Résumés
Résumé
Acteur archétypique du paysage construit, le bungalow, cette maison pavillonnaire construite en milliers d’exemplaires partout autour des villes, a – en dépit de sa standardisation – engendré un paysage particulièrement varié et profondément québécois.
Ce second de deux articles explore la « québécisation » du bungalow, depuis les années 1950, en examinant le phénomène de son succès et de son importante diffusion, en analysant des paramètres matériels de son appropriation, en explorant le corpus imaginaire de ses représentations et en interrogeant la réappropriation dont cette antithèse du monument historique peut aujourd’hui paraître victime. En effet, si le bungalow tint sa vaste popularité du large éventail de ses appropriations possibles, sa survie est aujourd’hui mise en cause par le principe même de sa construction standardisée, sous la pression foncière sur l’immédiate périphérie urbaine qu’il a jadis investie. Support mémoriel paradoxal de notre XXe siècle, l’omniprésent bungalow, unique et pluriel à la fois, entame-t-il son chant du cygne?
Mots-clés:
- bungalow,
- architecture vernaculaire,
- identité,
- appropriation,
- habitat,
- représentations culturelles,
- banlieue
Abstract
The bungalow, archetype of the North American architectural landscape, is a pavilion-type house. Thousands of copies of this staple of the suburbs have been built, which has generated, in spite of its standardisation, a landscape particularly varied yet genuinely typical of Quebec.
This article (second of two) explores the conditions that led to the rise of the bungalow in Canada since the fifties, to begin to understand the “Quebecisation” of the bungalow, by examining its phenomenal success, the material characteristics of its appropriation, its representations, and the reappropriation of which this antithesis of the historic monument may today seem victim. While the wide range of its eventual appropriations made the bungalow so popular, its survival is now challenged by the same standardised construction that enabled such appropriations, under urban pressure to develop the immediate suburbs it once occupied. Could the ever-present bungalow, a paradoxical mainstay of the 20th century, both unique and multiform, be beginning to pass from view?
Key Words:
- bungalow,
- vernacular architecture,
- identity,
- appropriation,
- housing,
- cultural representations,
- suburb
Corps de l’article
Introduction
Pratiquement absent de la littérature scientifique, le bungalow québécois, dont nous avons exploré la naissance dans un précédent article, a bien mauvaise presse. Le récent L’art de vivre en banlieue au Québec (Lessard, 2001) n’évoque le bungalow qu’en quelques images (sur plusieurs centaines); Claude Bergeron, dans son Architectures du XXe siècle au Québec, ne s’y attarde guère que pour remarquer : « [dans l’après-guerre], la préférence marquée pour le bungalow [va] donner aux nouveaux quartiers résidentiels une image assez uniforme » (Bergeron, 1989 : 163). Ni l’affection contemporaine pour le « kitsch » populaire, ni le récent engouement ethnologique de l’histoire de l’architecture pour l’objet vernaculaire ne l’ont tiré de l’oubli où il semble avoir été plongé, depuis qu’en 1972, Lessard et Marquis l’ont taxé de dénaturation, puisque ses dimensions restreintes auraient imposé, plutôt qu’au « foyer », la tenue des mariages dans les salles d’hôtel et l’exposition des morts dans des salons funéraires : « Finis, le mode de vie ancestral, les veillées du bon vieux temps. L’architecture des maisons jouera un rôle prépondérant sur les transformations sociales de notre peuple » (Lessard et Marquis, 1972 : 468)[3]. La seule publication qui aborde véritablement le bungalow québécois, La banlieue revisitée (Fortin et al., 2002 : 7), vise précisément à transformer le bungalow en autre chose[4]. On y apprend, témoignages à l’appui, que tous n’ont de cesse que de parvenir à cette fin : « si je pouvais changer de maison pour une maison différente […] je le ferais, mais je voudrais bien que ce soit sur le même terrain » (Fortin et al., 2002 : 202)[5].
Cela n’étonne guère : galvaudé dans les représentations culturelles des trois dernières décennies[6], le bungalow est aujourd’hui systématiquement associé à un espace périurbain dénoncé à l’unanimité pour cause « d’étalement ». Nous avons montré dans le premier de nos deux articles sur ce « monument vernaculaire » que la relation entre cet espace urbain et le bungalow québécois était double, l’un forgeant l’autre selon un rapport plus symbiotique que causal, en vertu d’un contexte socio-économique et politique particulier. Ce contexte, après avoir donné un sens canadien au « bungalow », localisait et particularisait cet habitat dans le Québec de la Grande Noirceur, à mi-chemin entre les deux protagonistes de notre histoire : le « contracteur » et le « Québécois bricoleur », qui firent des matériaux et techniques modernes un ingrédient de perpétuation de la tradition. Cependant, la standardisation qui favorisait sa multiplication et désintéresse depuis les chercheurs, tout en prenant une couleur québécoise que nous explorons dans cet article-ci, à la fois appuyait sa particularisation et sous-tendait un cycle d’appropriations qui met aujourd’hui la survie du bungalow en cause : appropriée, réappropriée, désappropriée puis réappropriée à nouveau, cette petite maison d’un seul étage (c’est-à-dire un rez-de-chaussée seul), son terrain gazonné, son sous-sol et sa cuisine, tout en devenant caractéristiques de l’habitat et du paysage imaginaire québécois, déclinent sous une figure archétypique une variété infinie de personnalités. À la fois trop générique et éminemment personnel, a-historique et cependant symbolique, le bungalow a sombré dans les limbes de la postmodernité.
Ce second de deux articles vise à examiner les tenants et les aboutissants, au Québec, de « l’appropriabilité » du bungalow en analysant des paramètres idéels et matériels de la construction et de la popularité qui l’ont « québécisé ». Nous entendons explorer les processus et les résultats de cette « québécisation » du bungalow, en formulant l’hypothèse d’une double appropriation : d’une part celle, à l’échelle urbaine, d’une vernacularisation rendant spécifique une maison a priori générique (c’était particulièrement l’objet de notre premier article), d’autre part celle que nous annonçons maintenant, à l’échelle de l’usage domestique, qui a fait de la standardisation l’outil de particularisations à la fois contraires à l’image d’homogénéité des bungalows au Québec et propices à la localisation culturelle. Pour ce faire, nous continuons de convoquer simultanément l’objet et l’idée de l’objet, c’est-à-dire que nous entrelaçons une esquisse d’analyse de l’histoire de sa configuration matérielle (forme, matériaux, fonction), éclairée par son contexte de production, et une exploration foucaldienne de ses représentations contemporaines (imagerie scripturale ou picturale; voir Morisset, 1999), en vue de connaître et de comprendre le bungalow québécois et son sens.
Depuis les « parades » de maisons qui le mirent à l’honneur dans un contexte social, économique, politique et culturel auquel se mariaient idéalement son mode de construction et sa fonctionnalité jusqu’à ses multiples apparitions au cinéma, il apparaît que l’immense popularité du bungalow, au Québec, n’a d’égale que la spécificité qu’il a ici acquise, soutenue – certes paradoxalement – par la diffusion massive des matériaux et des équipements standardisés qui, à partir des années 1960, remplissent les revues féminines aussi bien que celles dévolues aux constructeurs de maisons. Pourtant multiple, le bungalow québécois est unique; il est néanmoins un habitat que la ville, envahissant son territoire, voudrait bien s’approprier elle aussi…
Le bungalow vernaculaire
Né dans des catalogues de plans – à l’opposé de « l’oeuvre d’architecture » à laquelle l’histoire se réfère habituellement – le bungalow se devait d’être économique et aussi facile à construire qu’à transformer. « D’érection simple », comme on l’écrivait à l’époque, le bungalow tint, dans ce contexte, sa large diffusion de la systématisation des techniques de construction (figure 1). Il est d’ailleurs usuel, soit du fait de son étymologie, soit des circonstances de son apparition au Québec, de considérer le bungalow québécois comme une construction facile, légère, voire de mauvaise qualité. Il est vrai que, de 1960 à 1970, la préfabrication de certaines composantes (des murs extérieurs, par exemple) gagna des maisons entières, qu’on annonçait parfois pouvoir « assembler », à partir de quatre sections produites en usine (deux pour le corps, deux pour le toit, incluant l’abri d’auto), en une journée, grâce au seul travail de quatre hommes et d’un grutier; de tels bungalows de quatre chambres et de plus de 1200 pieds carrés ne coûtaient alors que 8200 $ en 1970 (1970, Bungalows… : 20). Dès 1965, de tels « assemblages » d’éléments usinés, qui avaient aussi pour avantage de permettre aux ouvriers de travailler l’hiver, dans le confort de l’usine, soulevaient l’enthousiasme des constructeurs, qui lançaient même des défis à qui construirait deux ou trois maisons simultanément en un jour (1965, Dans l’habitation… : 37). Moins ambitieuse, la « maison Unicom », contemporaine, illustre néanmoins le contexte productif auquel pouvaient puiser des promoteurs : il s’agissait, pour l’essentiel, de coordonner la conception de la maison sur la base d’une grille dont le module de quatre pieds correspondait aux dimensions multiples des pièces de bois, standardisées par l’industrie étasunienne du bois qui annonçait cette « méthode Unicom » au début des années 1960 (1963, Une nouvelle méthode… : 18-23).
La préfabrication de masse, toutefois, n’avait cours que dans à peine plus de 15 % des mises en chantier en 1968, dans tout le Canada (Statistiques de la SCHL citées dans 1969, Tendances… : 30); en 1960, la proportion de maisons préfabriquées (en bois) n’était encore que de 5 % en 1960 (CMHC, 1958 : VI-4), ce qui illustre néanmoins la progression de tels processus pendant la décennie, à tout le moins dans le centre et l’ouest du Canada, où le nombre de « promoteurs » qui entreprenaient simultanément la construction de vastes lotissements croissait en parallèle.
En effet, alors que la préfabrication en usine, réputée non rentable « à la pièce », pouvait avantager les entrepreneurs qui s’attaquaient à la construction simultanée de grandes quantités de maisons[7], au Québec, les pratiques municipales de développement préservaient les constructeurs de la nécessité, faite à leurs collègues canadiens – voire étasuniens ou européens – d’oeuvrer à une échelle de plus en plus grande. Les « contracteurs » québécois, on le rappelle, n’avaient ni voirie, ni service à implanter. Un « mécano de la maison » leur permettait, en échappant à la préfabrication usinée, de mettre à profit leurs savoir-faire traditionnels – les croix de Saint-André, par exemple, que nous avons évoquées dans notre premier article – dans une profusion de faciles et (pour eux) d’économiques bungalows (figure 2). La standardisation devenait alors l’outil de la particularité.
Du mythe de l’uniformité à l’imaginaire de la particularité
C’est une ‘maususs’ de belle p’tite place que vous avez là, vous : je m’en venais, je r’gardais, presque toutes les maisons sont pareilles. Au début ça doit être mélangeant, mais après on s’habitue. Vous êtes proche de tout’, à part de ‘ça ! J’aime ben, ben, ben ça. C’que j’aime, c’est que ça fait pas campagne, hein? Ben, ça fait pas ville non plus mais quand même, c’est beau pareil…
Le personnage du réparateur de téléphone, joué par Yvon Deschamps, dans Fournier, 1970
En arrière-plan des banlieues apparemment uniformes auxquelles s’éveilla le Québec de la Révolution tranquille, la malléabilité et la facilité de construction qui motivaient la multiplication des bungalows contenaient déjà le germe de leurs diversifications. L’habitude d’appropriation, inscrite dans l’architecture vernaculaire et réanimée par la diffusion des évolutives maisons Wartime, s’empara du bungalow pour le caractériser, voire le déterminer : sans véritable codification générique, le bungalow pourrait devenir québécois.
Au contraire des recommandations de la SCHL et des chroniqueurs de revues en faveur d’une esthétique uniformisée des ensembles d’habitations[8], les efforts promotionnels des contracteurs, dès le début des années 1960, entretenaient à tout le moins un discours sur la différence et la variété. Les « parades d’habitations » des associations de constructeurs et des municipalités en fournissent un échantillon révélateur (figures 3 et 4). Événements organisés – parfois avec la contribution de la SCHL qui y tenait un kiosque d’information sur les prêts hypothécaires (1964, 35 000 visiteurs : 34) – autour de l’inauguration de maisons-modèles dans les nouvelles banlieues (à Beloeil, à Charlesbourg, à Sainte-Foy, à Fabreville, à Hauterive, par exemple), ces véritables festivals où on « pique-niquait »[9] en famille multipliaient les stratégies de commercialisation[10], depuis les « concours de la maison la mieux conçue » (qui étrangement voyaient un jury d’architectes décerner un prix à un contracteur[11]) jusqu’aux tirages au sort d’une « maison de demain », en passant par les « coquetels » (offerts par la municipalité) et les défilés, apparemment très courus, de camions parés aux couleurs des contracteurs (1959, La parade… : 46).
La valeur de nouveauté (partant, de diversité) associée à cette succession de promotions est confirmée par le succès de foule que, l’une après l’autre, attiraient les « parades » : si 35 000 curieux visitèrent en 1964, à Plessisville, Princeville, Victoriaville, Arthabaska et Warwick, les maisons de sept contracteurs, à la « parade des Bois-Francs » près de Québec en 1959, c’était déjà 100 000 personnes qu’on dénombrait devant les vingt-deux maisons-modèles de la « parade » de la rue Louis-Riel à Sainte-Foy. Le long des rues créées et, la plupart du temps, spécialement valorisées par la Ville[12], on fréquentait les bungalows, aux dires d’un chroniqueur, comme on aurait visité les musées (1960, Semaine… : 36).
Il faut dire que les contracteurs pouvaient miser sur l’utilisation et la permutation d’une variété croissante de composantes standardisées pour offrir aux acheteurs – le temps d’une parade à tout le moins – l’impression de diversité des « personnalités » de leurs bungalows. De la « maison réversible » (1956, La maison réversible : 22-24) à l’exploitation d’éléments décoratifs régionalistes qui, valorisés à partir de 1966, adapteraient jusqu’à l’esthétique de la « maison québécoise » au profil bas du bungalow, la variété issue de tels procédés restait néanmoins contrainte par les limites de la pratique et du marché. Non seulement les contracteurs reprenaient-ils souvent les mêmes modèles d’une parade à l’autre – Rosario Blackburn, par exemple, présenta une maison parfaitement similaire, quoique fort « particulière », à Sainte-Foy et à Charlesbourg (figure 5) – mais il faut aussi considérer, par exemple, que chacun des vingt-deux modèles différents présentés par dix-neuf contracteurs lors de la parade de Charlesbourg en 1963 pouvait engendrer une quinzaine d’exemplaires, constituant à terme quelque chose comme un quartier de plus de deux cents maisons déclinées en moins d’une vingtaine de figures[13].
Face à la diminution du nombre des mises en chantier survenue après 1962, les chroniqueurs de Bâtiment remarqueraient d’ailleurs que « [le client] est fatigué des modèles identiques, à peine modifiés d’une rue à l’autre. Il veut des maisons de style différent, peut-être sera-t-il excellent de revenir aux anciens styles classiques de divers pays » (1966, Tendances… : 24).
La référence, cependant, concernait apparemment plutôt la représentation que la réalité : elle affleurait déjà dans les « Parisienne », « Colonial », « Richelieu » « Capri », « Normand », « Populaire » et autres désignations des maisons de la « parade » de Beloeil, en 1961 (1961, Béloeil…, 27). Proclamée à l’avant-garde de l’industrie, la « Maison Châtelaine » (sorte de « banc d’essai » construit un peu partout au Canada,) de 1966, un bungalow à Sainte-Thérèse-en-Haut, s’annoncerait ainsi « de style provincial français » (1966, La maison ‘Châtelaine ‘66’… : 27-31). La tendance se maintiendrait ensuite, dans le contexte socioculturel canadien-français; ainsi un chroniqueur louangerait-il en 1970 :
20 modèles baptisés, le plus souvent, de noms illustres qui ont fait l’histoire du Canada français : Lévis, Radisson, Champlain, Montcalm, etc. Cela sonne bien. Mieux, en tout cas, que les noms à coucher dehors dont on affuble les automobiles.
1970, L’opinion… : 31
Approprier donc diversifier
Le confort s’appelait bungalow.
Hauterive, 1978
Néanmoins, l’image de diversité dans laquelle s’épanouissaient les bungalows meublés et équipés des parades sous-tendait un réel potentiel d’appropriation auquel les contracteurs puisaient abondamment. Ils le firent, d’abord, en tirant profit du terrain du bungalow, différencié par des aménagements allant des « robinets aux endroits voulus pour lavage d’auto et arrosage de gazon » (1962, 110 idées… : 15) jusqu’aux « jardin fleuri, haies, jets d’eau, etc. » (ibid.), en passant par la « niche à chien » qu’on les incitait à construire dans les années 1960 (ibid.). Comme dans le cas du non-dit de la construction, cependant, c’est plus encore une relative absence de l’aménagement paysager dans les revues de l’époque qui révèle, ici aussi, une intervention remise entre les mains des propriétaires : au fil de « corvées familiales », ils idéalisèrent ainsi cette « cour », laquelle, bien qu’utilisable à peine quelques mois par année, s’épanouit encore plus en l’absence de réglementation municipale à son égard[14]. La rumeur voulant que le Québec soit le royaume de la piscine hors-terre est probante de l’imaginaire associé à ce champ d’appropriation (figures 6 et 7).
Puis, avec la mise en marché de matériaux destinés spécifiquement à faciliter le travail des contracteurs, la standardisation devint paradoxalement l’outil de la diversité, particulièrement dans la variété des revêtements possibles. L’imagination débordante que stimulait en 1956 la seule commercialisation d’un contreplaqué résistant aux intempéries (grâce à l’invention d’une colle étanche), « appliqué verticalement ou horizontalement à l’aide de moulures couvre-joints, à joints en V ou à joints lisses […] En largeur demi-panneau ou tiers de panneau » (1956, Extérieurs de contreplaqué : 36) est révélatrice, tout comme l’enthousiasme soulevé par le Rustico et le Piertex…
…enduit fibreux, souple et durable, dissimulant toutes les imperfections et protégeant les surfaces (maçonnerie, béton, stuc, contre-plaqué, planche murale, bois, plâtre, papier peint) à l’extérieur comme à l’intérieur […] On l’applique à la truelle et il a l’apparence du plâtre rustique.
1968, Le 19ème Salon… : 30
Et cela allait sans compter la particularisation des intérieurs, fortement suggérée par les chroniqueurs (par exemple, Bixby, 1957 : 32-33) qui s’appuyaient en ce cas sur l’image que véhiculait la SCHL du bungalow : « le niveau unique, écrivait-on, offr[ait] plus de possibilités pour un aménagement » (SCHL, 1960 : 8). Comme dans le cas des extérieurs, la multiplication des matériaux et la polyvalence de chacun en furent les principaux leviers. Contreplaqué, Arborite, Formica, Masonite allaient de pair avec les « plinthes en plastique le long des murs conduisant au sous-sol (ce qui évit[ait] que les enfants ne les salissent) » (1966, Le ‘constructeur de l’Année 1966’… : 44), voire avec l’Ozite (tapis doublé de caoutchouc mousse) et les carreaux de tapis Town-Aire qu’on en faisait, utilisables dans les « cuisines, salles de bains, salles de jeux, chambres d’enfants, salles de séjour, entrées, etc. » (1968, Le 19ème Salon… : 30). Venaient, enfin, les électroménagers aux populaires couleurs « rose », « bisque », « amande » ou « copperloy », que les contracteurs coordonnaient et offraient en « extras » pour accroître leur marge de profit : Bâtiment déclarait en effet, dès 1957, que « le public croit que la maison qui offre le plus de particularités est celle qui a le plus de valeur ». Plus encore, on prédisait aux contracteurs qu’ils pourraient « facilement en venir à un point où certaines femmes voudr[aient] acheter une maison pour avoir la cuisine » (Bixby, 1957 : 32-33).
La cuisine fut de fait la première cible de la particularisation, puis de l’appropriation du bungalow; la salle de toilette fut la seconde. La « révolution des salles de bains », annoncée en 1963 (Nouvel élément-clé… : 29), monopolisa littéralement les pages des revues (figure 8). La malléabilité (et la diffusion) du bungalow promouvait un nouveau statut pour les salles d’eau :
Il faut de la place pour poser les accessoires de toilette (brosses, peignes, flacons etc.), les accessoires de manucure et le maquillage, et – pour l’homme – le rasoir et le savon. Une idée à retenir : un renfoncement suffisant dans le mur près de la baignoire permet de placer toutes sortes d’articles depuis les cigarettes jusqu’aux sels de bains. (ibid.)
À grand renfort d’accessoires standardisés, à mesure aussi que le bungalow grandissait, on alla jusqu’à proposer, en 1965, d’agrandir la salle de bains pour y faire un gymnase (1965, Tendances… : 36) ou, à tout le moins, d’y installer deux lavabos « afin d’éviter les attentes aux heures d’affluence » (ibid.). Le bungalow et l’industrie évoluaient main dans la main, jusqu’à la « salle de bains entièrement moulée, fabriquée en usine et s’installant en quelques minutes »[15]; ce fut aussi pour la salle de bains que la compagnie Crane annonça, en 1968, « la couleur Avocado et le nouveau fini suède pour le fond des baignoires » (1965, Tendances… : 36).
Bungalow domestique et bungalow québécois
Certes, ce souci de particularisation – stimulé par les conditions de diffusion du bungalow – qui conduirait à la diversification des bungalows prenait appui sur le contexte commercial américain, voire sur une modernité quasi universelle. Mais puisque la particularisation, dans le contexte québécois, s’appelait simultanément « appropriation » du fait de ses acteurs, le bungalow, non seulement recyclait les traditions des pratiques constructives, mais aussi les usages sociaux auxquels ne pouvait parer la particularisation, si moderne fût-elle, des intérieurs.
Ainsi au Québec, la particularisation des cuisines, sans être un phénomène exclusif, prit une importance notable, puisqu’elle soutint le recyclage de l’espace traditionnel de la maisonnée canadienne-française dans le malléable bungalow. La « salle familiale » des petites maisons de colonisation s’y déploya, dans une cuisine élargie d’une dînette et érigée en pièce principale (figure 9). Tandis que les revues anglophones désignaient comme « family room » le salon, c’est la cuisine qui s’arrogea ce titre et une profusion d’articles dans les revues francophones[16], non seulement dans les revues dites « féminines » – La Revue moderne ou McLeans, par exemple – mais aussi – et surtout – dans les viriles revues dédiées aux constructeurs, nommément Bâtiment. Ce phénomène d’appropriation du bungalow par les usages sociaux, qui allait de pair avec les suggestions contemporaines faites aux femmes, notamment dans les milieux catholiques, de retourner au foyer qu’elles avaient quitté pendant la guerre (Fradet, 1989 : 23), promut au Québec plus qu’ailleurs un statut particulier pour la cuisine « royaume de la femme » (1969, Section spéciale… : 39) et pour le bungalow qui en épousait les multiples déploiements. « La cuisine », écrivait-on, « a toujours été une pièce de prédilection pour la famille canadienne-française » (1957, Pourquoi la cuisine… : 24-29); aussi, puisque « la cuisine représent[ait] un plus grand potentiel de vente que toute autre pièce de la maison », les contracteurs québécois y rivalisèrent d’imagination, moins appuyés par l’industrie – fait du marché nord-américain – que dans la « salle de bains », certes, mais à même de composer, comme pour la figure du bungalow, une multitude « d’assemblages » à partir des revêtements que le commerce offrait en nombre croissant. Si, comme l’a remarqué Fradet (1989), le développement des banlieues, la multiplication des bungalows et la sophistication des cuisines allaient de pair en Amérique du Nord, c’est bien davantage au Québec, ainsi, que des cuisinières commercialisées avec une radio insérée dans le dosseret et l’habitude de disposer une télévision dans la cuisine s’ensuivirent, pour confirmer la primauté de cette pièce dans le bungalow québécois.
Cependant, alors que d’un nombre limité de modèles de maisons, on passait à un nombre presque infini de particularisations, déjà les premiers bungalows des années 1950 ne payaient plus de mine face à la multiplication des possibilités de diversification. Tandis que Bâtiment arguait la « mise à la mode » des salles de bains (1963, Nouvel élément-clé : 30) et que la compagnie Crane proposait le remplacement des « salles de bains démodées » (1968, Le 19e Salon… : 30), la multiplication des possibilités « standardisées »[17] dès le début des années 1960 annonçait un second cycle d’appropriation du bungalow, d’autant que, après avoir valorisé une certaine uniformité, les chroniqueurs désapprouvaient dorénavant « ceux des constructeurs qui alignaient au long des rues les mêmes sempiternelles façades qui ôtaient au futur propriétaire toute fierté d’habiter là plutôt que 18 numéros plus loin… » (1965, Tendances : 34). L’habitude d’appropriation étant déjà franchement inscrite dans le bungalow québécois, on entreprit dès lors de refaire les cuisines des bungalows de première génération, puisqu’on savait désormais les faire « à la québécoise ». Ce n’était pourtant que le début de ce cycle d’appropriation…
Puisqu’il était aussi facile de le transformer que de le construire, le bungalow était en effet voué à s’adapter sans cesse, que ce soit dans la foulée des innovations commercialisées ou à la mesure de la modernisation du Québec de la Révolution tranquille, des usages sociaux et des préférences culturelles. Irradiant de part et d’autre de la cuisine, « centre familial » (1958, Votre argument… : 26) et « âme de la maison » québécoise (1960, Une décoratrice… : 45), deux espaces commandaient ainsi particulièrement l’appropriation : l’abri d’auto et le sous-sol.
Redevance du « bungalow à long pan » à l’automobile qui rendait possible, à l’échelle urbaine, son terrain oblong, l’abri d’auto, mieux connu au Québec sous le nom de carport et considéré à ses débuts comme une variante économique du garage[18], devint dans les années 1960 le compagnon presque forcé du bungalow[19] (figure 10). Certes, la SCHL, déjà en 1960, constatait déjà que « The automobile and its requirements tend more and more to dominate the design » (CMHC, 1958 : III-1). Au Québec cependant, sans doute sous l’effet conjugué du climat et de la primauté de la cuisine du bungalow, l’abri d’auto, au fil des hivers, reporta sur la façade latérale l’entrée principale de la maison, allant jusqu’à condamner l’entrée de façade principale. Celle-ci, dont on avait souvent supprimé le hall[20] afin d’élargir un salon réduit à sa plus simple expression par l’expansion de la cuisine-salle de famille[21], s’avérait moins fonctionnelle mais, surtout, restait plus éloignée du « contrôle » de la ménagère qui, d’une cuisine voisine de l’abri d’auto, pouvait simultanément jeter un oeil sur les activités dans la cour arrière, vaquer à ses tâches et veiller aux allées et venues de la maisonnée[22]. L’organisation spatiale du bungalow rencontra alors à nouveau la tradition, quand cette nouvelle entrée principale fut rejointe par l’accès au sous-sol : celui-ci était en effet abrité à l’intérieur des maisons au Québec, puisque les margelles creusées pour d’éventuels accès extérieurs (comme on en trouve ailleurs), remplies par la neige en hiver, provoquaient l’inondation des sous-sols au printemps. L’abri d’auto n’avait pourtant pas fini de « québéciser » le bungalow en lui apposant de nouvelles appropriations. Non seulement la popularité des carports imposa à nombre de bungalows de « première génération » un nouvel appendice, plus ou moins conséquent de la figure d’origine de la maison – dont on n’avait, en quelque sorte, qu’à prolonger le toit –, mais de surcroît, l’habitude croissante de clore l’abri d’auto pour en protéger l’espace des aléas climatiques y favorisa le bourgeonnement de la salle familiale en une alternative « masculine ». L’abri d’auto, « redevenant » garage dans le contexte d’une société matriarcale, se voua dès lors à l’émancipation des activités paternelles de la maisonnée : derrière la voiture – qu’on abandonna à l’extérieur, devant l’abri « fermé » (nombre de carports ou de garages au Québec ne recèlent-ils pas, encore aujourd’hui, le barbecue, quelque établi, voire le réfrigérateur de ce « Québécois bricoleur » fier de s’approprier sa maison - figure 11)?
L’archétype de l’appropriation du bungalow québécois se logea néanmoins sous terre[23]. Au Québec, l’habitude de construire sur de profondes fondations – enfouies à un minimum de trois pieds, ce qui correspond à la surface gelée du sol – et d’abriter fournaise et combustible favorisa en effet l’aménagement des « sous-sols finis » consacrés dans les années 1960. Neuf maisons sur dix s’élevaient déjà sur des « soubassements complets », dont la plupart des Canadiens appréciaient l’espace de rangement supplémentaire, encore plus au Québec où le household equipment qu’on y entreposait était saisonnier (CHMC, 1958: III-2), dévolu qu’il était à l’appropriation de la cour arrière. Puis, dans ces bungalows sans foyer (l’espace du salon étant déjà suffisamment réduit par l’expansion de la cuisine-salle familiale), le chauffage à l’électricité hâté au Québec, en remplacement du chauffage à air chaud pulsé, diffusa à l’heure de la nationalisation de l’hydroélectricité de nouveaux radiateurs, plus performants et moins encombrants. L’on découvrit ainsi que le sous-sol se prêtait avantageusement aux activités familiales : « The tidy and spacious basement storey made possible by the newer heating system is frequently fitted out for family activities » (CHMC, 1958 : III-2). Dans le bungalow québécois, on déménagea alors laveuse et sécheuse du sous-sol à la cuisine (parfois dans une « buanderie » connexe), toujours afin de faciliter le travail de la ménagère[24] mais à la faveur, aussi, de l’apparence améliorée de ces appareils, de « leur émail impeccable et [de] leurs chromes éblouissants »[25]. Apparut ainsi simultanément dans la cour arrière le populaire « cabanon » auquel on confia le rôle de rangement qu’on retirait au sous-sol (figure 6).
Dans un contexte climatique où ce dernier offrait une possibilité de substitution hivernale à la cour extérieure, l’appropriation du sous-sol s’imposa d’autant plus que les contracteurs y étaient éminemment favorables : « Le marché de la finition des sous-sols et celui de la rénovation en général », écrivait-on en 1963, « sont à peine prospectés, il y a très peu de concurrence et les besoins sont énormes » (1963, Un énorme marché… : 26). Ce constat, qui annonçait aussi les vagues de « rénovation » des cuisines et salles de bains réappropriées au fil de leurs successives « mises à la mode », relevait d’abord de facteurs économiques : les contracteurs, déplorant un marché à la baisse (Langlois, 1963 : 36), faisaient face à une diminution continue du nombre des mises en chantier de maisons unifamiliales, qui chuta de 25 % de 1962 à 1963 seulement, passant alors de 20 483 à 15 510 (1966, Tendances… : 21). Or cette diminution, qui survenait en dépit de la prime fédérale dite « d’encouragement aux travaux d’hiver » (au demeurant destinée, davantage qu’à accroître le nombre de mises en chantier, à combattre le chômage saisonnier des constructeurs), suscitait d’autant plus l’appréhension des constructeurs qu’elle se faisait au profit des mises en chantier d’immeubles à appartements, bâtiments considérablement moins intéressants que le bungalow pour le « contracteur ». L’inquiétude qui affleure dans les chroniques de la revue Bâtiment des années 1965 et 1966 est probante à cet égard, bien que paradoxale : comme avant eux les architectes, les constructeurs entreprirent de militer pour un contrôle gouvernemental accru de l’industrie et, plus particulièrement, pour une forme d’accréditation qui « élimine[rait] les indésirables » (1965, Pourquoi des licences d’entrepreneurs? : 51).
Inscrit dans la non-réglementation urbanistique au Québec qui, pourtant, avait provoqué la diffusion des « bungalows à long pan » et la survie même du contracteur, ce ralentissement d’un marché de plus en plus saturé peut ainsi être crédité de la multiplication des campagnes successives de rénovation (et d’appropriation) des bungalows. S’ajoutait le souci des contracteurs québécois de travailler pendant l’hiver, qui motivaient ces derniers à considérer particulièrement l’intérieur des bungalows. Bientôt, parmi un nombre croissant d’articles traitant de la finition des sous-sols (parmi d’autres, Crocker, 1964 : 42-44; Girard, 1961 : 28-29; 1957, Finition des sous-sols… : 16-17), la revue Bâtiment publia jusqu’à des modèles de lettres utilisables pour convaincre les propriétaires de sous-sols « non-finis » :
Le premier point à considérer, c’est que le client ne sait pas exactement ce qu’il veut […] Les seules idées qu’il peut avoir, il les a empruntées à ses amis ou voisins qui eux possèdent déjà un sous-sol fini. […] On peut suggérer des transformations répondant à certains besoins particuliers : chambre de bonne, salle de jeu pour les enfants, salle de télévision […] salle de couture, salle de culture physique, salle de ping pong, bibliothèque, salle de collections avec armoires vitrées […]
1963, Un énorme marché… : 26-27
Chambre ou musée, discothèque ou salle de jeux, le sous-sol s’avéra ainsi, au fil du temps, l’un des espaces privilégiés du bungalow québécois – qu’il finit d’ailleurs par surhausser, puisqu’on fenêtra le soubassement pour l’éclairer (figure 12). La réforme du système québécois de l’éducation entreprise au milieu des années 1960 à la suite du « rapport Parent » (Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement de la province de Québec, 1964) en remplaçant les pensionnats par les commissions scolaires et cégeps actuels alors même que se multipliaient les bungalows, induisit la transformation de ces mêmes sous-sols en une multitude d’appartements étudiants (dont l’accès extérieur vint rejoindre l’entrée latérale dans le garage ou sous l’abri d’auto) où un nombre important de Québécois connurent l’accès au logement et les balbutiements de leur autonomie. Déjà en 1966, les « plinthes en plastique le long des murs conduisant au sous-sol » que l’on vantait (1966, Le ‘constructeur de l’Année 1966’… : 44) illustrent dans le détail à quel point, tout comme la cuisine à laquelle son accès intérieur le rattachait, le sous-sol pouvait transformer la figure générique, voire universelle, de cette longue maison basse en ce bungalow typique que l’on connaît aujourd’hui, au fil d’appropriations qui, de nouveau propriétaire en mises au goût du jour, en métamorphosaient profondément les formes.
La lente agonie d’un monument oublié
Avez-vous changé le salon de place?
– Ben oui, avant, il était dans la salle à dîner.
– Oh ! C’est beau ! On se penserait ailleurs […]
– J’t’ai pas dit ça, ma fille : j’ai tout’ refait’ ma cuisine […]
– Oh ! Qu’ça doit être joli !
– On a innové [sic] la chambre de Susie aussi.
– Regarde, j’ai mise [sic] de la tapisserie sur le mur du poêle, je trouve que ça fait plus kitchen.
– Ben j’comprends, t’avais en plein le genre de mur pour mettre de la tapisserie, toi.
Guertin et al., 1987
La construction facilitée du bungalow et les savoir-faire (plutôt que la création artistique, par exemple) auxquels elle puisait, tout en rendant une image d’homogénéité des bungalows, suscitaient l’appropriation par tous et chacun (de son sous-sol, de son carport, de ses revêtements…), d’autant que ce « mécano culturel de l’habiter » se pliait sans grincer, de par la flexibilité de sa construction normative, à toutes les particularisations imaginables. Approprié à la fois par les individus, ce qui motiva sa diversification, et, à travers eux, par les usages sociaux – depuis ceux des politiques, à l’échelle urbaine, jusqu’à ceux des pratiques, dans la construction et dans l’organisation –, le bungalow a fini par engendrer un paysage particulièrement varié et profondément québécois. Ses spécificités régionales sont d’ailleurs encore à caractériser, qui engendrèrent ici un garage en soubassement ou imposèrent là le fameux « abri Tempo » (garage temporaire, d’abord de contreplaqué puis de toile, dont on abrite l’entrée d’auto, devant le carport, pendant l’hiver, particulièrement dans la région de Québec où la neige est chassée par la municipalité sur les terrains, plutôt que d’être ramassée et portée ailleurs). Que l’on convoque ses matériaux de revêtement, typiques de son époque, ou sa structuration spatiale, depuis celle de « sa » banlieue jusqu’à son petit salon coincé entre cuisine et porte condamnée, ce bungalow a bien peu en partage avec les bungalows du reste du monde, arts and crafts du début du siècle ou cabines de plage vouées à la villégiature. Et de Montréal à Québec, comme ailleurs dans la province, il est peu d’images de « son » siècle qui ne nous rendent l’abondant imaginaire de ses aménagements, de sa salle familiale, de sa culture de garage ou de son bar en sous-sol.
Comme c’est le fait de l’architecture vernaculaire, le bungalow est engrammé dans la mémoire collective des Québécois : confronter la réalité de sa diversité à l’imaginaire de son uniformité montre combien c’est, en fait, son caractère archétypique qui rend l’impression d’une figure générique et de bungalows tous pareils. Abreuvé à un univers culturel nord-américain qui dorénavant en diffusait les modèles, le bungalow québécois est l’équivalent, au XXe siècle, de la « maison québécoise » du XVIIIe siècle. De plus, certainement tout aussi omniprésent dans l’imaginaire collectif du Québec, il y domine une portion considérablement plus importante du paysage, du territoire, d’un marché de la rénovation toujours rythmé par ses infinis possibles et d’usages sociaux parmi lesquels figure justement le « bricolage » et l’appropriation de sa maison[26].
Claude Bergeron (1989 : 163) a remarqué qu’après avoir accusé un retard par rapport au reste du pays, le Québec comptait un nombre croissant de propriétaires occupants à partir des années 1950. Devenus propriétaires par le bungalow, les Québécois ont recyclé triplex et autres habitats plus anciens dans une banlieue ainsi ardemment personnalisée, investissant simul-tanément le bungalow d’un rôle d’outil d’ascension sociale dont il reste à explorer les ancrages : la ségrégation sociale instituée (ou maintenue) par certains regroupements de bungalows n’est pas sans rappeler, à cet égard, la ségrégation spatiale de la ville anglo-saxonne (voir notamment les données de Morin dans Fortin et al., 2002 : 73-119). Chose certaine, des 1 200 000 Québécois qui atteignirent l’âge de 14 ans entre 1951 et 1961, peu ne célébrèrent pas dans un garage, dans une salle familiale ou dans un sous-sol de bungalow.
Pour ceux-là et leurs parents, « l’appropriabilité » et les appro-priations du bungalow, tout en engendrant un modèle québécois dans un paysage bien plus varié que ce que l’on voudrait créditer à la stan-dardisation, « l’habiter » du bungalow est devenu un « habitus » au fil de la succession des époques, des goûts et des propriétaires d’une multitude de bungalows de plus en plus personnels (figure 13). Du coup, pour se distinguer ou se l’approprier, on remodèle donc encore le bungalow, comme on le ferait d’un jeu de mécano ou de la « plasticine ». S’il est dans la nature du vernaculaire de se diversifier au fil de la superposition des savoir-faire de l’ouvrier et de l’intervention du client, la malléabilité sans précédent du bungalow et, partant, la latitude des possibles laisse facilement imaginer que plus un bungalow n’a aujourd’hui son apparence d’il y a trente ans.
Certes, le potentiel d’appropriation de cette « maison minimale » et ses successives mutations étaient, déjà, inscrites dans son acte de naissance : Le choix d’un modèle de maison annonçait, en 1960 : « Si vous avez l’intention d’agrandir votre maison, il est souvent plus facile et moins dispendieux de rajouter une ou plusieurs pièces à un bungalow » (SCHL, 1960 : 8). Mais quoique le bungalow, épousant les habitudes culturelles québécoises, tint sa popularité du large éventail de ses appropriations possibles, ce phénomène qui assura sa diffusion est celui-là même qui menace sa survie. Si des agents immobiliers s’entendent maintenant pour dire que « la transformation d’un bungalow n’est pas rentable » (St-Amand), d’autres louangent « le bungalow surhaussé [sic] » puisque « un cottage a une âme parce qu’il a un étage et un escalier. Un bungalow, non » (Angers, 2003). Quel avenir pour quel bungalow?
Il est vrai que, approprié et réapproprié plusieurs fois, le bungalow fait figure d’antithèse même du monument historique, sans âge, sans art, mais surtout, abondamment diffamé : cette maison qu’encore en 1970 on choisissait surtout en fonction de son prix[27] (1970, L’opinion… : 32), et qu’on a finalement vendue à grand renfort de clowns, de promenades en poneys, de cerfs-volants et de bandes dessinées distribuées aux enfants (1958, 40 suggestions… : 47-51) s’est trouvée, bien plus souvent qu’autrement, associée à la banalité[28], à la médiocrité ou à la pauvreté – à tout le moins d’esprit.
Un bungalow est un bungalow, voilà tout. Et si je me suis donné la peine pendant des semaines de presser le mot comme on presse des citrons, c’est uniquement pour dire que je n’ai pas les moyens de réaliser mon désir.
Guay, 1995 : 124
Mais Les voisins (Guertin et al., 1987), les « ça dort au gaz dans les bungalows » du groupe musical Les Cowboys fringants (2002), les histoires de médecins assassinés[29] et autres « prototypes du colon » (Clermont, 2002) qui dominent les représentations du bungalow des trois dernières décennies recèlent plus que de simples sarcasmes à l’égard du matérialisme de cet « habitus » et de la superficialité des Bungalow People (Edens, 2001). Inscrit par une avant-garde nationaliste et francophone, depuis les années 1970, parmi les leviers de la dénaturation de la société, le bungalow des Elvis Gratton (Falardeau, 1981), des Deux femmes en or (Fournier, 1970) ou des meurtriers de Pierre Laporte (voir Falardeau, 1994) est chargé simultanément par deux préjugés. Il est, d’une part, opposé à une tradition constructive française exogène (dont on voudrait se réclamer) qui, déjà dans les années 1920, dénonçait « l’aspect et la durabilité du bois » et accusait ce « mode de construction [d’avoir] fait tant de laideurs » (Brummel, 1928). À l’image de la « construction de mauvaise qualité » – ou à tout le moins éphémère – qui résulte de cette représentation, se superpose, d’autre part, celle d’un vague « modèle étasunien » et de l’américanité honnie que le bungalow induirait dans le paysage québécois, contenue dans les « eux autres ils l’ont l’affaire, les Américains » des Elvis Gratton (Falardeau, 1981) qui, dans ce monde, habitent des bungalows. L’histoire de l’architecture s’est d’ailleurs elle-même associée à cette interprétation qui fait du bungalow un acteur anti-culturel et a-québécois : l’habitude, depuis le début du XXe siècle, d’attribuer l’originalité québécoise à la superposition des occupations (de la Nouvelle-France, du Canada britannique, de l’Amérique du Nord) condamnait en effet le bungalow à n’être qu’étasunien.
Dans ce contexte, le principe de construction standardisée qui a sous-tendu la genèse du bungalow québécois pose un triple défi : à l’imaginaire et à la reconnaissance de cette « maison québécoise », comme nous venons de l’écrire, mais aussi à son évolution future et à celle, en quelque sorte, de la « diversité culturelle » du paysage québécois. La réappropriation cyclique que sa particularisation appelait se poursuit en effet, puisque, approprié et réapproprié sans cesse, le bungalow, éminemment personnel, doit perpétuellement être re-personnalisé et, partant, transformé par de nouveaux propriétaires qui, peut-on lire « ne veulent surtout pas un bungalow comme celui de leurs parents » (Bonneau, 2003). Rien d’étonnant, compte tenu des représentations qu’ils fréquentent…
De surcroît, bâti qu’il était pour ne durer que le temps d’amortissement d’une hypothèque, le bungalow prête maintenant flanc à la pression foncière sur l’immédiate périphérie urbaine qu’il a jadis investie. Alors moins valorisé que le sol sur lequel il s’érige, le bungalow pourrait bien être sujet à une dernière appropriation qui le remplacerait par une maison plus cossue. Curieusement, alors, le paysage varié de ces monuments vernaculaires, en principe exceptionnels par leur non-unicité, cèdera la place au paysage homogène de « cottages victoriens » des banlieues nouvelles, livrés « tout fini » avec aménagement paysager compris, inversement conçus pour être diversifiés et néanmoins condamnés à l’éternelle uniformité par l’interdiction d’appropriation que, dorénavant, la réglementation et la planification d’ensemble imposent.
Parties annexes
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier le Fonds FCAR (aujourd’hui FQRSC) et le CRSH pour l’appui soutenu à leurs travaux, ainsi que Robert Petrelli, pour les précieuses informations qu’il a fournies eu égard au cadre juridique des pratiques municipales québécoises évoquées dans cet article. Leur gratitude va aussi aux évaluateurs des Cahiers de géographie du Québec, dont les commentaires ont permis de préciser plusieurs éléments de cet article. Sa préparation s’inscrit dans le cadre des projets « Histoire critique de la forme urbaine » (CRSH), « Les paysages de la représentation » (FCAR) et participe de la programmation scientifique de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain dont Luc Noppen est titulaire, à l’UQAM.
Notes
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[1]
Selon son étymologie et son usage premier, un « monument », comme nous l’avons exposé dans notre précédent article et comme l’ont, avant nous, souligné Aloïs Riegl et, à sa suite, Françoise Choay, est un ouvrage destiné à perpétuer un souvenir. C’est en ce sens que nous utilisons le mot ici, puisque notre article vise à montrer combien le bungalow québécois, matériellement et idéellement, porte la mémoire du XXe siècle du Québec et des Québécois qui, à travers lui, sont devenus propriétaires; le bungalow devient alors, toujours selon le sens courant du « monument », un édifice remarquable par son intérêt à la fois historique et ethnologique, du fait même de la constitution vernaculaire qui est, plus particulièrement, l’objet de ce second article.
-
[2]
Luc Noppen, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain, et Lucie K. Morisset sont tous deux professeurs au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal et chercheurs au Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions.
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[3]
Il faut quand même créditer aux auteurs d’avoir, bien qu’en une ou deux pages (sur 727) associé le bungalow à « la grande révolution des vingt-cinq dernières années [en 1972] » et d’avoir pareillement souligné « une variété de présentations que rend possible la gamme illimitée de matériaux qu’offre le marché » (464-467).
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[4]
La problématique énoncée, qui n’en est pas moins louable au plan social, s’arrime au désir des banlieusards vieillissants de demeurer dans leur territoire d’appartenance, dans une perspective « écologique » : « faut-il poursuivre l’étalement urbain, dans une société vieillissante, ou plutôt consolider les milieux existants et les transformer pour répondre à de nouveaux besoins? » (Introduction, p. 7 dans Fortin, Després et Vachon dir., 2002).
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[5]
Cet ouvrage, voué à « tracer le portrait actuel [en 2002] des banlieues », en aborde les aspects morphologiques (davantage en lien avec la forme urbaine qu’avec le bungalow), sociaux (portraits-types de « banlieusards », etc.), démographiques et présente une collecte approfondie et une analyse de données issues d’entrevues avec les propriétaires de maisons unifamiliales de banlieues de la région de Québec; en ressortent les indicateurs de l’attachement actuel des résidants à la banlieue (davantage qu’au type d’habitat qu’ils y occupent), de la transformation des représentations spatiales et du vieillissement des banlieusards, dont les constats « exacerbent l’inadéquation entre le cadre bâti des banlieues et les attentes de leurs résidants » (260). C’est ce qui conduit Geneviève Vachon et Carole Després, codirectrices de l’ouvrage, à formuler un certain nombre de propositions, fondées sur une analyse typomorphologique du milieu physique (la forme urbaine et ses contraintes), qui visent « la revitalisation des premières banlieues de bungalows » (264), notamment par une densification de l’habitat qui respecte la logique urbaine et la réglementation en vigueur dans les quartiers de banlieues; les exemples de transformations soumis en conclusion de l’ouvrage s’articulent autour de l’ajout d’étages aux bungalows.
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[6]
Le cinéma québécois a régulièrement mis en scène le bungalow, bien que ce ne fût pas – loin de là – dans des conditions de valorisation ou de reconnaissance de ses « dimensions culturelles », mais bien plus souvent sur un ton de critique esthétique ou de caricature sociale. Pensons, entre autres, à Elvis Gratton (Falardeau, 1981), Deux femmes en or (Fournier, 1970), Les voisins (Guertin et al., 1987), Lundi : une chaumière, un coeur (Leduc et Frappier, 1977), voire à Octobre (Falardeau, 1994), qui scénographie dans un bungalow la séquestration du ministre Pierre Laporte par la cellule Chénier du FLQ, pendant la Crise d’Octobre (1970). Dans le domaine du documentaire, Le Québec moderne 1955-1958 (Hauterive, 1978) commente sans équivoque : « on sacrifiait la grosse famille au bungalow »; enfin, dans un registre plus gai, mais néanmoins fort sarcastique, on pourra se rappeler le personnage de « Madame Brossard de Brossard » du groupe d’humoriste Rock et Belles Oreilles, à la fin des années 1980.
-
[7]
À tout le moins jusque dans les années 1970, la construction de grands « déve-loppements » résidentiels reste l’exception à Québec. Pendant la période qui nous concerne, on ne connaît guère que les cas de Granby, de Ville d’Anjou (1957, Une ville nouvelle…) ou encore de Sainte-Geneviève (où un développement d’une cinquantaine de maisons est entrepris par Shell construction en 1956 (Les jardins… : 32-33) qui verront l’aménagement de quartiers entiers, dans des contextes tout à fait particuliers cependant: à Granby, par exemple, on reconnaît l’interventionnisme gouvernemental d’immédiat après-guerre et la nécessité de loger les anciens combattants (Damphousse, 1951 : 19-22).
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[8]
« Il faut éviter une trop grande différence », peut-on lire dans L’urbanisme… (1956 : 32). Le même principe « d’uniformité » est prôné à l’époque par la SCHL (1960).
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[9]
C’est le cas à Fabreville : « tenir le Festival sur un immense terrain de 900 pieds de long, exactement en face des trente-neuf maisons qui forment la parade d’Habitations. Parmi les avantages importants qu’offre cette centralisation à Fabreville, mentionnons, entre autres, un terrain de stationnement d’une capacité de 3500 voitures avec assez d’espace pour permettre aux familles qui viendront visiter la Parade et le Festival, d’organiser des pique-niques et de se promener sur un espace de quelque 40 arpents, en bordure du chemin qui va de l’auto-route à Laval-ouest » (Racine, 1960 : 70).
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[10]
Stratégies parmi lesquelles se rangent les conseils « Offrez de payer les gardiennes pour les parents qui désirent visiter vos maisons-modèles » ou « Annoncez “Nous adorons les enfants! Amenez-les avec vous”! » (1962, 110 idées… : 12-13), voire « Un poney devant la maison en vente permettra aux parents de prendre tout le temps pour visiter alors que leurs enfants sous la surveillance d’un de vos employés, se promèneront », « Lancez des cerfs-volants au-dessus des maisons ouvertes », « Déguisez l’un de vos employés en clown – ou en géant », « Sur une table, au garage, placez des piles de revues comiques pour les enfants » ou encore « Si vous utilisez des hôtesses pour faire visiter, choisissez des femmes d’un certain âge plutôt que des filles jeunes et attrayantes. En effet, les yeux des hommes sont le plus souvent dirigés sur la fille, les yeux des épouses suivent ceux de leur mari… Et personne ne regarde la maison ! » (1958, 40 suggestions… : 47-51 et 65).
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[11]
Ce sont par exemple Pauline Roy-Rouillard et Jean-Marie Roy qui, à Charlesbourg en 1960, décernent le Prix Pella pour la maison la mieux conçue au contracteur J. A. Boivin (1960, À Charlesbourg… : 51.
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[12]
Par exemple, en 1959 : « les constructeurs de Québec avaient spontanément décidé de créer de toutes pièces une rue avec vingt-deux modèles de maisons et tous les services accessoires. En un temps record et grâce à la coopération des autorités municipales l’ensemble fut achevé » (1959, La parade… : 46).
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[13]
La « parade » d’habitations des Bois-Francs, en 1963, permit aux constructeurs de vendre en moyenne 15 maisons par modèle exposé, soit 225 au total (1963, La parade… : 7).
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[14]
Il ne serait pas inintéressant, à cet égard, d’explorer les tenants et les aboutissants de la dualité, au Québec, du « côté jardin » (le terrain « public » en façade de la maison) et du « côté cour », à l’arrière du bungalow, où le caractère privé de l’espace laisse le champ libre à toutes les expressions possibles et à toutes les marques d’appropriation.
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[15]
« Chaque salle de bains », écrivait-on, « compren[ait] : une baignoire, un lavabo, une pharmacie et un coin de rangement » (1968, Le 19e Salon… : 29).
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[16]
Louise Fradet a souligné l’apparition massive de publicités d’appareils ménagers au lendemain de la guerre (et plus particulièrement jusqu’en 1972), notamment dans la Sélection du Reader’s Digest, dans la Revue moderne (ancêtre de Châtelaine) et dans la Revue populaire (Fradet, 1989 : 34-36).
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[17]
L’exception à ce titre est soulignée dans le cas d’un développement à Sainte-Geneviève en 1956 : « La tuile de caoutchouc et l’“Arborite” de la cuisine sont installés par le constructeur dans les couleurs choisies par le client. […] Trois couches de peinture (au choix de l’acheteur) sont appliquées dans tous les modèles, à l’intérieur comme à l’extérieur. Nous croyons opportun de mentionner l’excellente tactique de vente exploitée par le constructeur qui met à la disposition des acheteurs éventuels – dans son bureau de vente – des échantillons des différentes couleurs et des différents matériaux là où le client a le droit de choisir » (1956, Les jardins… : 33).
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[18]
50 % des maisons de la « parade » charlebourgeoise de 1963 sont dotée d’un carport plutôt que d’un garage (13 % des maisons) pour, écrit-on, « donner plus d’espace à l’intérieur et une meilleure finition extérieure » (1963, La parade … : 7).
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[19]
Quelque 70 % des bungalows québécois nouvellement construits ont un carport ou un garage en 1963. C’est le cas des maisons de la « parade » de Charlesbourg, en 1963 (1963, La parade … : 7).
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[20]
Alors que la plupart des plans connus de bungalows établissent un hall entre l’entrée principale et le salon (ce que la SCHL recommandait constamment à la fin des années 1940 et au début des années 1950), la plupart des bungalows connus au Québec, eux, n’ont pas de hall d’entrée, la porte principale – lorsqu’elle n’est pas condamnée – s’ouvrant directement dans le salon.
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[21]
Il n’est pas impossible que la « disparition » du foyer dans les bungalows québécois (plusieurs plans publiés dans les catalogues de la SCHL en proposent un, alors qu’il est rare d’en trouver dans les bungalows eux-mêmes) tienne de la même raison.
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[22]
Les chroniqueurs relèvent avec intérêt ce commentaire négatif lors de la « parade » d’habitations de Montréal en 1960, qui témoigne de la préférence des « ménagères » québécoises pour un accès direct de la cuisine à l’extérieur : « dans cette maison, on ne peut pas aller dans la cuisine sans passer par le salon » (1960, Semaine parade… : 37).
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[23]
Un chroniqueur québécois relève d’ailleurs, lors de la « parade » montréalaise de 1960 : « E. & G. Lagacé Inc. eurent un succès fou avec la maison no 28 et surtout le magnifique sous-sol entièrement fini : bois, briques laissant apparaître le mortier sur lequel tombait une lumière indirecte frisante du plus heureux effet, etc. Nous avons eu toutes les peines du monde à remonter tant la foule était dense… » (1960, Semaine parade… : 37).
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[24]
« Les rôles de la maîtresse de maison sont multiples de nos jours. Outre ses attributs d’épouse et de mère de famille, elle se doit d’être une parfaite cuisinière tout en demeurant une hôtesse impeccable. C’est pourquoi les femmes, dont on exige tant de talents divers, doivent bénéficier d’un confort maximum pour effectuer leur travail. Ainsi, la buanderie qui, autrefois, se trouvait au sous-sol, a de plus en plus tendance à se trouver dans un coin de la cuisine » (1960, Une décoratrice… : 45).
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[25]
(1960, Une décoratrice… : 45). La même « amélioration » qui voit apparaître « les buanderies au niveau de la cuisine », « facilitant grandement le travail de la ménagère et évitant des allées et venues fatigantes au sous-sol » est louangée lors de la « parade » charlebourgeoise de 1963 (1963, La parade… : 7).
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[26]
Voir à cet égard les nombreuses entrevues de propriétaires de bungalows dans Pigeon, 2003.
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[27]
Dans le même registre, on conseillait aux contracteurs d’argumenter pour vendre leurs bungalows, en insistant sur les avantages pour l’acheteur d’être propriétaire plutôt que sur le bungalow lui-même (1962, 110 idées… : 11).
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[28]
La fortune critique du bungalow rejoint ici celle de la maison « ranch », réputée « sans style » et associée par son caractère commun, à l’expression « d’informalité de la culture occidentale » (S.A., s. d. Ranch Style).
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[29]
Extrait d’un article, non pas sur les bungalows mais sur les « Chick’n Swell », groupe d’humoristes québécois : « Les membres du groupe Chick’n Swell ont tourné leur petite série estivale dans le sous-sol de la mère de l’un d’entre eux, avec des costumes fournis par des amis et des voisins, des accessoires achetés au Dollarama, et la maman qui leur fabriquait des gâteaux entre les prises. Ils ont maintenant installé leurs “plateaux” dans un énorme bungalow inoccupé et mal décoré qui appartenait à un ancien médecin qui y a été assassiné il y a dix ans. Des histoires comme ça ne s’inventent pas » (Cauchon, 2003).
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