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La recherche collective menée de 2007 à 2010 par l’équipe de Migrinter (CNRS et Université de Poitiers) fait partie d’un programme plus vaste nommé MEREV (pour Mobilités circulaires entre les métropoles européennes et reconfiguration des espaces de vie). Elle s’intéresse aux personnes en circulation, c’est-à-dire – en pratique – celles ayant réalisé dans les 12 mois précédents au moins deux séjours hors de leur ville de résidence. L’objectif est de repérer les liens entre circulations interurbaines et mobilités intra-urbaines, dans l’idée ici non aboutie de les lier aux dynamiques métropolitaines de peuplement. Cet objectif s’appuie sur une approche « fine » et « globale » des mobilités quotidiennes, résidentielles, touristiques et migratoires ainsi mises dans un continuum. Le concept de situation de mobilité appréhende leur évolution contextuelle tout au long de la vie. La circulation ne définit alors plus les modes de vie de certains groupes ainsi « essentialisés » (cadres internationaux, touristes, tziganes, etc.). Au contraire, presque toutes les personnes ayant pris part à l’enquête s’avèrent circulantes, même si seules les plus mobiles apparaissent comme de véritables citadins intermétropolitains « ubiquistes ».

Cette approche appelle un dispositif méthodologique ambitieux. Les participants à l’enquête sont rencontrés dans des aérogares, des gares routières ou des trains en partance de Lisbonne (d’où l’image de couverture) vers une des quatre autres métropoles du programme MEREV : Londres, Paris, Bruxelles et Berlin. Les descriptions statistiques fines à partir de 609 questionnaires courts et 56 longs sont précieusement enrichies par 37 entretiens semi-directifs, à défaut d’une observation abandonnée et de cartographiques sommaires du fait d’une localisation par carroyage efficace mais grossière.

Ce dispositif théoricométhodologique est situé, en première partie, dans une littérature sectorielle et disciplinaire, mais surtout dans une longue trajectoire de recherche collective. La dynamique métropolitaine de Lisbonne fournit des éléments de contexte peu mobilisés par la suite.

La classification des circulations par intensité, fréquence et dispersion constitue la base de l’analyse, bien que la complexité du système résidentiel ou l’endémie des pratiques urbaines produisent ensuite des segmentations distinctes.

L’imbrication des facteurs sociodémographiques classiques suggère ensuite des catégories d’analyse plus fines et élaborées. Ainsi, les cadres du public font plutôt de longs séjours, quand ceux du privé en font de nombreux courts ; avoir des enfants complexifie la circulation des patrons, mais simplifie celle des patronnes seulement, etc. Le sexe des personnes transforme en particulier tous les autres facteurs. Une reprise transversale des analyses pourrait enrichir les classifications descriptives et les cas exemplaires par des typologies explicatives non stéréotypées.

La multirésidence est intégrée dans la dynamique biographique qui met en avant le poids des ancrages familiaux, presque par construction, vu l’impossibilité de discerner les évolutions professionnelles.

La dispersion locale des activités quotidiennes est mise en rapport avec leur concentration dans telle ou telle métropole. Enfin, reprenant un article du numéro 7 d’Articulo, la pénibilité de l’expérience de la circulation est vérifiée par le désir de changement de la situation de mobilité. La circulation réduisant les liens familiaux, sa pénibilité émanerait surtout d’une absence d’ancrage.

De nombreux résultats apparaissent plus anecdotiques, d’autant plus que l’échantillonnage de l’enquête ne permet pas d’extrapolation, entre autres limites méthodologiques. Mais un intérêt central de l’ouvrage demeure de décrypter le processus de recherche sans l’enjoliver et de fournir un vaste attirail de concepts, indicateurs et modalités graphiques. Le lecteur se demandera certes si les auteurs n’ont pas simplement visé trop large. Eux n’abandonnent pas leur ambition de mettre en relation circulations et urbanisation. Au lieu de valoriser les entretiens, qui ont pourtant offert les principales lignes de compréhension synthétique, ils misent sur l’observation directe du rapport de familiarité des individus avec les lieux, suggérant la poursuite d’une résistible extension méthodologique nécessairement dans un mode plus lent.