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L’ouvrage – conçu par le ministère du Logement et de l’Égalité des territoires – est le résultat d’une étude préparatoire à une rencontre qui s’est tenue à Lisbonne en 2013. Il n’a pas de vocation scientifique et ne propose ni problématique ni bibliographie. Le parti pris des auteurs est de montrer, à partir du cas lisboète, qu’en temps de crise le projet urbain peut continuer de se développer en innovant. L’ouvrage se compose de trois parties d’inégales longueurs : l’historique de l’urbanisme lisboète, l’évolution de l’outillage et de la pensée planificatrice, et une vingtaine d’exemples.

L’auteure donne la parole aux acteurs institutionnels (élus, fonctionnaires municipaux, urbanistes…) qui interviennent dans la planification et l’aménagement du territoire. Tous ont été choisis dans l’équipe qui entoure le maire actuel de Lisbonne et son adjoint. L’un et l’autre apparaissent comme les chevilles ouvrières du projet urbain depuis 2007 et nous en donnent les clés. Le principal intérêt de l’ouvrage réside ainsi dans la richesse d’un matériau composé de témoignages et d’exemples. Les textes mettent en évidence les évolutions de l’action publique face à une crise économique apparue en cours de mandat. Ils révèlent aussi l’assimilation par les acteurs locaux des concepts promus par la globalisation (multiculturalisme, développement urbain de bord de mer, cité créative…). Plus novateur et original est l’emprunt fait au passé urbain de Lisbonne et à d’autres villes pour expérimenter des solutions dans les domaines de la construction et du marché immobilier.

Le livre est un plaidoyer pour un « oser agir au risque de se tromper », c’est-à-dire pour une action pragmatique qui aurait le courage de bousculer les règles, les citoyens et le débat public à propos du projet urbain. Toutefois, les auteurs ne se risquent pas à faire de Lisbonne le nouveau Modelo Barcelona, car des éléments manquent pour nous convaincre totalement : nous ne savons rien, par exemple, des résistances locales, des débats ou des arrangements, et rien des effets en retour sur l’action publique et sur le territoire. L’ouvrage effleure à peine la question de la cohérence d’un espace urbain soumis à cette forme d’intervention.

En promouvant l’exemplarité lisboète, l’auteure s’étonne simultanément du désordre du « millefeuille administratif ». Mais n’est-ce pas, au contraire, l’un des facteurs possibles de « l’inventivité » des acteurs locaux ? Cet apparent paradoxe s’explique par une approche surplombante de tradition jacobine et révèle l’opposition qui existe entre les urbanistes : tandis que l’école française a fait de l’urbanisme une discipline de l’action, ailleurs, la réflexion théorique accompagne toujours sa mise en pratique. C’est ce que semble dire Manuel Fernandes de Sá, qui indique que la combinaison complexe des échelles et des problématiques a conduit à l’ajournement de certaines interventions ; cela contredit « l’oser agir » et fait écho à un maire soucieux de « délicatesse » face « à la complexité urbaine ». Nous avons regretté certaines audaces de traduction (« corridors » pour corredores qui signifie simplement « couloirs ») et des documents qui manquent de clarté et de rigueur dans la présentation.