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Au triple égard de l’écologie, de l’éthique et de l’esthétique, les modes de vie actuels sont tout à fait imcompatibles avec le maintien des équilibres de la biosphère. Ce constat, exprimé dès la première page de l’introduction signée en commun par les directeurs de l’ouvrage, en justifie pleinement le titre. Comme les précédentes rencontres qui, depuis 1952, se tiennent au château de Cerisy-la-Salle, petite commune du Bocage normand, le colloque de 2004, dont les actes sont ici publiés, manifeste une grande richesse tant par le bien-fondé du thème que par l’originalité des communications dont les auteurs se rattachent à un large éventail de disciplines scientifiques et d’horizons intellectuels.

La ville et la campagne entretiennent depuis toujours des rapports étroits qui n’ont cessé d’évoluer au gré de l’économie, des moyens de transport, des modes, des rapports sociaux et des mythes. Dans les pays dits riches de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord ainsi qu’au Japon, il n’existe pratiquement plus de distinction entre les modes de vie respectifs des citadins, des rurbains et des ruraux. Résultant de l’amalgame d’un triple bassin sémantique dont les trois sources sont l’européenne, la chinoise et la nord-américaine, la ville-campagne s’est graduellement implantée et caractérise la réalité contemporaine des paysages et de l’habitat. L’un des collaborateurs n’hésite d’ailleurs pas à déclarer que la « fuite de la ville » est le sujet même du colloque.

Pour s’éloigner du bruit et de la promiscuité caractéristiques des villes, les Anciens qui en avaient les moyens construisaient des villas et des châteaux presque toujours entourés de vastes jardins. On reproduisait ainsi, dans un contexte symboliquement campagnard, à peu près toutes les modalités de la vie urbaine. L’étalement des métropoles dans diverses sortes de banlieues a fini par créer un continuum de l’habitat urbain. Bourgs et capitales régionales se sont à leur tour étalés toujours, bien entendu, en grignotant les espaces ruraux, non seulement pour les besoins du secteur résidentiel mais aussi pour aménager des autoroutes, des centres commerciaux et des parcs industriels. L’ensemble du territoire, ville et campagne, est devenu l’affaire des spéculateurs et des entrepreneurs, stimulée d’ailleurs par les pratiques de crédit des institutions bancaires et de l’État lui-même.

Les grandes villes, servant souvent de refuge aux ruraux et aux migrants de toute provenance, n’ont plus le choix qu’elles ont longtemps détenu entre la croisssance en hauteur et l’étalement : elles sont insoutenables, sauf peut-être encore pour certains privilégiés de la fortune. Les banlieues pour leur part, ne faisant plus que reproduire les modes de vie urbains, sont elles-mêmes à leur tour à peine soutenables. Quant à la ville-campagne, l’espace lui manque déjà pour s’étendre, s’équiper, se densifier et résoudre certains problèmes élémentaires de la vie collective, ceux qui touchent notamment les approvisionnements, la circulation, les services essentiels d’urgence.

Un prochain colloque, d’un calibre aussi élevé que celui-ci, devra sans doute bientôt s’intéresser à la campagne, alors devenue à son tour insoutenable.