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Dès les débuts de sa carrière, Pierre Camu a perçu l’importance géographique, économique et politique de l’axe du Saint-Laurent et des Grands Lacs. Il en a fait l’objet principal de ses recherches en oeuvrant à la Direction de la géographie du ministère fédéral des Mines et des Relevés techniques d’abord, à l’Institut de géographie et à la Faculté de commerce de l’Université Laval ensuite et, enfin, dans les hautes sphères administratives de la Voie maritime du Saint-Laurent et au sein d’autres organismes s’occupant de navigation et de transport par voie d’eau.

Rien de ce qui concerne le Saint-Laurent et les Grands Lacs ne lui est inconnu, pourrait-on dire de l’auteur qui, dans la même collection, publiait en 1996 une première étude très remarquée sur le sujet, mais portant sur le « temps de la voile », c’est-à-dire la période 1608-1850. Propriété du brasseur John Molson, l’Accomodation fut, dès 1809, le premier navire à vapeur à circuler sur le fleuve entre Montréal et Québec. En 1850, pourtant, les voiliers l’emportaient encore sur les navires à vapeur à la fois par leur nombre et par le tonnage des marchandises transitant par les ports fluviaux et lacustres. Le choix de 1950 comme date de clôture de cet ouvrage ne présente aucun caractère de nécessité. Comme l’explique l’auteur dans un style bien à lui, il n’y a rien de « tranché au couteau […] tout se transforme avec le temps, sans brisures majeures, avec une certaine continuité ».

La véritable révolution, fort bien analysée à travers l’ouvrage, s’étale tout au long de la période de 1850 à 1950. Elle résulte de la combinaison de trois inventions complémentaires. D’abord, et bien entendu, la vapeur qui remplace graduellement la voile. Puis, l’hélice qui, pendant la seconde moitié du XIXe siècle, supplante la roue à aube. La coque en fer et en acier, enfin, qui finit par détrôner le bois. Ces changements technologiques ne sont évidemment pas propres à l’Amérique du Nord. C’est pourquoi il fallait la compétence du géographe, s’appuyant sur une documentation considérable et sur des séries statistiques élaborées, pour suivre et décrire cette évolution de même que ses conséquences dans le contexte du golfe, de l’estuaire et du fleuve Saint-Laurent, aussi bien que dans celui des lacs reliés entre eux et au fleuve par un système d’écluses et de canaux, dont la configuration fut plusieurs fois modifiée.

Bien charpenté et rédigé dans une langue précise, l’ouvrage s’ouvre sur les transformations de la voie navigable entre 1850 et 1950, tant du côté du Canada que de celui des États-Unis. Il se termine, comme il se doit, sur le vaste chantier qui, au cours des années 1950, allait conduire à la voie maritime actuelle. La construction des divers types de navires, la circulation maritime, fluviale et lacustre, les cargaisons, les installations portuaires, les arrière-pays, les liaisons avec le rail et la route, l’évolution des professions des gens de mer au sens le plus large du terme (capitaines, marins, pilotes, armateurs, etc.), tels sont les principaux thèmes approfondis dans cette vaste étude.

Nombreuses cartes, profusion de tableaux, une soixantaine de photos de navires d’époque, une très utile liste des mesures utilisées dans le domaine de la navigation et, notamment, dans les statistiques, s’ajoutent à une table des matières très détaillée et à un index à la fois thématique et géographique. Voilà tout ce qu’il fallait pour donner à l’ouvrage une présentation impeccable. S’il y manque un détail ou s’il s’y est glissé le moindre lapsus, personne, sauf l’auteur, ne le saura jamais !

Un troisième ouvrage est prévu pour couvrir la période plus récente au cours de laquelle Pierre Camu a été l’un des acteurs principaux de l’administration de la Voie maritime. C’est le géographe Jean-Claude Lasserre qui sera alors à la barre afin de compléter la trilogie.