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Dans la collection « Culture en région », dirigée par Jean-Pierre Augustin, le livre de Yves Raibaud nous amène à découvrir le phénomène des musiques amplifiées en Aquitaine. Ce livre fouillé et très bien documenté s’inscrit dans la ligne de la géographie des phénomènes culturels, géographie chère à la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine. Comme le dit Jean-Pierre Augustin dans la préface (p. 11) : « on assiste à de nouvelles relations entre processus culturels, territoires et cohésion sociale et les contours de ces tensions prennent des formes diverses selon la sensibilité accordée aux quatre variables suivantes : le rapport global-local, le rapport privé-public, le rapport gouvernant-gouvernance et le rapport autonomie-hétéronomie ».

Ces variables sont analysées dans le livre d’Yves Raibaud au travers du prisme des musiques amplifiées et des territoires qui les portent. Mais que signifie le vocable de musiques amplifiées ? L’auteur répond à notre interrogation dès l’introduction (p. 18) en nous expliquant que ce néologisme a été formé par le sociologue Marc Touché en 1993 et que cette appellation concerne « un ensemble de musiques et de pratiques sociales qui utilisent l’électricité et l’amplification sonore comme éléments majeurs, entre autres, des créations musicales et des modes de vie ». Au-delà de la nomination d’un phénomène concernant les formes musicales des jeunes, cette appellation s’est vue réappropriée par les instances gouvernementales (collectivités territoriales, administration de l’État français décentralisée en région) afin de gérer les interventions culturelles au sein des différents groupes identifiés par le passé par des appellations diverses, telles rocks, musiques d’aujourd’hui ou musiques actuelles, sous la bannière de musiques amplifiées.

L’ouvrage est divisé en trois parties, dont la première nous introduit aux musiques amplifiées, à la géographie de ces musiques urbaines en passant par la sociologie des musiques amplifiées. On y comprend que l’enjeu pour l’État est aussi lié à une volonté voire une nécessité de contrôle des zones sensibles, partant de l’hypothèse que ces musiques amplifiées puissent être perçues comme des médiateurs territoriaux. La deuxième partie concerne plus précisément l’étude de cas de l’émergence des musiques amplifiées dans le contexte des territoires musicaux aquitains. La troisième partie, à mon avis la plus intéressante pour la géographie urbaine, porte sur la territorialisation de l’espace et la qualification des lieux. Yves Raibaud nous y donne à voir les dynamiques spatiales régionales synthétisées dans une excellente carte (p. 212), qui laisse comprendre les liens musicaux avec l’Espagne et le Pays Basque. Bordeaux apparaît comme le centre d’un réseau territorial musical élargi à l’Europe du Sud. L’auteur dégage les grandes lignes de la requalification des lieux, ce qu’il appelle les petites fabriques de territoire. Enfin, le mérite du travail est que l’auteur, par sa connaissance fine du terrain sait dégager les limites de son sujet, notamment dans sa conclusion sur « les musiques amplifiées à l’épreuve du territoire ». Ainsi il pose très bien la dualité innovation/régression de l’émergence des musiques amplifiées tout en montrant la stabilité des socles anciens musicaux, comme le territoire des Bandas.