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L’auteur tente une comparaison entre la culture asiatique, à partir des inégalités sociales accentuées par la croissance économique phéno-ménale des Nouveaux Pays Industrialisés (NPI), et la théorie culturelle occidentale – principalement la sociologie de Max Weber – qui, par le biais de la démocratie, postule l’égalité. À cette ambivalence de la société moderne, tiraillée entre des aspirations égalitaires et une organisation hiérarchique, l’auteur propose, afin de réconcilier le dévelop-pement économique et le développement social, un « pragmatisme stratégique » (p. 190) comme base d’une civilisation universelle, syncrétisme de libéralisme et d’autoritarisme, quelque part entre l’utilitarisme anglo-saxon et la tradition confucéenne.

Le plan de l’ouvrage, tout comme sa présentation matérielle, est extrêmement confus. En fait, aucun critère d’unité n’articule sa démonstration. D’abord l’introduction, excessivement lourde et pêle-mêle, correspondant à peine à la réflexion d’ensemble, ne contient aucune référence spatio-temporelle susceptible d’orienter le lecteur. L’auteur nous donne l’impression de situer ses idées dans un débat, mais on ne voit pas lequel (bien qu’on retrouve de nombreux indices diffus en cours de lecture); on ne sait pas vraiment non plus à qui s’adresse l’ouvrage ( aux économistes, aux sociologues, aux politologues, aux intellectuels…?).

Le livre se présente comme un collage où se succèdent des niveaux de discours radicalement différents. On y retrouve des descriptions ethnographiques fort judicieuses de la société coréenne, faisant ressortir le dualisme entre les aspects modernes et traditionnels, depuis les facteurs de sociabilité et le folklore jusqu’à l’architecture (pp. 46-78); on y retrouve des analyses portant sur la dynamique économique en Asie du Nord-est, avec au centre la Corée du Sud comme modèle émergent, dont la clé face à la crise des années 1990, est l’intégration régionale à partir des centres urbains, les « chapelets de villes côtières » (p. 127); on y retrouve, par le détour de définitions conceptuelles ambiguës, à la syntaxe souvent boiteuse qui nuisent à l’argumentation, quelques idées sur le rôle de l’État en général et sur celui des intellectuels dans la société moderne (pp. 151-164), sur leur vocation dans cette civilisation universelle naissante. Le problème majeur de ces différents niveaux de discours est que le lien qui les régit n’est jamais clairement établi par l’auteur.

À plusieurs endroits, celui-ci nous laisse croire qu’il est tout simplement passé maître dans l’art du « copier-coller »; il semble décrire une photo absente (p. 36); il nous cite un extrait du Livre d’Ésaïe (sûrement très cher à Weber), sans lien ni référence avec la réflexion (p. 162); en conclusion, il décrit une figure qui ne se retrouve nulle part dans le texte (pp. 182-184); ailleurs, il décrit l’attitude d’un personnage qui ne nous est jamais présenté (p. 45); il nous offre au passage quelques prédictions futuristes en vue de l’an 2000 (le livre étant publié en 2002, p. 123); on a même droit à quelques pages en anglais, insérées sans motif apparent dans le texte (pp. 39-40).

En outre, la bibliographie est présentée de manière désordonnée (presque en ordre alphabétique) et de très nombreux auteurs sont cités dans le texte sans qu’on retrouve la moindre trace des ouvrages en question, et, sauf à quelques endroits, les références sont pratiquement absentes de la démonstration. Les titres choisis pour chacune des parties et sous-parties, bien souvent, n’ont rien à voir (ou à peine) avec le texte qui suit; par exemple, le chapitre intitulé l’Europe face à la crise parle très peu de l’Europe (pp. 93-97); de même celui consacré à la question sociale aux États-Unis ne parle que très peu de celle-ci (pp. 107-109).

Bien que le livre soulève au passage de nombreuses questions fort pertinentes ayant trait aux impacts de la mondialisation sur les structures sociales des pays asiatiques, notamment sur le lien qui existe entre le chamanisme rituel et le développement, par le détour de la culture théâtrale d’une classe d’intellectuels, dans l’état actuel où le texte se trouve, la seule considération qui vaille serait une relecture excessivement critique de la part de l’auteur et, pourquoi pas, une réécriture de l’ouvrage. Surtout si on considère que celui-ci prétend être en mesure, à partir de ce charivari, de proposer des solutions pour « sauver les démocraties libérales et la civilisation universelle de la confusion intellectuelle régnant aujourd’hui… » (p. 191).