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L’ouvrage, au titre quelque peu énigmatique, rassemble des textes d’auteurs provenant de champs disciplinaires différents, proposant des perspectives multiples sur un même objet. Posant que ce que l’on appelle la technoscience aurait peut-être le pouvoir de transformer l’humain et non plus seulement la nature, Luc Vigneault, en introduction, émet l’hypothèse que puisque la technoscience étend son emprise jusqu’à l’univers symbolique, étant devenue le milieu même où l’on vit, il pourrait y avoir crise du sens pour l’humanité. Les textes du recueil examinent donc l’amalgame désormais classique des sciences et de la technique, de même que leurs modes d’immixtion dans la culture ou les rapports qu’elles entretiennent avec celle-ci.

Du constat des contraintes imposées par l’ubiquiste complexe technoscientifique dans nos sociétés à la crainte de la dilution du sujet qui en serait conséquente, de la dénonciation d’une rigidité présumée trop grande des technosciences à leur acceptation comme allant de soi, un flottement entre rejet et consentement se dégage de l’ensemble de l’ouvrage, à la fois inquiétude et fascination pour les mutations que subit – ou pourrait subir – la culture occidentale comme nous l’avons connue et vécue. Les textes présentent des points de vue en effet diversifiés, examinant plusieurs aspects de cette donnée complexe : l’éthique, le politique et l’idéologique, l’historique, sans que soient négligés les apports de l’imaginaire, de la délibération et des correspondances symboliques qui autorisent la critique tout aussi bien que l’entendement du fait technoscientifique. Ainsi, dans son texte « La confrontation des genres » où il propose d’appréhender ce fait par la fiction, Jean-François Chassay suppose que « rien n’empêche d’imaginer » que les conceptions du monde pourraient en être redéfinies. Et si Gilbert Hottois (« Le concept de “technoscience” ») désigne le lien science et technique comme indissoluble « en ses implications politiques », Chassay souligne que l’amalgame science et technique « rend compte, au sein même du langage, de l’impossibilité pour le scientifique de se tenir en dehors des débats de la cité ». Débats dont Guy Mercier (« La technique urbanistique : de la production de territoire à la gestion de l’opinion publique ») démontre l’importance, explicitant le sens d’une relation rhétorique « dont la fonction est de rendre le paradoxe crédible », à même les récits relatifs à la technique de l’urbanisme. Les technosciences et la culture ne seraient donc pas deux champs ou deux corps étrangers l’un à l’autre, ce que ces derniers auteurs contribuent à établir dans la deuxième partie de l’ouvrage. Cela s’image impeccablement lorsque Hottois, citant Richard Rorty, relève qu’« il n’y a pas de différence intéressante entre des protons ou des poèmes » ou lorsque Chassay compare le langage autre de la science à l’expérience de la poésie.

Dans l’ensemble, les auteurs offrent des analyses propres à alimenter la réflexion sur le phénomène technoscientifique, faisant ressortir la signifiance des relations ou des interactions entre celui-ci et les faits culturels. Toutefois, il aurait été souhaitable de compléter le parcours par une lecture qui aurait permis de mieux exposer comment, à partir de ces différents textes, pourrait se dégager la « logique multidisciplinaire » qu’appelle le sous titre du recueil.