. Ils mesurent les propriétés géométriques de l’espace à travers la structure du réseau de transport. La démarche permet d’évaluer les effets spatiotemporels des réseaux par la mesure des distances, du temps, mais aussi des coûts, de la connectivité, etc. Les modélisations pionnières de la RATP (Stathopoulos, 1990) ont été ensuite largement enrichies par les travaux de l’École de Tours, principalement dans le cadre de thèses en aménagement (Laurent Chapelon, Christophe et Fabrice Decoupigny, Alain L’Hostis, Hervé Baptiste, Julien Coquio, Alexis Conesa, etc.). Nos choix méthodologiques s’inspirent en grande partie de ces travaux et s’appuient directement sur l’analyse des réseaux.

Prismes spatiotemporels

Les modèles issus de la time geography, mise en évidence par Torsten Hägerstrand, prônent l’analyse des possibilités de déplacements en tenant compte de leur empreinte spatiotemporelle (Conesa, 2010). La théorie s’appuie sur une représentation des volumes d’activités accessibles par les individus à un moment donné de la journée, sous les contraintes temporelles des individus et des activités. Les prismes spatiotemporels témoignent d’une accessibilité potentielle aux ressources urbaines dépendante de contraintes de capacité pesant sur l’individu (Chardonnel, 2001). La time geography nous interpelle sur deux éléments : d’abord sur l’épreuve individuelle que constitue la mobilité et qui nécessite une prise en compte des facteurs de pénibilité du déplacement (tels que les correspondances) ; ensuite sur l’importance des variations spatiotemporelles de l’offre de transport qui rend nécessaire, pour les transports collectifs, la prise en compte des services horaires.

La méthode PTAL (Public Transport Accessibility Level)

Parmi les mesures d’accessibilité utilisées par les autorités de transport, la méthode PTAL (Public Transport Accessibility Level) apparaît particulièrement riche d’enseignements pour notre démarche. Développée au Royaume-Uni, son usage témoigne de l’enjeu des mesures d’accessibilité pour l’aide à la décision dans le cadre de démarches de planification. En effet, l’évaluation de niveaux d’accessibilité en transport collectif est directement intégrée aux outils des politiques de transport et d’urbanisme, à Londres en particulier [5].

La méthode PTAL ne constitue pas une nouvelle famille d’outils d’évaluation de l’accessibilité ; elle s’appuie sur des indicateurs simples, essentiellement rétistiques, afin de fournir une représentation de la qualité de la desserte en transport collectif par zones géographiques. Transport for London (TFL) décrit la méthode comme « une mesure précise et détaillée de l’accessibilité d’un point sur le réseau de transport public, en tenant compte du temps d’accès à pied et de la disponibilité du service » (TFL, 2010 : 2). Les données nécessaires concernent le réseau viaire (pour calculer la distance aux stations de transport) et le nombre de services de transport dans chaque station. Cinq étapes sont nécessaires pour définir les niveaux d’accessibilité (TFL, 2010) :

  • D’abord, la distance de marche entre un site (appelé POI, Point Of Interest [6]) et une station de transport (appelée SAP, Service Access Point) est mesurée jusqu’à un seuil maximum : 640 m (8 min à pied) autour des arrêts de bus et 960 m (12 min à pied) autour des gares ferroviaires et stations de tramway/métro [7].

  • La fréquence des services de chaque SAP est ensuite définie au cours de la plage horaire du matin (entre 8h15 et 9h15) : elle correspond au nombre de dessertes dans chaque direction ou pour chaque mission de transport en commun (par exemple, pour un arrêt de bus qui n’est pas en situation de terminus, il s’agit du nombre de bus de chaque direction).

  • Un temps d’accès total est alors calculé par l’addition du temps de marche des POI à la SAP avec le temps moyen d’attente [8] d’un véhicule pour le service désiré (ex. : le temps de marche jusqu’à la gare est de 10 minutes, le temps d’attente moyen entre chaque train est de 10 minutes, alors le temps d’accès total est de 20 minutes).

  • Le temps d’accès total est converti en EDF [9] (Equivalent Doorstep Frequency, Fréquence équivalente à la « porte » = index d’accessibilité du POI). Le ratio est ensuite pondéré [10] pour produire un index d’accessibilité pour chaque itinéraire dont la somme produit un index d’accessibilité global pour le POI comme le montre l’exemple du PTAL du pôle d’excellence Euratechnologies (tableau 1).

Tableau 1

Exemple de calcul du niveau d’accessibilité du transport public (PTAL) pour le pôle d’excellence Euratechnologies

Exemple de calcul du niveau d’accessibilité du transport public (PTAL) pour le pôle d’excellence Euratechnologies

Réalisation : CETE Nord-Picardie

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La démarche est répétée pour obtenir un indice au niveau de chaque point sélectionné, sachant que du nombre de POI sélectionnés dépendra la finesse de la mesure de l’accessibilité et de la représentation spatiale. Le résultat est synthétisé en 6 classes correspondant à une note de 1 à 6 (avec sous-divisions 1a, 1b, 6a et 6b) : un PTAL de 1 témoigne d’un accès très limité en transport public (indice d’accessibilité globale de 0 à 5) alors qu’un PTAL de 6 désigne un secteur à l’accessibilité optimale (indice d’accessibilité globale supérieur à 25 pour 6a, supérieur à 40 pour le niveau 6b).

Le tableau 2 présente une application de la méthode anglo-saxonne à l’accessibilité en transport collectif aux cinq pôles d’excellence de Lille Métropole. Ces pôles considérés comme les POI de la méthode PTAL bénéficient d’un index d’accessibilité très contrasté : Euralille possède le niveau le plus élevé des PTAL avec un index plus de cinq fois supérieur à tous les autres pôles d’excellence. Les autres sites stratégiques de la métropole lilloise sont classés au niveau 2 sur 6, ce qui correspond à une très faible performance de l’accessibilité en transport collectif. À la lecture de ces résultats, on peut se demander si le choix d’implantation des sites d’excellence, à l’exception d’Euralille, a réellement tenu compte de la desserte en transport collectif. Répondre à cela revient à remettre en question la méthode PTAL : cette estimation de l’accessibilité est-elle satisfaisante pour évaluer la performance territoriale des transports collectifs ?

Tableau 2

Niveau d’accessibilité du transport public (PTAL) pour les cinq pôles d’excellence de Lille Métropole

Niveau d’accessibilité du transport public (PTAL) pour les cinq pôles d’excellence de Lille Métropole
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Les TGV utilisés pour des dessertes régionales sont appelés dans le Nord-Pas-de-Calais : TER-GV (train express régional à grande vitesse).

Réalisation : CETE Nord-Picardie

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La méthode PTAL représente une amélioration significative par rapport aux tentatives antérieures visant à évaluer l’accessibilité locale (Gent et Symonds, 2005). Cependant, ces auteurs montrent aussi les limites de la démarche PTAL, qui ne tient pas compte de la vitesse et de la portée des services accessibles, de la capacité des véhicules et de la qualité des correspondances. Ainsi, tout en nous inspirant de la démarche PTAL, nous avons choisi plusieurs adaptations méthodologiques, présentées dans la partie suivante, pour mesurer les niveaux d’accessibilité à cinq POI, les pôles d’excellence de la Communauté urbaine de Lille.

Démarche méthodologique : vers une estimation multicritère de l’accessibilité en transport collectif

Une accessibilité horaire mesurée par MUSLIW, logiciel de calcul d’accessibilité multimodale

Notre démarche méthodologique est motivée par la construction d’un indicateur d’accessibilité enrichissant les approches existantes sur l’évaluation de l’apport du réseau en différents points ou secteurs du territoire (Stathopoulos, 1994). En cohérence avec les apports théoriques, il apparaît indispensable d’appréhender l’accessibilité en transport collectif par les données des services horaires. La prise en compte des horaires assure une compréhension plus fine des possibles qu’un temps moyen ou qu’un meilleur temps de trajet, en se plaçant au niveau de l’usager. Les transports collectifs étant soumis aux horaires de passage des véhicules, « il est pertinent d’utiliser l’information horaire pour comprendre le fonctionnement et analyser la performance spatiotemporelle du système » (L’Hostis et Conesa, 2010 : 70).

Créé et développé au CETE Nord-Picardie, MUSLIW est un outil de mesure de l’accessibilité multimodale à partir de données avec des formats largement répandus. Il utilise un algorithme des plus courts chemins qui a été adapté aux besoins de coupler et de comparer route et transport collectif. Les mesures d’accessibilité effectuées dans MUSLIW associent : le transport individuel sur voirie (tel que la voiture, la marche ou le vélo) qui n’a pas de contrainte horaire (mais avec la possibilité de déterminer des périodes de la journée ou de la semaine où la circulation est plus difficile) et le transport collectif avec des services horaires et un calendrier précis de la circulation. La donnée de base calculée par MUSLIW [11] est renseignée au niveau de chaque tronçon du réseau viaire.

Le réseau multimodal a été construit à partir de trois sources de données : les horaires du réseau de transport collectif urbain Transpole du printemps 2008 (métro, tramway, bus) ; les horaires du réseau ferroviaire de la SNCF de l’hiver 2008 ; le réseau de voirie de la Communauté urbaine de Lille Métropole (figure 2). Les gares et les arrêts de transport collectif ont été connectés orthogonalement sur le tronçon de voirie le plus proche. Les tronçons Transpole et SNCF sont définis par un calendrier de circulation et des horaires de passages (horaire de départ, horaire d’arrivée) contrairement aux tronçons de marche qui sont, eux, disponibles 7j/7 et 24h/24. Nous avons dû effectuer un travail important de structuration et d’exploitation des bases de données horaires pour construire les tronçons de transport collectif (TC). Le travail a été réalisé avec Mapinfo pour la connexion des gares et des arrêts au réseau de voirie et avec R [12] pour la structuration et l’exploitation des données horaires. Au final, le réseau du territoire communautaire compte 35 025 noeuds, 113 845 arcs et 451 729 services horaires.

L’accessibilité est mesurée à partir d’une adresse (croisement de tronçons de voirie) se situant au barycentre de chaque pôle d’excellence de Lille Métropole. Ce point est plus ou moins éloigné d’une station de transport en commun. Ainsi, les mesures prennent en compte les pré et post acheminements réalisés à pied sur les tronçons de voirie.

Une accessibilité horaire pondérée par des requêtes minutées

Le travers méthodologique des mesures d’accessibilité sous contrainte horaire est lié à sa trop grande précision : calculer l’accessibilité à 9h peut donner une accessibilité très différente d’un même calcul à 9h04 : « Ce type de mesure est adapté à des questionnements très précis posés sur un territoire ; cependant il est nécessaire de mettre en place des mesures d’agrégation, du type moyenne sur une plage temporelle, pour construire une analyse globale » (L’Hostis et Conesa, 2010 : 70). Ainsi, il est apparu intéressant de multiplier les mesures d’accessibilité horaire dans une plage horaire à l’image de la méthode PTAL (niveau de service entre 8h15 et 9h15). L’heure de pointe du matin est d’ailleurs considérée « comme un bon indicateur du niveau de service offert pour les relations domicile-travail » (DRE NPDC, 1999) : c’est la période de début des cours, de l’ouverture des magasins et des bureaux » (Ménerault et L’Hostis, 2000).

Nous avons choisi d’effectuer une moyenne des calculs d’accessibilité pour un accès aux sites étudiés entre 8h et 9h. Dans cette plage horaire, 60 requêtes ont été réalisées, soit une toute les minutes. Ainsi, nos mesures d’accessibilité correspondent à la moyenne de 60 chemins optimaux mesurant l’accès à 8h00, 8h01, 8h02,… 8h59 aux pôles étudiés à partir de tous les points du réseau (viaire et TC). Ce grand nombre d’interrogations, rendu possible par l’amélioration des outils informatiques, permet d’observer et de pondérer les variations de l’accessibilité horaire en transport collectif. Ce choix se démarque nettement d’un simple comptage de la densité des services de transport dans une plage horaire.

Figure 2

Le réseau multimodal (transport collectif et voirie) de la Communauté urbaine de Lille Métropole dans Musliw

Le réseau multimodal (transport collectif et voirie) de la Communauté urbaine de Lille Métropole dans Musliw

Réalisation : CETE Nord-Picardie

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Le calcul des chemins optimaux avec MUSLIW se fait en temps généralisé essentiellement pour paramétrer des pondérations sur le temps de marche (pénalité de 50 %) et sur le temps de correspondance (pénalité de 10 minutes). Ces paramètres ont été définis à partir d’un travail exploratoire qui visait à reconstituer, par la modélisation, les déplacements réellement comptabilisés sur le réseau de transport en commun de Lille Métropole (Palmier, 2009). Pour obtenir la ventilation par lignes de transport en commun la plus fidèle aux enquêtes de mobilité, les pondérations sur la marche et sur les correspondances ont été ajustées empiriquement [13]. Le temps de marche est donc pénalisé de 50 % en temps généralisé. Sur ce modèle, un usager privilégiera un trajet de 20 minutes en transport collectif plutôt qu’un trajet de 15 minutes à pied.

Le temps de correspondance est composé d’un temps de marche entre la station d’arrivée et la station où l’usager attend sa correspondance [14] puis d’un temps d’attente qui dépend de la plus ou moins bonne combinaison des horaires [15]. Le temps minimal de correspondance en dessous duquel l’intermodalité est impossible est fixé à deux minutes [16]. Il a été pondéré d’un facteur 5, ce qui implique que chaque rupture de charge équivaut à une pénalité de 10 minutes en temps généralisé. Ce paramétrage, indispensable pour éviter que la simulation privilégie de manière démesurée de nombreuses correspondances, est cohérente avec les travaux sur la valeur donnée au temps par les usagers des transports collectifs (Litman, 2008 ; Dobruszkes et al., 2011) : une correspondance est usuellement assimilée à une pénalité de 5 à 15 minutes d’équivalent du temps passé à bord (en sus du temps objectivement passé à attendre) ; un usager préférerait donc un trajet direct de 40 minutes à un trajet de 30 minutes avec correspondance. Les mesures interdisent également à un usager d’attendre un temps prohibitif à un arrêt, fixé ici à 60 minutes. Ces paramétrages des conditions de correspondance constituent une autre différence avec la méthode PTAL qui ne tient pas compte des ruptures de charge.

En outre, le budget temps de marche alloué à l’usager est de 30 minutes maximum pour l’intégralité de son déplacement, ce qui équivaut à 2 km de marche (demi-tour interdit, vitesse de marche fixée à 4 km/h) : ce seuil se justifie par les résultats de l’Enquête ménages déplacements de Lille Métropole (LMCU-CETE NP, 2007) qui atteste que la part modale de la marche pour un déplacement reste importante jusqu’à 2 km, mais résiduelle au-delà [17]. Ainsi, le cumul de la marche pour atteindre la station de transport collectif à partir de son domicile, pour effectuer d’éventuelles correspondances [18] et pour atteindre la destination terminale (les pôles d’excellence), ne doit pas dépasser 30 minutes. Si une origine-destination dépasse ce seuil, le déplacement est considéré comme non réalisable en transport collectif. L’accessibilité pédestre aux stations n’est donc pas soumise à une distance maximale stricte comme dans la méthode PTAL (640 m pour le bus, 960 m pour le ferroviaire), mais à un budget temps plus souple à répartir pour le pré et post acheminement qui adoucit l’effet de bordure et ouvre une palette de choix [19].

Le calcul de 60 simulations (chaque minute entre 8h et 9h vers le POI pour 8h, 8h01, 8h02, 8h03…) avec MUSLIW génère, pour chaque pôle, d’excellence, un fichier résultats [20] qui contient, pour chaque tronçon du réseau accessible, toutes les caractéristiques des temps d’accès (origine, destination, jour, heure, temps : dans le véhicule, d’attente, de correspondance, de marche, etc.). Ce fichier doit ensuite faire l’objet de traitements statistiques pour construire les indicateurs d’accessibilité à travers trois critères.

Trois critères pour une mesure de l’accessibilité : temps, intensité, pénibilité (TIP)

Pour refléter une mesure plus réaliste de l’accessibilité du territoire, nous avons choisi de ne pas nous limiter au critère temporel. L’accessibilité horaire en transport collectif présenté dans cet article combine trois critères dits TIP : le temps, l’intensité et la pénibilité (figure 3) :

  • Le critère temporel est calculé par une moyenne des temps d’accès estimés sous contrainte horaire (accès aux pôles d’excellence à 8h00, 8h01, 8h02… 8h59). Il s’agit donc d’une réalité horaire « moyennée » par ces mesures minutées.

  • Le deuxième critère correspond à l’intensité de l’offre pour l’accès en transport collectif combinant le nombre de services et leur « élasticité ». La fréquence des relations est mise en évidence par le nombre de possibilités d’effectuer le trajet sur une plage temporelle, en l’occurrence l’heure de pointe du matin (accès à 8h00, 8h01, 8h02… 8h59). Comme nous effectuons 60 requêtes, il y a 60 possibilités au maximum d’avoir une offre pour accéder aux pôles d’excellence. Si, par exemple, une relation n’est desservie que par un train toutes les demi-heures, alors les 60 simulations à la minute ne donneront que 2 horaires de départ différents dans l’heure. Ce critère est doublé d’une autre estimation : la variabilité des temps d’accès sur la même plage horaire. L’élasticité du service, composante importante de l’accessibilité en transport collectif (Chapelon et al., 2005), correspond ici à l’écart-type, c’est-à-dire la dispersion des temps d’accès autour de la moyenne. Indépendamment du temps d’accès, l’usager souhaite pouvoir bénéficier d’une fréquence correcte avec un niveau de service relativement homogène pour limiter sa dépendance à une offre de bonne qualité mais très rare.

  • Le troisième critère témoigne du caractère plus ou moins éprouvant des déplacements : l’accessibilité ne renvoie pas exclusivement à une seule donnée temporelle, mais elle traduit également la « pénibilité du déplacement » (Chapelon, 2004). Ce critère de pénibilité est estimé à travers la moyenne du nombre de voyages nécessaires pour effectuer chacune des relations interrogées : 0 voyage équivaut à un trajet entièrement à pied, 1 voyage équivaut à un déplacement sans correspondance, 2 voyages équivalent à un déplacement avec 1 correspondance, etc. Cet indicateur de correspondances traduit un effort à la fois physique, cognitif et affectif (Wardman et Hine, 2000), qu’il est important de prendre en compte pour mieux estimer l’accessibilité.

Figure 3

Décomposition des critères de temps, d’intensité et de pénibilité pour la mesure de l’accessibilité TIP. Exemple d’Euratechnologies

Décomposition des critères de temps, d’intensité et de pénibilité pour la mesure de l’accessibilité TIP. Exemple d’Euratechnologies

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Mentionnons que d’autres critères peuvent être ajoutés ou enlevés selon les objectifs de la mesure de l’accessibilité. Par exemple, la capacité du réseau (nombre de passagers pouvant être véhiculés par les différents modes) apparaît comme un critère supplémentaire intéressant pour intégrer les risques de saturation et rendre compte d’une autre forme de pénibilité ressentie par les usagers.

Afin d’offrir une évaluation agrégée de l’accessibilité en transport collectif à chaque pôle d’excellence, nous avons construit une typologie croisant les critères TIP de temps, d’intensité et de pénibilité. Pour cela, il a fallu donner à chacune des variables TIP une importance équivalente et donc les transformer en variables centrées réduites (moyenne = 0, écart type = 1). La classification statistique automatique est basée sur la procédure K-means [21] en raison du nombre important de données à traiter, plutôt que sur une classification ascendante hiérarchique. Nous avons fait le choix de ne pas pondérer une variable particulière (par exemple, le temps) et d’assumer une classification statistique où toutes les variables ont la même importance. Il ne s’agit donc ni d’une procédure classique d’agrégation basée sur le principe de la somme pondérée (logique compensatoire) ni d’une procédure plus élaborée de type ELECTRE TRI [22].

En référence aux différents niveaux de la méthode PTAL, six classes homogènes ont ainsi été générées. Une septième classe regroupe les tronçons inaccessibles en transport en commun pour se rendre au pôle concerné, compte tenu des hypothèses retenues. Chaque agrégation de l’accessibilité TIP à un pôle d’excellence obtient des classes ayant des bornes spécifiques.

Le poids de la population résidant dans les différentes classes statistiques peut ensuite être déterminé pour quantifier la couverture démographique des secteurs correspondant à un des six niveaux d’accessibilité TIP. Les données démographiques utilisées sont les populations sans double compte issues du recensement général de la population 1999 de l’INSEE [23]. Comme il est nécessaire de passer d’une classification linéaire à une classification de surface pour estimer les populations couvertes, le territoire communautaire a été maillé par des cellules de 100 m de côté par l’intermédiaire d’un module original mis au point par le CETE avec Mapinfo [24]. Pour chacune des cellules, on détermine le tronçon le plus proche qui ne traverse pas un obstacle infranchissable à pied, par projection orthogonale. La valeur de la classe à laquelle le tronçon appartient est alors affectée à la cellule. Il suffit ensuite de dessiner les contours du polygone de la zone d’influence de la classe d’accessibilité considérée. Une requête géographique permet ensuite de déterminer la population de chaque polygone, ventilée dans chacune des classes au prorata de la surface d’intersection entre les deux polygones.

Enfin, la démarche vise à produire une carte d’accessibilité multipolaire en transport collectif cumulant les différentes mesures polaires, c’est-à-dire à chacun des cinq pôles d’excellence de la métropole lilloise. Une typologie basée sur des niveaux communs d’accessibilité TIP définis empiriquement assure une comparaison entre les mesures au niveau des cinq sites stratégiques. Il en résulte six classes (de « très bon » à « très faible ») distinguant le niveau d’accessibilité de chaque territoire et fournissant une image unique à l’échelle de Lille Métropole de l’accessibilité en transport collectif aux pôles d’excellence.

Une mesure de l’accessibilité appliquée aux pôles d’excellence de l’aire métropolitaine lilloise

Transport public et planification stratégique dans l’aire métropolitaine lilloise

L’agglomération lilloise est structurée politiquement en communauté urbaine [25] appelée LMCU (Lille Métropole Communauté urbaine) qui regroupe 85 communes et un peu plus d’un million d’habitants. La communauté urbaine va s’engager dans la bifurcation métropolitaine (Paris et Stevens, 2000) dans un contexte marqué par une crise industrielle d’une rare intensité. L’arrivée du TGV au coeur de Lille en 1994 va sceller un consensus métropolitain et activer la création d’une « turbine tertiaire », Euralille, selon les propres mots de Pierre Mauroy, ancien président de LMCU. L’espace interstitiel entre la gare existante de Lille-Flandres et la nouvelle gare de Lille-Europe a ouvert des opportunités d’aménagement urbain qui ont permis symboliquement de créer une métropole sur l’intervalle (Doutriaux, 1992).

Ce projet d’envergure s’affirme aujourd’hui comme la principale vitrine tertiaire métropolitaine : le programme central « Euralille 1 » lancé en 1994, puis « Euralille 2 » en 2000 et la Zone d’aménagement concerté (ZAC) « Porte de Valenciennes », en cours de réalisation dans le prolongement spatial des premières phases, représentent plus de 350 000 m2 de surface de bureaux pour un objectif de 15 000 emplois. La vitrine tertiaire de Lille Métropole est présentée par le schéma directeur [26] en vigueur (approuvé en 2002) comme un « pôle d’excellence métropolitain » de premier plan. Cependant, il n’est pas le seul à être considéré comme un point fort du rayonnement économique de la métropole (tableau 3).

Tableau 3

Les pôles d’excellence métropolitains du schéma directeur

Les pôles d’excellence métropolitains du schéma directeur
*

le pôle « Rives de la Haute Deûle » s’appelle aujourd’hui « Euratechnologies »

Source : Schéma directeur LMCU, 2002

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Le schéma directeur s’appuie sur le développement d’un schéma polycentrique autour de cinq pôles d’excellence : hormis Euralille, il s’agit des secteurs de l’Union autour du canal entre Roubaix, Tourcoing et Wattrelos, d’Euratechnologies entre Lille et Lomme, d’Eurasanté accolé au site hospitalier universitaire régional entre Lille, Loos et Wattignies, et de la Haute-Borne à proximité de l’université de Lille 1 à Villeneuve-d’Ascq. La planification stratégique de la métropole lilloise, relayée aujourd’hui par un SCOT en cours d’élaboration, vise à renforcer une offre économique de niveau international. D’après le schéma directeur, ces cinq pôles d’excellence sont conçus pour que leur rayonnement dépasse les limites de l’arrondissement et contribue à l’ambition européenne de la métropole. Par leur implantation multipolaire (centre pour Euralille, est pour Haute-Borne, ouest pour Euratechnologies, sud pour Eurasanté, nord pour Union), ils contribuent à opérer une redistribution symbolique de la centralité (CASTEL, 2007).

Pour que ces cinq pôles participent au rayonnement métropolitain, l’accessibilité est perçue comme un enjeu prioritaire. Aux niveaux international et national, la desserte en TGV connectée à de grands aéroports internationaux assure une bonne accessibilité malgré une rente de situation fragile (Ménerault, 2010). Au niveau régional, considéré comme la zone d’extension de l’influence métropolitaine lilloise, le réseau autoroutier saturé et le réseau ferroviaire régional tentent de pallier la croissance des flux de navetteurs vers le secteur central de la métropole. L’utilisation de TGV pour des liaisons régionales participe à l’élaboration d’un scénario métropolitain visant à mettre les principales villes régionales à moins d’une heure de Lille, épicentre de la dynamique économique. Dans cette architecture, les gares de Lille-Flandres et Lille-Europe constituent un important « espace nodal » (Barre, 2001) au coeur d’une aire métropolitaine de 3,5 millions d’habitants (Paris, 2002).

À défaut de disposer de toutes les données pour étendre notre zone d’analyse à l’échelon euro-régional [27], l’application se restreint à l’échelle de la communauté urbaine assimilable à un sous-ensemble métropolitain cohérent [28]. À cette échelle, la construction du métro léger a joué un rôle structurant dans l’affirmation de l’identité métropolitaine, comme l’a démontré Ménerault (1996). Les deux lignes de métro sillonnent les différents versants de la conurbation lilloise et desservent les principaux générateurs de flux de la métropole (gares TGV, universités, centres hospitaliers, pôles d’excellence, etc.). L’usage de l’automobile individuelle est cependant majoritaire pour les déplacements des habitants de Lille Métropole [29], ce qui pose des problèmes – communs aux autres grandes agglomérations – de congestion des infrastructures, de pics de pollution ou de saturation de l’espace public par la voiture. L’accessibilité automobile aux pôles d’excellence est également soutenue par une desserte autoroutière performante et une offre de stationnement importante.

De plus, le réseau de transport collectif porte des signes de fragilité que nous allons tester par la mesure de l’accessibilité aux pôles d’excellence. En effet, le développement essentiellement radial du réseau de transport collectif néglige souvent la complémentarité avec le mode ferroviaire (Ménerault et Barré, 2001). Cette organisation radiale qui « peut apparaître aujourd’hui comme une force, en raison des gains d’accessibilité procurés par la concentration des moyens de transport et des échelles de desserte, peut s’avérer demain comme un facteur de fragilité », notamment par le résultat d’une « répartition plus éclatée des grands projets métropolitains » (Ménerault, 2008 : 159). Autrement dit, le développement radial des réseaux de transport collectif (dont l’architecture dépend beaucoup des deux lignes de métro) apparaît en tension avec le développement multipolaire des sites métropolitains stratégiques. Ainsi, nous soutenons l’hypothèse que cette tension entre radialité des transports collectifs et multipolarité des sites d’excellence peut fragiliser l’accessibilité par les modes substitutifs à la voiture aux principaux poumons économiques de la métropole. Pour tester cette hypothèse, nous proposons d’appliquer la méthode multicritère de mesure de l’accessibilité en transport collectif.

Les pôles d’excellence de l’aire métropolitaine lilloise : une accessibilité en transport collectif homogène ?

Avant de passer en revue l’accessibilité en transport collectif à l’ensemble des pôles d’excellence, nous présentons les résultats sur un site stratégique, celui d’Euratechnologies.

Figure 4

L’accessibilité TIP en TC au pôle d’excellence Euratechnologies

L’accessibilité TIP en TC au pôle d’excellence Euratechnologies

Réalisation : CETE Nord-Picardie

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L’exemple d’Euratechnologies

L’accessibilité au pôle Euratechnologies croisant des critères de temps, d’intensité et de pénibilité est présentée à la figure 4 et au tableau 4. Aménagé sur une friche industrielle entre Lille et Lomme, ce site bénéficie d’un bon accès de proximité dans un environnement urbain assez dense. Il est desservi par la ligne 2 du métro léger, même si les deux stations les plus proches (Canteleu et Bois Blancs) sont légèrement excentrées du site : il faut compter une dizaine de minutes à pied de post acheminement. Les lignes 1 et 2 du métro assurent cependant une très bonne desserte d’Euratechnologies à partir d’une large portion de l’espace aggloméré de Lille Métropole (1/3 de la population couverte par le corridor métro). Les liaisons directes par le bus urbain sont faibles : seule la commune de Lambersart, au nord-est du pôle d’excellence, bénéficie d’une accessibilité qui entre dans la catégorie « corridor métro ». Au-delà, une troisième classe distingue des territoires relativement bien desservis, mais nécessitant une correspondance par le rabattement de lignes de bus vers le métro. Les communes du bassin nord-est autour de Tourcoing et Roubaix (hors-corridor métro) présentent des caractéristiques analogues (même fréquence et même type de rabattement bus vers métro) mais avec temps de trajet beaucoup plus élevé (classe 4).

Tableau 4

L’accessibilité TIP en TC au pôle d’excellence Euratechnologies

L’accessibilité TIP en TC au pôle d’excellence Euratechnologies

Réalisation : CETE Nord-Picardie

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Nous avons procédé à l’estimation de la population métropolitaine couverte par les secteurs correspondant aux différents niveaux d’accessibilité. La 1ère classe accessible à pied correspond à 33 000 habitants. La zone de pertinence du métro couvre 34 % de la population de LMCU soit 373 000 habitants. Les espaces péricentraux autour de Lille et autour de Roubaix et Tourcoing comptent respectivement pour 24 % et 22 %. Les autres secteurs sont beaucoup moins denses, même si la population non couverte par un service de transport collectif pour atteindre Euratechnologies s’élève à près de 70 000 habitants (figure 5).

Pour bien comprendre l’apport de la méthode multicritère, il est utile de procéder à une comparaison du tableau 4 (accessibilité TIP) avec la figure 5 illustrant une méthode plus classique de mesure de l’accessibilité. En effet, cette mesure ne tient compte que du meilleur temps de trajet en transport collectif pour accéder au pôle d’Euratechnologies (les autres paramètres de pré et post acheminement pédestre restent cependant les mêmes). On observe quelques ressemblances pour les secteurs les plus proches du site, mais surtout plusieurs secteurs où l’accessibilité apparaît très différente d’une mesure à une autre. L’estimation par le meilleur temps de trajet surestime l’accessibilité des secteurs proches desservis par le bus (au nord par exemple). Inversement, par rapport à l’analyse multicritère TIP, elle sous-estime nettement l’accessibilité des zones où le temps d’accès (plus ou moins bon) est compensé par une offre fréquente et directe. C’est notamment le cas du secteur nord-ouest de la métropole (Roubaix et Tourcoing) dont l’accessibilité TIP est qualifiée de bonne, alors qu’elle est médiocre si l’on tient compte uniquement des meilleurs temps de trajet. La principale différence entre les deux mesures est la forme plus radioconcentrique et continue de l’accessibilité par les meilleurs temps. L’accessibilité TIP produit des différentiels plus forts (par exemple à Villeneuve-d’Ascq entre le corridor métro et les zones desservies par le bus) alors que les meilleurs temps génèrent des paliers plus réguliers. Cette comparaison témoigne aussi de la diversité des représentations de l’accessibilité du territoire qui peuvent être produites.

Figure 5

L’accessibilité par les meilleurs temps de trajet en TC au pôle d’excellence Euratechnologies

L’accessibilité par les meilleurs temps de trajet en TC au pôle d’excellence Euratechnologies

Réalisation : CETE Nord-Picardie

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La méthode TIP contribue à rééquilibrer la mesure de l’accessibilité, généralement centrée sur le critère de temps de trajet. Cependant, la conséquence de l’agrégation de plusieurs indicateurs est la moindre lisibilité des résultats qu’avec les méthodes classiques d’estimation de l’accessibilité par les meilleurs temps. Le choix de la méthode dépend donc de l’usage qu’on veut en faire.

Synthèse des cinq pôles d’excellence

La synthèse cartographique croise les potentiels d’accessibilité en transport collectif des cinq pôles d’excellence (figure 6). Au-delà de la typologie statistique des six secteurs d’accessibilité, nous avons déterminé trois seuils explicatifs pour assurer une bonne comparaison de l’accessibilité TIC entre les différents sites : le premier distingue un bon niveau d’accessibilité avec des critères de temps inférieur à 40 minutes, d’intensité supérieure à 12 dessertes (minimum 1 desserte toutes les 5 minutes) et de pénibilité inférieure à 1,5 voyage ; le deuxième, un niveau moyen d’accessibilité, avec des critères de temps inférieur à 60 minutes, d’intensité supérieure à 6 dessertes (minimum 1 desserte toutes les 10 minutes) et de pénibilité inférieure à 2,5 voyages ; le troisième seuil concerne les faibles niveaux d’accessibilité (tableau 5).

C’est au voisinage de l’espace nodal « Lille-Flandres, Lille-Europe » et de la ligne 1 de métro que l’accessibilité est la plus performante vers tous les pôles d’excellence : près de 190 000 habitants sont concernés (secteur 1). L’autre secteur bénéficiant d’un bon niveau d’accès à tous les sites stratégiques est plus restreint en bordure de la ligne 2 de métro à Lomme, Lille-Sud et Mons-en-B. (87 000 habitants, secteur 2). Le périmètre couvert par le tramway et la ligne 2 de métro vers le nord-est de la métropole bénéficie d’une accessibilité moyenne vers quatre des cinq pôles d’excellence (mise à part Haute-Borne) tandis que les communes en bordure de la ville offrent des liaisons bus de même niveau vers un nombre de pôles équivalent (mise à part Union). La zone autour du site de l’Union est traitée spécifiquement du fait de son accessibilité privilégiée à ce pôle.

La comparaison de l’accessibilité par pôle d’excellence démontre la position privilégiée d’Euralille : la couverture de la population de la Communauté urbaine Lille Métropole (LMCU) bénéficiant d’un accès bon ou moyen à Euralille est de 69 %. En effet, le secteur d’Euralille dispose d’une forte accessibilité à pied pour les secteurs denses à proximité et surtout en transport collectif : une large frange métropolitaine bénéficie d’un niveau d’accès très performant grâce à la convergence des lignes de métro 1 et 2, du tramway et de nombreuses lignes de bus. Au-delà, l’accès au plus grand pôle stratégique se distingue par un faible nombre de voyages et des accès directs très nombreux à partir de l’ensemble de la communauté urbaine. Cette large couverture d’Euralille en transport collectif témoigne de la construction radiale de l’architecture lourde du réseau de transport lillois.

Ce résultat de la mesure de l’accessibilité TIP est assez cohérent avec l’index d’accessibilité de la méthode PTAL présenté au tableau 2. Le positionnement remarquable du pôle Euralille, implanté sur les terrains militaires des anciennes fortifications au carrefour des transports publics, peut se lire dans les différentes estimations du potentiel d’accessibilité. Par contre, le différentiel entre Euralille et les autres pôles d’excellence est sensiblement plus fort dans la méthode PTAL que dans l’approche proposée dans cet article. Il semble que les autres sites stratégiques aient une accessibilité territoriale plus favorable que le classement au niveau 2 sur 6 des PTAL ne le laissait présager.

Figure 6

L’accessibilité TIP en TC aux pôles d’excellence de Lille Métropole

L’accessibilité TIP en TC aux pôles d’excellence de Lille Métropole

Réalisation : CETE Nord-Picardie 2011

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Tableau 5

L’accessibilité TIP en TC aux pôles d’excellence de Lille Métropole

L’accessibilité TIP en TC aux pôles d’excellence de Lille Métropole

Réalisation : CETE Nord-Picardie

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Surtout, on voit apparaître des différences entre les pôles d’excellence de l’Union (53 %), et d’Euratechnologies (51 %) situés dans des secteurs de renouvellement urbain et ceux d’Eurasanté (46 %) et de la Haute-Borne (31 %) implantés sur des terrains agricoles. Les sites implantés sur des friches industrielles offrent un potentiel d’accessibilité légèrement supérieur aux sites en bordure d’agglomération. Les pôles Union et Euratechnologies ont une accessibilité « biface » et sont insérés dans le tissu urbain, tandis qu’Eurasanté et Haute-Borne sont en position de terminus, en extension urbaine.

Au-delà du nombre d’habitants, il est possible d’observer les types de population concernés par les différentes zones d’accessibilité (tableau 6). Nous avons distingué quatre catégories de population : les actifs ayant un emploi, les actifs sans emploi (chômeurs), les inactifs et les étudiants. Mise à part la catégorie des inactifs (hommes ou femmes au foyer, retraités), ces populations sont potentiellement concernées par l’accessibilité aux pôles d’excellence : les actifs pour leur emploi actuel ou futur, les chômeurs pour l’accès à l’emploi et les étudiants pour l’accès aux études et à la formation : les pôles d’excellence de la Haute-Borne et Eurasanté sont accolés à de grands sites universitaires, tandis que les autres pôles accueillent de nombreux instituts universitaires ou écoles de formation.

Tableau 6

Répartition des catégories de population par niveaux d’accessibilité en transport en commun aux pôles d’excellence

Répartition des catégories de population par niveaux d’accessibilité en transport en commun aux pôles d’excellence

Réalisation : CETE Nord-Picardie

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Les six zones d’accessibilité du tableau 5 accueillent majoritairement des actifs avec un emploi. Si les actifs sont mieux représentés dans les secteurs où l’accessibilité est plutôt faible, cette catégorie n’est pas homogène. Un examen plus détaillé des catégories socioprofessionnelles (CSP) montre que les cadres et professions intermédiaires se localisent préférentiellement dans des secteurs à l’accessibilité contrastée : soit dans les zones urbaines à très bonne ou bonne accessibilité aux pôles d’excellence, soit dans les secteurs où l’accès en transport collectif est très faible, voire impossible. Ces personnes sont généralement motorisées et utilisent beaucoup la voiture (d’après les chiffres de l’Enquête ménages déplacements de Lille Métropole en 2006). Les employés ont une répartition plus homogène, tandis que les ouvriers sont les plus nombreux dans les classes d’accessibilité moyenne, médiocre et faible.

Parmi les quatre grandes catégories de population, les étudiants sont surreprésentés dans les secteurs bénéficiant d’une bonne, voire très bonne accessibilité. Leur localisation est cohérente avec une très forte utilisation des transports collectifs, relevée par l’EMD Lille 2006 (LMCU-CETE NP, 2007), mais elle en est aussi la conséquence (comme ils sont généralement captifs des TC, ils privilégient une localisation dans les secteurs les mieux desservis). Enfin, une large proportion d’actifs sans emploi et d’inactifs sont situés dans des secteurs à l’accessibilité intermédiaire à faible. On peut faire l’hypothèse qu’ils sont potentiellement les plus fragiles face à la moindre accessibilité en transport en commun aux principaux pôles d’emploi. En effet, ces populations sont moins motorisées et plus sensibles au coût d’usage de la voiture individuelle.

Vers l’aide à la décision : mettre en question le croisement des projets de transport et d’urbanisme par l’accessibilité du territoire

La construction et l’interprétation des indicateurs d’accessibilité apparaissent comme un outil intéressant pour discuter et mettre en débat un certain nombre de choix stratégiques. À l’image du PTAL à Londres, l’évaluation de l’accessibilité peut être utilisée pour orienter les politiques de transport public, les normes de stationnement [30] ou la planification urbaine. À travers notre cas d’étude, que peuvent apporter les mesures d’accessibilité dans l’aide à la décision des politiques publiques ? Dans un contexte lillois marqué par l’adoption de la délibération cadre sur la mobilité (2009) et la révision du Plan de déplacements urbains (2010), notre démarche de modélisation de l’accessibilité contribue à alimenter un double questionnement sur le « codéveloppement » des stratégies urbaines et des politiques de transport, empruntant les termes employés par Wiel (1994) : de quelles stratégies urbaines les politiques de déplacement peuvent-elles être le levier ? De quelle politique de déplacements ont besoin les stratégies d’aménagement ?

L’agencement des sites d’excellence entre desserte métro et accessibilité automobile

Dans la Communauté urbaine de Lille, le déploiement du réseau de métro léger et l’accessibilité qu’il génère offrent un puissant levier d’aménagement de l’espace métropolitain. La desserte soit en bout de ligne d’espace encore vierge de toute urbanisation (sites d’Eurasanté, de la Haute-Borne), soit en milieu urbain de friches industrielles (zones de l’Union, Euratechnologies), assure un potentiel de codéveloppement des stratégies métropolitaines et de l’accessibilité métro. Ainsi, la mesure multicritère de l’accessibilité fait apparaître ce mode comme l’élément structurant de la desserte en transport collectif de tous les pôles d’excellence de l’aire métropolitaine lilloise.

Cependant, même si l’accessibilité en transport en commun aux pôles d’excellence de Lille Métropole peut être jugée satisfaisante grâce au métro, la desserte automobile est également soutenue. D’abord, elle bénéficie d’embranchements directs à une ou plusieurs autoroutes, par exemple, le site de la Haute-Borne à proximité d’un échangeur de plusieurs autoroutes gratuites (A 27 Tournai, A 23 Valenciennes, N 227 Tourcoing-Gand, A1 Paris). Ensuite, l’offre de stationnement est abondante, comme autour du pôle central d’Euralille qui concentre plus de 6000 places de stationnement (d’après SAEM Euralille). Le stationnement est parfois gratuit et réservé aux salariés, ce qui constitue un critère décisif de choix modal dans les déplacements domicile-travail. Enfin, l’accessibilité en transport collectif est fragilisée par la morphologie urbaine des sites stratégiques, qui demeurent de faible densité et consomment beaucoup de foncier.

En effet, le développement des zones tertiaires est souvent éloigné des stations de métro, ce qui rend difficile le dernier kilomètre, autre critère déterminant pour le choix modal. L’analyse complémentaire de l’accessibilité pédestre à partir de la station de métro la plus proche du site d’Eurasanté (CHR B Calmette) illustre la distance à parcourir à pied pour arriver à sa destination. Les constructions du pôle Eurasanté sont situées à plus de 700 m, soit 10 minutes à pied du métro. Il y a donc lieu de discuter les extensions urbaines des sites stratégiques trop loin des stations de métro (si structurantes pour l’accessibilité TC) qui vont ensuite nécessiter des ajustements coûteux de l’offre, par exemple, par le prolongement du métro vers le site d’Eurasanté (projet inscrit dans le Plan de déplacements urbains 2010).

La vulnérabilité du réseau par la concentration des investissements sur le métro

Dans la métropole lilloise, le principal projet de développement des transports collectifs concerne le doublement des véhicules de la ligne 1 de métro pour augmenter l’offre de cette ligne. Par rapport à la construction de notre indicateur d’accessibilité, un tel projet n’aurait aucun impact positif ni sur le temps, ni sur l’intensité, ni sur la pénibilité des déplacements métropolitains. Comme nous ne prenons pas en compte la capacité du système de transport (nombre de personnes transportées) qui correspond à la principale justification du projet, l’apport de cet investissement évalué à 500 M€ n’est pas visible dans notre indice. Cette question de capacité est importante bien que des réponses différentes soient possibles dans la même fourchette budgétaire : à titre indicatif, ce projet équivaut à la réalisation de 25 km de tramway. L’augmentation de la capacité d’un seul axe de transport, c’est-à-dire la massification des flux sur un arc, risque surtout d’augmenter sa vulnérabilité, ce que nous avons voulu tester.

De manière exploratoire, nous cherchons à tester la vulnérabilité de l’accessibilité [31] en évaluant la multiplicité des liaisons directes et/ou alternatives assurées dans le système par le réseau (Dupuy, 1985). Pour fournir une image de la vulnérabilité de l’accessibilité à un pôle d’excellence, nous avons simplement comparé les mesures multicritères (temps, intensité, pénibilité) en condition normale et en condition dégradée, sans la ligne de métro desservant le pôle d’excellence. La contrainte reflète une situation perturbée lors d’une panne du métro pour une durée d’une heure avec une absence d’offre de substitution [32]. Les usagers sont alors obligés de trouver des itinéraires de rechange pour accéder aux sites stratégiques. Nous observons ainsi la plus ou moins grande dégradation des conditions d’accessibilité en fonction des territoires métropolitains.

L’exemple présenté à la figure 7 concerne le site de la Haute-Borne desservi par la ligne 1 de métro. La simulation met en évidence des zones peu touchées par la panne, comme le secteur périurbain à l’est de la Haute-Borne qui n’utilise pas le métro en temps normal pour se rendre sur le site. La dégradation est très importante pour la plupart des zones urbaines de la métropole lilloise, très dépendante de l’accès métro : la population communautaire bénéficiant d’un niveau d’accessibilité « moyen » ou « bon » à la Haute-Borne (tel que défini dans la partie précédente) est divisée par quatre. L’accessibilité des secteurs directement desservis par la ligne 1 chute de manière spectaculaire, ce qui montre la grande difficulté de trouver une offre de rechange au métro. Dans ces circonstances rares mais réalistes, la question de la capacité rend fragile le système puisqu’un métro (circulant toutes les 2 minutes) a une capacité 10 fois supérieure à celle d’un bus (circulant toutes les 10 minutes). Malgré la mise en place de bus de substitution, souvent longue, l’augmentation de la capacité d’une seule ligne dans le système rend difficile sa substitution et donc le maintien du niveau de service.

Ainsi pour répondre à la question des politiques de déplacement dont ont besoin les stratégies métropolitaines, nous pouvons mettre en débat les projets qui touchent au renforcement de la radialité du réseau pour desservir des fonctions métropolitaines multipolaires. Les déplacements tangentiels étant ceux qui ont connu la plus forte progression, il convient de créer des liaisons de ceinture qui pourraient désengorger la saturation de l’espace nodal central. Le PDU a identifié ce besoin avec la volonté de créer une ligne de bus de ceinture tandis que l’existence d’une « rocade ferroviaire » offre de puissantes perspectives de maillage du réseau de transport collectif. La valorisation décisive de l’intermodalité ferroviaire est encore largement sous-exploitée dans la Communauté urbaine de Lille. Par exemple, le pôle d’excellence de la Haute-Borne pourrait être accessible à partir des gares ferroviaires de Pont-de-Bois sur l’axe Lille-Tournai ou de Lesquin sur l’axe Lille-Valenciennes, ce qui permettrait de fournir une accessibilité moins dépendante du métro.

Figure 7

Test de vulnérabilité de l’accessibilité à la Haute-Borne simulant une panne de la ligne 1 de métro

Test de vulnérabilité de l’accessibilité à la Haute-Borne simulant une panne de la ligne 1 de métro

Réalisation : CETE Nord-Picardie 2011

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Conclusion

Ce travail apporte un regard nouveau sur l’accessibilité spatiotemporelle du territoire par les transports collectifs. Les propositions méthodologiques formulées dans cet article s’ajoutent à une liste déjà longue d’indicateurs d’accessibilité qui démontrent l’intérêt de multiplier les regards et les paramètres dans une dimension d’aide à l’action territoriale. Les principaux apports et perspectives de ce travail sont synthétisés selon les trois approches abordées : théorique, méthodologique et opérationnelle.

L’apport théorique de cette contribution tient à l’observation renouvelée du potentiel spatial de l’accessibilité du territoire dans le cadre d’un système d’accessibilité territoriale. L’intérêt de ce cadrage est de bien délimiter les apports d’une telle production sur le paradigme d’accessibilité. Les perspectives qui s’ouvrent dans toute analyse d’un élément d’un système concernent l’exploration des rétroactions, ici, les contraintes qu’exerce le potentiel spatial sur le potentiel social.

L’apport méthodologique concerne l’élaboration d’une démarche affinant les indicateurs d’accessibilité existants et cumulant des critères pertinents dans l’estimation de la qualité des déplacements (temps, intensité, pénibilité). L’accessibilité TIP par les transports collectifs identifie en négatif les territoires où la dépendance à l’automobile est plus ou moins forte. En effet, nous estimons que, indépendamment de la différence brute en temps d’accès entre la voiture individuelle et les transports collectifs, les secteurs où l’accessibilité TIP est d’un bon niveau peuvent être les supports d’un report modal plus important. En effet, sous l’effet cumulé de plusieurs facteurs économiques, sociaux et environnementaux, on peut imaginer que les choix des ménages face à une vulnérabilité accrue tiennent davantage compte de la performance (pas seulement temporelle) des modes substitutifs à l’automobile.

Malgré la taille de la base de données à manipuler, la reproductibilité de la méthode à d’autres métropoles peut être envisagée pour au moins deux raisons : d’une part, les démarches d’ouverture des données (open data) se multiplient et donnent accès aux informations nécessaires à la modélisation (géolocalisation des arrêts, horaires des TC, réseau viaire, etc.) ; d’autre part, l’amélioration de la vitesse de calcul des outils informatiques peut faciliter le traitement de lourdes bases de données. Elle peut même motiver l’amélioration des méthodes de classification, l’élargissement des périmètres d’observation ou l’ajout d’indicateurs supplémentaires, comme le nombre de places offertes par les différents modes de transport collectif [33].

L’apport opérationnel, dans le contexte de la métropole lilloise, repose sur l’élaboration d’une image de la plus ou moins bonne qualité de l’accessibilité en transport collectif aux points d’ancrage des activités métropolitaines. L’ambition est de « donner à voir » la capacité du réseau de transport collectif à « coconstruire » la stratégie multipolaire du fonctionnement métropolitain. L’hypothèse concernant la tension entre le développement radial des transports collectifs et la multipolarité des sites d’excellence métropolitains est confirmée : en effet, nous avons montré que l’accessibilité par les transports collectifs était essentiellement soutenue par deux lignes de métro dont le déséquilibre avec le reste de l’offre de transport en commun était en mesure d’augmenter la vulnérabilité du réseau. Ces résultats permettent effectivement de montrer l’accessibilité sous une focale nouvelle et d’alimenter des débats sur la capacité des transports collectifs à « rencontrer, révéler et épouser des singularités spatiales » (Amar, 1985). À ce titre, l’effort de construction d’une cartographie de « communication » permet de fournir une image facile à lire et oblige à rendre pédagogique la méthodologie parfois opaque pour le non-spécialiste. Les interprétations demeurent néanmoins difficiles à objectiver et nécessitent une bonne connaissance du terrain devant la finesse des résultats. Les perspectives concernent ici la confrontation de la démarche aux acteurs locaux pour alimenter les débats sur les interactions entre forme de ville et forme de réseaux.