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The Cultural Landscape a au premier abord tout pour plaire. Il propose une vision juste de la géographie, distincte des autres sciences en ceci qu’elle peut situer les choses et expliquer pourquoi elles y sont, double questionnement omniprésent dans tous les discours plus spécifiques de la géographie humaine. En effet, qu’il soit question de population, de culture, d’ethnicité, de politique, d’économie ou d’urbanité, toujours le géographe s’évertue à comprendre l’espace, les lieux, les régions, le jeu des échelles, les connexions et les interdépendances.

Ce livre séduit par ailleurs par une facture des plus soignées, sensible à la qualité de sa langue, de ses illustrations et de sa présentation générale. Il se caractérise également par une organisation claire et articulée de l’ensemble des thèmes, concepts et sous-disciplines de la géographie humaine. Ainsi, après avoir introduit aux façons dont les géographes pensent le monde, les chapitres 2 à 8, intéressés par ce en quoi les gens croient, portent sur les principaux aspects de la sphère culturelle. Les chapitres 9 à 14, davantage concernés par l’expression matérielle et comportementale de ces idées et valeurs, interrogent eux la sphère économique. Ce livre se révèle enfin pédagogiquement très habile. Tous ses chapitres procèdent d’une même formule où s’enchaînent une mise en situation amenant la problématique dont il sera question; une très succincte présentation des comment et pourquoi la géographie étudie cet objet; de deux à quatre thèmes spécifiques approfondissant ce même objet; un sommaire faisant ressortir les mécanismes géographiques à l’oeuvre; une conclusion revenant sur le cas-type initial et élargissant le débat; diverses questions pour poursuivre la réflexion, notamment grâce à un hyperlien menant à un site complémentaire, puis le renvoi à des lectures additionnelles. En bref, une procédure éprouvée qui a le mérite de faciliter et l’accès et l’apprentissage de la matière dans son ensemble.

Ou plutôt dans son apparente globalité, car The Cultural Landscape ne satisfait pourtant pas pleinement. En effet, malgré ses indéniables qualités, il manque d’ouverture et d’envergure. Ce n’est pas que les principaux thèmes, sous-thèmes et concepts de la géographie humaine ne sont pas abordés. C’est plutôt qu’ils ne sont pas assez approfondis, systématisés et mis en perspective. Certes, ce livre s’adresse à des étudiants universitaires ayant peu ou pas de connaissances géographiques préalables, mais il ne nous semble ni assez exigeant, ni assez foisonnant pour introduire à tout ce qu’est la géographie humaine.

Ainsi, et même si l’ouvrage prétend le contraire en préface, cette économie d’ambitions cognitives et de moyens géographiques ne lui permet pas d’initier ses lecteurs à la diversité conceptuelle, méthodologique et théorique de la géographie humaine. Il fait par exemple peu de cas de l’évolution des concepts, des idéologies, des méthodes que la géographie humaine a empruntés ou forgés. Et quand il le fait, cela n’est pas sans problème, comme ce passage où il est avancé que Ratzel et Semple ont repris le déterminisme environnemental auparavant exploré par Humboldt et Ritter. Or, Ratzel, dans son Anthropogéographie, n’invoque-t-il pas au contraire la possibilité pour les sociétés assez évoluées de s’« isoler » du milieu naturel? N’était-ce pas là l’amorce du possibilisme amené par la suite, sans que les auteurs mentionnent l’apport crucial de Vidal de la Blache? De la même façon, le propos de ce livre gagnerait à être plus étoffé. Par exemple, aucune nuance n’est faite entre démogéographie, géographie des populations et géographie du peuplement, entre État, nation et État-nation, entre frontières antécédentes, subséquentes et surimposées, ou entre géographie politique, géopolitique et géostratégie. Nul mot non plus sur les contributions d’importance de Ratzel, Kjellen, Haushofer, Jackson et Wallerstein à la géographie politique, pour ne nommer que celles-là, etc.

Somme toute, la géographie humaine aurait gagné à être mieux présentée, notamment dans son continuum épistémologique et théorique, par des liens entre ses concepts et par l’introduction de ses principaux schèmes explicatifs. The Cultural Landscape n’illustre pas vraiment l’importance de ses thématiques, la complexité de leurs circonvolutions, puis la richesse de leur traitement par la géographie. Répondant donc trop peu à la question fondamentale « à quoi sert la géographie? », il n’instille pas assez le désir d’en savoir plus sur l’un ou l’autre aspect ou objet de la géographie humaine. Ne s’agit-il pas là pourtant de l’un des premiers rôles de tout livre d’introduction? Si la géographie humaine avait été entendue dans toute son éloquence, ne se serait-elle pas révélée davantage habilitée à expliquer l’actuelle métamorphose des paysages culturels, la nouvelle ruralité qui se dessine dans un monde de plus en plus urbain, etc., bref, à mieux aménager et gérer notre territoire en vertu d’un habiter plus réfléchi, plus durable?

En somme, cet ouvrage d’introduction ne remplit que très partiellement son mandat. Et le monde francophone attend toujours un manuel d’introduction à la géographie humaine qui ne soit ni trop disert, ni trop spécialisé.