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Cet ouvrage ambitieux, élaboré à partir d’une méthodologie originale, fait le pari de sonder, en profondeur et sous des angles différents, un objet flou : les quartiers résidentiels sécurisés aussi appelés gated communities. Son intention est, à partir de la stigmatisation à l’envers dont le phénomène a fait l’objet, de dénoncer l’abus de métaphores guerrières (forteresses, citadelles, etc.) et des jugements moraux, et d’examiner la complexité et la diversité de ces quartiers. Comment ? À l’aide d’une grille d’analyse commune, dix-neuf auteurs, pour la plupart géographes, se sont livrés, en neuf chapitres écrits à plusieurs voix, à des comparaisons entre villes nord-américaines, sud-américaines et sud-africaines.

Les points forts du travail viennent de la grande richesse des matériaux, issus d’enquêtes de terrain. Ils restituent des paroles (souvent masquées), des images et des représentations d’habitants riches, pauvres ou de classes moyennes. Un rigoureux travail de définitions nourrit les chapitres. Des explications plausibles sont offertes à la diversité du phénomène. Sont particulièrement réussis les gros chapitres 4, 5, 6 et 7. Le chapitre 4 (qui devrait être en début d’ouvrage) dresse un historique de la privatisation des domaines en Angleterre, en France et aux États-Unis, montre les différentes philosophies distinguant les unes et les autres malgré la convergence des inspirations et poursuit avec l’Amérique latine. Le chapitre 5 sur les pratiques se livre à une analyse fine des quartiers populaires latino-américains, nuancée par la prise en compte de l’âge, des classes sociales, de choix subjectifs, du projet. Le riche chapitre 6, à connotation anthropologique, explore la notion de frontières, de clôture, de discontinuité, ainsi que le concept d’insécurité qui mène à un enfermement, voulu ou non, produit par la distance. Les intuitions fines des auteurs cernent ce qui se cache derrière les mots et les conflits. Des auteurs reconnus sont analysés tels Chamboredon et Lemaire. Le chapitre 7 plonge dans l’espace public mythifié, jusqu’aux espaces quasi privés. Il explore la rue, le quartier, les espaces partagés qui font du public (p. 204) et suggère à l’instar de Caldeira qu’en Amérique latine, la démocratisation a entraîné le repli des classes moyennes et supérieures à la fois par souci de distinction et de protection. Le chapitre 8 traite des aspects politiques et juridiques de la sécession, de l’incorporation, de l’enclave.

Malgré la richesse des matériaux, les encadrés, les cartes, l’utile lexique, la rigueur du propos, pour plusieurs raisons, le lecteur n’est pas pleinement convaincu que le pari ait été révélé. De la rédaction plurielle de chapitres non signés, il résulte un grand morcellement du texte, un émiettement d’informations non reliées et des contradictions. Le cas de Buenos Aires n’est traité, par exemple, que par bribes dans la plupart des chapitres et il revient au lecteur de les rassembler pour en tirer une synthèse. Les auteurs hésitent à défendre les gated communities et leurs variantes, concédant que la sécurité apportée par la clôture (avec toutes ses diversités), l’entre-soi, la valorisation de la propriété, la mutualisation des coûts, l’offre immobilière, etc. entrent dans les motivations du choix à des degrés divers. Trop de précautions, de nuances, de volonté de tout dire étouffent de belles intuitions et une connaissance de terrain que le plan insuffisamment rigoureux ne parvient pas à contenir. Les contradictions sont notables. En privilégiant l’approche comparative plutôt que l’objet, l’ouvrage n’évite pas les répétitions. On regrettera que dans certains chapitres, les problèmes de style, le franglais, les impropriétés et une relecture trop hâtive entachent la lecture d’un ouvrage aussi original.