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Construit selon une perspective résolument diachronique qui permet de saisir les grands moments de l’évolution de la francophonie nord-américaine, cet ouvrage s’inscrit dans la poursuite d’une aventure éditoriale de grande envergure. Dernier opus d’une collection d’atlas comprenant huit publications consacrées principalement au Québec, La Francophonie nord-américaine, fruit d’une vaste collaboration, matérialise la réponse qu’apportent Yves Frenette, Marc St-Hilaire et Étienne Rivard au défi lancé au début de l’an 2000 par le géographe et historien Serge Courville de publier un atlas sur la Franco-Américanie de la Nouvelle-Angleterre. Peu de temps après s’être emparés du projet, ils auront été conduits par leur audace et leur détermination à l’élargir à l’ensemble du continent nord-américain.

Pour décrire l’évolution et tracer les contours de la présence multiséculaire des francophones sur le territoire nord-américain, ils se seront assuré le concours de 33 collaborateurs, spécialistes des questions touchant à la géographie du continent comme à l’histoire de sa francophonie. Certains signent plus d’un article. C’est le cas notamment des membres de l’équipe qui a assuré la direction scientifique de l’ouvrage.

L’atlas se distingue d’abord par le caractère systématique de son corpus et une périodisation qui se déploie sur cinq chapitres. Chacun représente une phase qu’on peut rendre de la manière suivante : implantation (1604-1763), déploiement (1763-1860), migrations (1860-1920), transition (1920-1960) et reconfiguration (1960 à nos jours).

Le premier chapitre (1604-1763) s’attarde à nous décrire l’arborescence des ramifications de la Nouvelle-France et à nous faire découvrir des pans du paysage démographique francophone constitué d’établissements de colons qui peinent à se peupler. Le chapitre clôt sur l’un de ces pans, sans doute le plus méconnu de cette période et le moins traité dans les manuels d’histoire. C’est celui des Huguenots qui, se voyant refuser tout accès à la Nouvelle-France, ont trouvé refuge au coeur des sociétés britanniques de la Nouvelle-Écosse et de la Nouvelle-Angleterre.

Dans le deuxième chapitre (1763-1860), les auteurs décrivent comment, en dépit des nombreux conflits anglo-américains qui, au lendemain de la Conquête transforment le paysage géopolitique de l’Amérique, l’espace francophone gagne en densité et en étendue ce qu’il perd en légitimité.

Le troisième chapitre (1860-1920) s’ouvre sur la décennie qui donne naissance au Dominion of Canada et se referme sur celle qui connaît le premier grand conflit mondial. Ce chapitre accueille le plus grand nombre d’articles. Plus d’un motif le justifient. Il couvre une phase qui connaît une évolution complexe. Les périodes de dépression et de prospérité se succèdent.

Le quatrième chapitre (1920-1960) couvre la plus courte des périodes présentées. Celle-ci est marquée par une accélération de l’urbanisation qui induit, chez les francophones en situation minoritaire, une hausse accusée du transfert linguistique vers l’anglais. Cette période est perçue comme une étape transitoire de l’histoire des francophones sur le continent. S’y préparent les conditions à l’origine des changements radicaux qui surviendront au cours des décennies s’étendant des années 1960 à nos jours.

L’atlas se referme, mais pas tout à fait, sur un ensemble de questions, énigmatiques pour certaines. Toute recherche de réponse implique un inévitable bilan. L’horizon tel qu’il se dessine au terme de ce parcours est indiscutable : « [P]lus que jamais, le sort de la francophonie semble reposer sur le seul État francophone du continent » (p. 282). Toutefois, par endroits, le géographe ou l’historien esquisse des doutes chargés d’espoir, tel celui où l’auteur évoque une possible réversibilité des effets de la rupture historique entre les Métis et les francophones de souche (p. 269).

Puis suivent les notes, la bibliographie et, en toute dernière page, une remarque sur les sources statistiques. On y fait état des bases de données auxquelles on a eu accès, aux inévitables problèmes liés au dénombrement des francophones en raison de données indisponibles ou incomplètes et aux difficultés que pose la définition même de ce qu’est un francophone. Parvient à se faire regretter, l’absence d’index anthroponymique et toponymique.

Mur de soutènement de l’atlas, la trame textuelle constitue le principal vecteur du regard historicogéographique porté sur l’évolution politique, économique et sociale de la francophonie nord-américaine. Cela dit, l’entrelacs des trames cartographiques et iconographiques complète admirablement cet ouvrage dont le rapport texte / cartes / illustrations reste relativement élevé et cohérent tout au long de l’ouvrage. Nous avons évalué à près de 200 le nombre de planches, de cartes et de graphiques. À si vastes échelles temporelles et spatiales, les cartes sont indispensables. C’est en nombre appréciable qu’elles se succèdent. Elles sont soit choroplèthes, à répartition par points ou statistiques, soit à diagrammes circulaires proportionnels. Certaines sont généreusement légendées et assorties de gloses marginales. De petites cartes en vignette représentant l’Amérique du Nord ont été placées en en-tête de chaque article. Elles sont marquées d’un ou de plusieurs points situant la localité ou les régions examinées dans le corps des textes. Les reproductions de cartes historiques sont peu nombreuses. On leur aura préféré un matériel original, souvent plus expressif et révélateur. Quant à l’iconographie, elle est abondante et souvent agréablement exploitée. La mise en page des photographies est soignée. La disposition des illustrations, leur agencement, leur pertinence en regard du texte témoignent de la minutie et du savoir-faire de l’illustratrice comme du soin qu’a voulu apporter l’équipe de rédaction au produit final.

Outil de premier ordre, digne de confiance et abordable à tous égards, cet atlas d’une prodigalité iconographique et cartographique remarquable, offre une synthèse historique de grande qualité. Il enrichit une collection déjà bien pourvue. On y fait recension de pratiques et de moeurs, d’allées et de venues, de dispersions et de concentrations comme aucune autre oeuvre de synthèse sur les francophonies d’Amérique ne l’a fait jusqu’à présent. S’affranchissant des forces centripètes de la tradition comme de celles de la collection, cet atlas nous livre des profils souvent méconnus : ceux des francophonies de la frange, de la marge et de l’oubli, ceux des francophonies des zones limitrophes, insulaires et des pourtours, ceux des francophonies de couleur et du métissage. Il nous fait découvrir des pans du fait français d’Amérique qui auront été élevés par des francophones dont les souches sont autres que françaises, laurentiennes ou acadiennes.

Pari relevé, pari remporté. Cet ouvrage d’excellente facture est plus qu’opportun à l’heure même où tous semblent s’accorder pour qualifier d’époque charnière celle que les avancées technologiques et la mondialisation nous font vivre. Cette heure est également celle où le sort des francophonies d’Amérique semble une fois de plus sur le point de basculer. Cet atlas s’impose comme point de départ et repère à quiconque se livre à l’étude attentive et curieuse du fait français en Amérique.