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D’entrée de jeu, il faut souligner l’originalité de la forme de cet ouvrage portant sur la manière dont la culture de l’automobile a contribué à révéler et mieux faire connaître les identités régionales du coeur de la Colombie-Britannique. Ainsi, pour nous faire découvrir les paysages du bord de la route qu’expérimentent et voient les automobilistes et leurs passagers, Bradley nous propose deux trajets possibles : la route A, qui offre un circuit dans la nature, et la route B – celle que j’ai choisie –, qui nous amène sur les chemins du passé et du patrimoine.

Divisé en deux parties et comprenant huit chapitres et une conclusion, l’ouvrage montre comment l’usage accru de l’automobile entre les années 1920 et 1970 permet à la fois de faire la promotion de la nature et de lever le voile sur l’histoire de la région. L’objectif est donc de tracer une histoire du paysage et des interactions qu’ont les gens à son égard. Le livre se concentre surtout sur les individus confortablement installés dans des automobiles. Cela dit, l’un des éléments originaux de l’analyse est de s’intéresser également aux gens qui vivent et travaillent dans les petites villes situées en bordure des routes. Quant aux automobilistes, ils appartiennent en grande partie à la classe moyenne de race blanche et ils ont un niveau d’instruction assez élevé. Ce motoring public, comme le définit Bradley, participe activement à la création d’un nouveau paysage caractérisé par une forme en ruban, à savoir celui du bord de la route (roadside). Ce dernier comprend de multiples lieux et objets diversifiés : attraits historiques et touristiques, dont des parcs, monuments et plaques commémoratives, des petites villes, des services hôteliers, des terrains de camping, etc. C’est précisément parce que le réseau de routes artérielles est peu développé en Colombie-Britannique qu’il revêt un rôle si important sur les plans social, culturel et politique.

L’auteur veut nous exposer comment les conducteurs et les passagers découvrent le monde à travers le pare-brise. Ces derniers ont aussi l’occasion de se rapprocher des environnements naturels en ayant accès à des campings et en visitant les parcs. Ils croisent également de vastes chantiers routiers qui impliquent le creusement de tunnels. De plus, lors de ces travaux, des vestiges des premiers peuples – notamment des cimetières – sont mis au jour.

La période suivant la Seconde Guerre mondiale est marquée par des investissements publics dans les réseaux routiers et autoroutiers. De grands chantiers d’infrastructures, dont des barrages hydroélectriques et l’exploitation forestière, transforment l’habitat des ménages et, en particulier, celui des Autochtones. Durant cette période de croissance économique, les automobilistes sont de plus en plus nombreux à fréquenter la région et les promoteurs des nouvelles routes sont conscients de l’importance de l’apparence des corridors autoroutiers pour attirer les voyageurs. On travaille alors à changer l’aspect esthétique des autoroutes en éliminant certaines nuisances visuelles que sont les décharges, le bétail errant, les sablières et gravières ou encore les dommages au paysage causés par l’industrie forestière, notamment les coupes à blanc.

Au sujet de l’esthétique du paysage routier et autoroutier, il aurait été pertinent de comparer la Colombie-Britannique à d’autres régions – je pense notamment à des États de la Nouvelle-Angleterre – pour mieux faire ressortir la spécificité de la côte ouest canadienne. Sur le plan de l’iconographie, l’auteur met judicieusement en valeur sa collection personnelle de cartes postales représentant le cadre bâti de la région, qui inclut notamment des hôtels, des bâtiments offrant des services en bordure des routes ou encore des sites historiques.

Pour terminer, cet ouvrage fournit une autre lecture de l’expérience paysagère à travers le pare-brise. En mettant l’accent sur le rôle joué par les promoteurs de la culture liée à l’automobile, Ben Bradley réussit à nous faire voir un paysage transformé par cette dernière.