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Ce livre est court – 174 pages –, vif, illustré de tableaux statistiques et de quelques encadrés décrivant des exemples. Sans doute vient-il à point nommé pour éclairer les politiques de la plupart des grandes villes mondiales, de plus en plus engagées dans une démarche d’attractivité globale, dont le tourisme est devenu une des composantes habituelles. Ces mégalopoles concentrent les aménités urbaines (cadre de vie, culture, éducation), rivalisent d’initiatives pour le développement durable et recherchent la distinction de leur territoire, par des labels et l’inscription à des listes (celle du patrimoine mondial de l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture [UNESCO] restant la plus prisée), par des désignations (Capitale européenne de la culture, ville olympique, etc.).

L’ouvrage est écrit par Boualem Kadri [1] et Danielle Pilette [2] pour discuter deux objets d’étude : le tourisme, comme fait social et sociétal et le développement urbain, notamment dans son évolution la plus récente, qui est la métropolisation. Le propos ambitionne une mise en perspective tant épistémologique qu’historique, d’où sans doute le titre qui peut se comprendre en double lecture. Les auteurs posent deux hypothèses : « aujourd’hui, les transformations touchent autant les villes des sociétés industrielles que celles des économies émergentes. Et les villes se caractérisent par des transformations qui leur sont propres », parmi lesquelles un nouveau tourisme urbain (p. 2). Les dynamiques métropolitaines envisagées porteraient donc sur toutes les grandes villes du monde qui agiraient en relative autonomie par rapport à leur territoire national.

L’ouvrage comprend cinq chapitres. L’ouverture expose le contexte et la problématique : comment ont été envisagés les phénomènes de villes et de métropoles dans l’histoire, mais aussi comment ont évolué les recherches sur le tourisme, puis quelles sont les transformations dans les relations entre ces deux sujets. Le texte revient ensuite sur la relation entre pratiques, effets économiques et spatiaux et analyses scientifiques, avant d’examiner plus précisément l’essor des métropoles mondialisées et des hypermétropoles. Il est temps alors de revenir au tourisme et à sa place nouvelle, non plus comme une activité saisonnière et complémentaire, mais comme le moteur d’une stratégie globale d’attractivité mise en oeuvre tant par les échelles locales que nationales. L’ouvrage conclut sur la diversité des attentes et des pratiques et envisage les évolutions futures du tourisme métropolitain, soulignant peut-être en filigrane ses propres limites. Puisque le tourisme réclame une part d’aventure et d’innovation, le succès du tourisme métropolitain n’appelle-t-il pas les conditions de son propre dépassement ?

Le lecteur retrouve certaines des hypothèses en vogue : les travaux de Richard Florida (2002) sur la classe créative et la ville créative, mais aussi le lien entre produit intérieur brut (PIB) et taille des villes, la désindustrialisation, l’essor des loisirs. Les auteurs de référence se succèdent : Lipovetsky, Lyotard, Asher, Veltz, Viard, etc. Du côté des études touristiques, l’hypothèse retenue est celle d’une pratique à la fois diffusée dans le monde et ancienne, entendant rompre avec une vision réputée « européenne » de l’invention du tourisme. L’ouvrage recense ainsi la pluralité des échanges, des accueils de population dans les villes, qui sont autant de prémices des formes contemporaines de tourisme. Cet élargissement conceptuel défend une lecture de la mondialisation qui associerait un tourisme postmoderne et une hypermodernité métropolitaine. Ce faisant, les auteurs relient les concepts de ville, de métropole, de tourisme et de postmodernité. Le propos s’appuie sur de nombreuses références bibliographiques qui font démonstration. Si le rappel de ces notions et de leur place dans les débats scientifiques actuels est bienvenu, il suscite cependant un regret : qu’il ne soit pas fait écho aux nombreuses critiques et limites que ces théories ont fait naître.

Les deux auteurs ont, semble-t-il, privilégié une approche d’épistémologue, de gestionnaire et de sociologue, même lorsqu’il est question d’une lecture historique. Ils envisagent aussi le processus de mise en tourisme comme un champ d’études en soi. Mais cela conduit à laisser de côté certains arguments pourtant essentiels dans les transformations des deux phénomènes observés de métropolisation et de mise en tourisme. Ainsi, dans leur lecture historique, les auteurs insistent sur les évolutions des processus qu’ils examinent et les effets sur la société, mais ils ne relèvent guère les causes de ces évolutions : pas de mention des innovations techniques pour l’urbanisation et le tourisme. Or, le chemin de fer, l’automobile puis l’avion ont largement contribué à augmenter la mobilité, la transformation des villes, la facilitation des échanges et le développement touristique.

Cette absence de la dimension géographique peut d’ailleurs surprendre. L’ouvrage ne mobilise aucune étude appliquée ni cas pratique qui aide à envisager ce que sont les dynamiques métropolitaines. Le tourisme lui-même est compris comme une perspective systémique et autonome. Cette interprétation doit à son tour pouvoir être mise en question. Par exemple, lorsque les auteurs envisagent la possibilité d’une délocalisation de Disneyland Paris, ils soulignent la diffusion mondiale des personnages de la marque, en négligeant les autres critères requis comme une forte densité de population, des infrastructures de transport très lourdes, des réserves foncières, mais aussi un repère majeur : le premier nom du parc d’attraction, Eurodisney a été changé pour que le nom de Paris soit explicitement mentionné...

Il est vrai que la dimension territoriale est souvent gommée dans les études comparatives des grandes métropoles. Les indicateurs utilisés portent plus volontiers sur la richesse produite, le niveau de fiscalité, le prix de l’immobilier, ainsi que la taille de la population, et sont construits par des cabinets internationaux d’audit ou de conseil comme KPMG, Mercer ou des journaux comme The Economist. Ces indicateurs sont d’ailleurs utilisés dans l’ouvrage pour définir la notion de métropole. Mais ne devraient-ils pas être davantage discutés ?

L’écueil n’échappe pas à Boualem Kadri et Danielle Pilette : ceux-ci complètent en effet leur lecture des dynamiques métropolitaines par une analyse de la gouvernance, laquelle nécessite trois conditions : une large place accordée à l’État, un leadership territorial fort et l’ouverture du système métropolitain aux milieux économiques (p. 100-101). L’étude du tourisme métropolitain conduit à son tour à mettre en avant la place des politiques publiques volontaires pour renforcer l’attractivité des territoires. Que ce soit à New York, Londres, Montréal ou Paris, exemples cités dans l’ouvrage, ce sont les collectivités qui ont inventé des structures de gestion, d’animation et de coordination du tourisme. Ces territoires disposent aussi des capacités hôtelières, des centres de congrès, des moyens de transport et des animations pour attirer des visiteurs. La dynamique de l’offre est donc déterminante pour se positionner en destination majeure et capter une partie de la rente touristique qui s’accroît.

En conclusion, cet ouvrage est un texte utile pour saisir les questions suscitées par le tourisme des grandes métropoles. Mais les pratiques sont encore trop mouvantes pour que l’analyse puisse tenir en un seul ouvrage, quand bien même celui-ci relève le défi de la synthèse. D’autres thèmes méritaient sans doute une égale attention. Par exemple, la sécurité des personnes et des biens est une des conditions majeures du tourisme. Un autre sujet est la relation que les habitants permanents d’un territoire entretiennent avec le tourisme, leur capacité d’adaptation et d’acceptation des flux touristiques et des rythmes particuliers. Enfin, d’autres ouvrages récents pourraient éclairer la réflexion par leurs entrées respectives : enrichissement (Boltanski et Esquerre, 2017), les hyperlieux (Lussault), la société hyperindustrielle (Veltz, 2017). Le sujet est encore très neuf. Il ne faut pas y voir seulement une dynamique spontanée, mais bien une partie d’une stratégie globale. Qu’il s’agisse de Paris, Londres, New York, Montréal ou même Dubaï, le tourisme mondialisé, de loisir et d’affaires, fait partie d’une quête d’attractivité dans un contexte de concurrence réputée entre les territoires. Sans doute faut-il retenir ce contexte pour lire Le tourisme métropolitain renouvelé.