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Introduction

Contrairement au monde rural de l’Algérie tellienne, bouleversé par la colonisation et les politiques postindépendance, les Hautes Plaines steppiques (figure 1) ont connu des transformations plutôt lentes et progressives ; mais celles-ci n’en sont pas moins profondes et concernent aussi bien les relations sociales et l’activité économique que le paysage et la vie de relation. De l’indépendance à nos jours, l’Algérie a connu des mutations importantes de son espace et de sa structure sociale ; toutefois, ces changements ne se sont pas réalisés sans discontinuités et sans nuances. Les politiques de développement sectoriel de l’État ont présenté des distorsions et des exclusions multiples, car elles n’ont pas été soutenues par une politique territoriale adéquate. Les Hautes Plaines steppiques représentent un exemple des adaptations spatiales qu’il aurait été nécessaire d’apporter à ces politiques. Les différents plans nationaux (1967-1977) ainsi que le Programme spécial de la Wilaya de Saïda (1972) ne sont pas parvenus à faire sortir la région de son retard par rapport à d’autres espaces algériens (Hadeid, 2009). Ces différentes politiques de développement sont à l’origine de transformations multiples, notamment dans les processus démographiques et migratoires. Le nomadisme (transhumance vers le Tell en été, achaba, et vers le Sahara en hiver, azzaba) convenait remarquablement à la fragilité de l’espace steppique ; un équilibre s’y était installé, permettant à l’homme de subsister sans pour autant détériorer l’environnement local.

Le milieu physique des Hautes Plaines steppiques sud-oranaises affiche un profil très spécifique du point de vue de ses contraintes et potentialités. Les approches climatologique, géomorphologique, pédologique et biogéographique montrent que ce milieu est particulièrement contraignant pour les activités humaines. Les immenses espaces ouverts, la chaleur caniculaire de l’été et le froid vigoureux de l’hiver, les vents violents, les sols squelettiques peu favorables à la mise en valeur, ainsi que la végétation naturelle au faible taux de recouvrement résument en quelque sorte cette inclémence du milieu steppique.

Figure 1

Les Hautes Plaines occidentales dans l’Algérie du Nord

Les Hautes Plaines occidentales dans l’Algérie du Nord
Source : Côte, 1988, modifiée par l’auteur. Adapté par le Département de géographie de l’Université Laval

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La formation steppique, aux multiples variétés végétales (graminées, alfa, épineux…) n’est en définitive qu’une réponse biologique à des conditions écologiques sévères (Aidoud, 1989, Le Houérou, 1995). Toutes ces caractéristiques font que cet espace n’est pas en mesure de supporter un peuplement rural dense, en tout cas comparable à celui de la zone tellienne. Les peuples de la Steppe avaient su s’adapter à ces conditions en optant pour un mode de vie fondé sur une mobilité généralisée ; en parallèle, il n’y avait pas d’appropriation privative individuelle de la terre. Le statut foncier était tribal ; la jouissance n’était donc pas individuelle, mais collective.

Actuellement, la Steppe est en train de perdre progressivement ses caractéristiques initiales, en passant du système nomade au système sédentaire, du pasteur à l’agriculteur, du collectif à l’individuel, de l’ouverture au cloisonnement. L’état actuel de la Steppe apparaît comme l’effet d’un cloisonnement progressif de l’espace qui, lui-même, peut être interprété en grande partie comme une conséquence des politiques de l’État. Par ailleurs, alors que tous les discours, depuis l’indépendance, n’ont cessé de mettre l’accent sur l’objectif de faire de la Steppe une région de valorisation des productions animales et des productions dérivées (viande, lait, laine, peaux), les centres de décision privés ont contribué largement à confiner la Steppe, en particulier occidentale, dans un simple rôle d’arrière-pays pourvoyeur de matières premières animales pour les villes du Nord. Tiraillée entre des conditions naturelles difficiles et des évolutions problématiques, la Haute Steppe oranaise est aujourd’hui dans une situation de quasi-rupture, dont nous allons poser ici les bases du diagnostic.

Cette recherche est le fruit d’observations et d’investigations menées pendant plus de 20 ans sur le fonctionnement de la Steppe occidentale. Elle s’appuie sur de nombreuses études de cas et de terrain [1] auprès des principaux acteurs évoluant dans cet espace (ménages nomades, collectivités locales, exploitants des terres mises en valeur dans le cadre de la loi sur l’APFA [2] de 1983…). Cette démarche, à la fois qualitative et quantitative, a été la base du travail cartographique fourni dans cet article.

Une telle recherche revêt certes une dimension de géographie régionale, mais avec une ambition qui va au-delà des cadres retenus classiquement par ce type d’approche. En utilisant les sources, les outils et les concepts d’aujourd’hui, nous avons opté pour une vision d’inspiration systémique, qui insiste donc sur une vision globale, sur la prise en compte des interactions (entre population, économie, environnement) et sur les dynamiques (idée de systémogenèse, de repérage des grandes ruptures et des bifurcations au sein du système territorial). L’analyse repose sur un souci d’observation, de mesure et de modélisation des espaces étudiés, en vue de nourrir la compréhension des processus d’organisation de l’espace et de la société steppique.

Enfin, on rappellera que ce travail présente une synthèse d’ensemble de cette région, que personne n’avait effectuée depuis la thèse de doctorat de Raymond Couderc, soutenue en 1979. Depuis lors, les études publiées ont toujours été ponctuelles, ne s’intéressant qu’à des aspects partiels de la Steppe occidentale (sédentarisation, désertification, mise en valeur agricole, biogéographie…). Cet article représente ainsi une forme de synthèse ou de mise au point sur la nouvelle structuration spatiale d’une région bien spécifique par ses traits naturels et humains. Pour y parvenir, nous avons analysé les mutations qu’a connues cet espace sur les plans social et économique. La dynamique spatiale de la Steppe occidentale n’est finalement que le reflet de tous ces changements.

Du nomadisme à la vie sédentaire : une transformation lente et profonde

Le nomadisme représentait une forme d’adaptation à un milieu ouvert et fragile comme celui de la Steppe. Pour la population pastorale, il était plus qu’une simple activité ; c’est toute la vie quotidienne, les règles et les traditions qui étaient marquées par ce modèle d’organisation sociospatiale. Durant la colonisation, cela représentait un obstacle pour la puissance coloniale, qui cherchait à maîtriser cette population en perpétuel mouvement ; la seule solution pour asseoir son pouvoir était de déstructurer ce mode de vie en obligeant les nomades à se fixer. Après l’indépendance et avec une autre vision, l’État algérien a continué sur le même chemin et avec le même objectif. L’effectif des nomades n’a donc pas cessé de diminuer, mais le nomadisme n’a pas totalement disparu (61,1 % de la population totale en 1966, 9,6 % en 2008). Il essaie tant bien que mal de faire face aux changements que connaît le pays sur les plans politique et économique.

Le nomadisme : une forme d’adaptation des humains au milieu dans le temps et dans l’espace

Par ses caractéristiques bioclimatiques, la Steppe est un espace fragile qui n’a longtemps autorisé ni peuplement dense, ni sédentarisation massive des populations. La seule solution pour les sociétés de ces vastes espaces était d’opter pour un mode de vie spécifique, permettant d’assurer leur reproduction tout en conservant un certain équilibre écologique (figure 2).

Figure 2

En arrière plan, la tente (Khaïma) qui représentait l’outil de base du mode de vie nomade

En arrière plan, la tente (Khaïma) qui représentait l’outil de base du mode de vie nomade
Photo : M. Hadeid, 2005

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Il s’agissait de pratiquer des transhumances vers le nord et vers le sud impliquant toute la famille, ainsi que le cheptel. Les nomades considèrent l’espace comme une réalité ouverte. Ils ne se réfèrent pas à des limites physiques ou à des frontières, mais leurs déplacements sont organisés selon des itinéraires bien définis, en fonction de repères signifiants par lesquels le passage est obligatoire au cours de l’année, parfois à des dates précises.

D’après les estimations effectuées par M. Boukhobza (1982), le nomadisme, sous ses différentes formes, constituait le mode de vie dominant, dans l’Algérie occidentale précoloniale. Il touchait non seulement la branche de l’élevage, mais aussi une bonne partie des terres de culture, ce qui autorise l’affirmation d’une certaine identification entre l’agropastoralisme et le nomadisme, dans l’Algérie précoloniale. Mais il est clair que la céréaliculture pratiquée par les nomades n’avait ni la continuité ni le savoir-faire de celle des sédentaires. Par conséquent, les complémentarités entre nomades et sédentaires pour les besoins économiques, sociaux ou politiques faisaient que les intérêts des uns et des autres convergeaient plus qu’ils ne divergeaient.

Sur le plan économique, les échanges entre nomades et sédentaires comprenaient à la fois des aspects de production (main-d’oeuvre et moyens de traction) et de consommation (céréales, artisanat et sous-produits de l’élevage). Bien plus, les nomades exerçaient une fonction de transport en pourvoyant non seulement aux besoins des sédentaires telliens, mais aussi à ceux des oasiens. Cela supposait, bien sûr, une certaine entente entre les tribus des différentes régions, laquelle était cimentée par une série d’accords aussi complexes que fragiles. [3]

La période coloniale : déclenchement de la déstructuration spatiale et sociale du nomadisme

Les différentes recherches effectuées sur l’espace steppique (Couderc, 1974, 1979 ; Boukhobza, 1982) montrent plus ou moins explicitement que la destruction des fondements du nomadisme a été accomplie, pour l’essentiel, durant la période coloniale.

Après 1830, la colonisation a touché progressivement la zone tellienne puis, plus tardivement, la Steppe, entraînant une réduction des superficies des parcours, car les fermes des colons s’implantaient de plus en plus au sud de la zone tellienne. En occupant les terres des tribus avec lesquelles les nomades avaient des accords d’utilisation des chaumes et de quelques parcours, les colons ont fini par déstabiliser le processus de l’achaba.

Ce mouvement de l’achaba, essentiel dans l’organisation traditionnelle du nomadisme, fut l’objet d’une législation instaurée par la colonisation. En effet, en 1923, l’achaba fut surveillée par chaque commune avant d’être réglementée avec fermeté, en 1927. « Les tribus devaient obtenir l’autorisation de se déplacer et les colons devaient passer par la voie administrative pour louer leurs chaumes » (Couderc, 1974). Du fait de la réduction des superficies de chaumes et du développement de la viticulture dans la zone tellienne, notamment en Oranie, l’achaba devenait de plus en plus difficile et s’étiolait ainsi progressivement.

La colonisation du Sud eut aussi ses répercussions sur le nomadisme puisqu’elle a entraîné la restriction des parcours sur le piémont méridional du Tell. Cette amputation des terres de parcours a provoqué une diminution des réserves fourragères, qui a déclenché une surexploitation des parcours steppiques ; de ce fait, ceux-ci ont commencé à se dégrader puisqu’ils ont connu une exploitation au moins deux fois plus intensive (Boukhobza, 1982). La complémentarité spatiale fut ainsi sévèrement touchée, de même que la complémentarité économique.

Effectivement, les conséquences de la déstructuration spatiale du nomadisme sur l’économie pastorale ont été vite ressenties. Les nomades eurent de plus en plus de difficultés à s’approvisionner en céréales dans le Tell, ainsi qu’à vendre leurs produits à leurs clients sahariens. Par ailleurs, l’introduction du chemin de fer (en 1887 à Aïn-Sefra), puis de l’automobile, a permis progressivement aux différents acteurs commerciaux de se passer des services des nomades, principaux transporteurs de la région autrefois.

Dès le début de la colonisation de la Steppe, il y eut beaucoup de résistances, la plus marquante ayant sans doute été celle des Ouled Sidi-Cheïkh. Leur révolte (1864-1907), qui a introduit le doute dans la domination tranquille de la zone tellienne, a aussi engendré une certaine désorganisation dans les courants migratoires. Malgré le maintien d’une fonction de transport et d’approvisionnement du Nord en dattes et autres produits du Sud, la raison d’être de ces grands déplacements avait disparu. En trouvant sur les marchés des produits qu’ils transportaient eux-mêmes auparavant, les nomades ont compris que les pratiques commerciales traditionnelles n’avaient plus de place dans cette nouvelle économie installée par la colonisation.

Outre cet aspect économique, la désagrégation et l’éclatement de l’organisation sociale des nomades ont été recherchés délibérément par le colonisateur qui, en promulguant des lois foncières spécialement pour la Steppe (Loi Warnier ou Petit senatus-consulte de 1873), [4] a conduit à la division des terres arch [5] et en a permis la jouissance individuelle. Parallèlement à ces lois foncières, toute une organisation administrative a été mise en place, se substituant à l’organisation traditionnelle antérieure.

À côté de cette déstructuration économique et sociale qu’a connue la vie pastorale, il ne restait, pour bon nombre de nomades, qu’à fuir cette vie et aller s’agglutiner aux abords des petites villes et villages créés dans la Steppe pour d’autres usages, comme le commerce du bétail. Ce mouvement de sédentarisation de misère a touché les individus ayant le moins résisté à cette crise ; les périodes de sécheresse n’ont fait qu’accentuer le phénomène.

Les tendances à la surexploitation des parcours et à la recherche du profit individuel ont été renforcées pendant la Guerre de libération. Celle-ci a eu aussi des conséquences sur la désorganisation des courants migratoires traditionnels. L’accentuation des opérations militaires menées par les combattants algériens a conduit les autorités coloniales à édifier, tout le long de la frontière marocaine, en 1957, un barrage miné et électrifié de grande largeur. Ces zones interdites ont rendu inutilisables près du tiers des parcours de la région. Une année après, fut appliquée une politique de regroupement des nomades, par suite du constat de leur complicité avec les moudjahidines. [6] Le nombre estimé de nomades regroupés a été de l’ordre de 33 000. Cette action a impliqué la fixation des troupeaux, qui ont détruit l’essentiel de la ressource végétale à proximité des regroupements, et a favorisé le développement de maladies entraînant une importante mortalité du cheptel.

La diminution du cheptel a été accompagnée par une augmentation de la population des villes de la Steppe, alimentée en grande partie par les nomades sédentarisés qui avaient presque tout perdu. Les petites villes et bourgades steppiques gonflèrent et des bidonvilles firent leur apparition.

Cette déstructuration du nomadisme a été fatale à l’organisation sociale et économique des populations pastorales. Les stratégies individualistes ont entraîné des inégalités sociales qui ont stratifié la population nomade en faisant apparaître des groupes différenciés d’éleveurs : les gros éleveurs ont pu reconstituer leurs richesses rapidement, au lendemain de l’indépendance, alors que les petits ont été ruinés en perdant la majorité ou la totalité de leur cheptel ; ils ont alors cherché à compenser leurs pertes par le défrichement et le développement de la céréaliculture.

Ainsi, étouffement du nomadisme, suppression de l’achaba, contrôle administratif et militaire des populations, rupture des relations solidaires à l’intérieur de la tribu, développement du marché, monétarisation des échanges, commercialisation du bétail dans les villes… constituent les moyens essentiels dont s’est servie la colonisation pour remettre en cause le mode de vie ancestral.

Après l’indépendance : sédentarisation massive et réduction du nomadisme au rang de simple activité

Après l’indépendance, l’État a repris certaines actions du pouvoir colonial, mais avec une volonté de développement et d’intégration dans l’espace national. Le nomadisme fut la cible du nouvel État, soucieux d’appliquer sa politique économique et sociale sur l’ensemble du territoire national sans prendre en compte les différences régionales. Cette politique s’appliquait à une population algérienne considérée a priori comme homogène.

Ainsi, l’organisation traditionnelle, ou ce qu’il en restait, n’était pas la bienvenue dans la mesure où un pouvoir central volontariste cherchait à restructurer en même temps l’espace et la société, et ce, afin d’instaurer sa politique de développement fondée sur un « socialisme étatique ». Considéré comme antisocial et désuet, le nomadisme devait disparaître au profit d’une exploitation collective et sédentaire des ressources de l’espace steppique (cheptel, alfa…).

Durant la première décennie de l’indépendance, tout le pays était dans une situation économique difficile. La décolonisation, notamment l’impact de la Guerre de libération et le départ des colons, a laissé en crise tous les secteurs économiques du pays. Le nomadisme a été sévèrement touché par plus d’un siècle de colonisation et par la Guerre de libération. Le processus de paupérisation et de prolétarisation, ayant touché une bonne partie des nomades, a conduit ces derniers à se réfugier dans les villes de la Steppe, El-Bayadh, Mécheria et Aïn-Sefra, qui étaient alors de petites villes.

Quelques initiatives ont été lancées en vue de réorganiser cette activité pastorale (opérations réalisées par l’ADEP [7] en 1968 et mise en place des ZDIP [8] en 1971), mais du fait de l’accaparement des meilleurs parcours par les grands éleveurs et à cause du caractère expérimental et surimposé de ces actions, ainsi que de l’implication d’un nombre limité de personnes, ces opérations furent globalement rejetées par les populations nomades. Jusqu’alors, le monde des nomades avait surtout connu les ruptures de la période coloniale, mais à partir de 1971, la révolution agraire a tenté d’imposer un véritable bouleversement sociétal et économique.

À partir de 1975, la Steppe fut touchée à son tour par cette réforme des structures agraires : suppression de l’élevage absentéiste, limitation du cheptel, création de coopératives d’élevage, équipement de la Steppe en infrastructures économiques et sociales. Avec ces actions marquantes, le nomadisme en tant que mode de vie allait être vigoureusement secoué. Mais l’application du Code pastoral, [9] qui représente un plan d’action conforme aux principes de la révolution agraire, n’a pas connu de mise en pratique régulière et stricte. Les nomades ont détourné la loi, notamment lorsqu’il s’agissait de limiter le cheptel.

À cette époque, le nomadisme était encore pratiqué par une bonne part de la population steppique. En 1966, un peu plus de la moitié de la population totale (61,1 %) conservait le mode de vie nomade. Dans certaines communes, le taux dépassait même 75 %. Cette continuité du nomadisme, malgré les vagues de sécheresse qui se sont succédé pendant les décennies 1970 et 1980, a été assurée grâce à l’assistance et à l’appui de l’État qui a fourni, durant ces périodes, de très grandes quantités d’aliments du bétail à des prix très bas. Cette opération, conçue pour limiter les pertes de bétail, a contribué partiellement à la dégradation des parcours puisqu’elle a contribué à l’augmentation de la charge en cheptel.

Durant les années 1980, la Steppe a connu des transformations administratives importantes : la création de deux wilayas [10] (Naâma, El-Bayadh) et le doublement du nombre des communes. Cet aspect était primordial pour la population steppique, longtemps rattachée à la Wilaya de Saïda, dont la partie tellienne septentrionale avait bénéficié de la majorité des investissements productifs. Ces promotions administratives ont permis la mise en place d’un certain nombre d’équipements administratifs, éducatifs, sanitaires, etc., indispensables pour les nomades. Des occasions d’emploi sont apparues alors que les sécheresses persistaient et que l’État se désengageait de plus en plus.

Cette période, qui a permis de rapprocher divers services du nomade, en particulier l’école, marque aussi un mouvement de sédentarisation sans précédent ; en 1987, la population nomade représente moins du quart de la population totale de la région étudiée. Le nomade commence à percevoir les avantages de la vie sédentaire : scolarisation, santé, électricité, hammam pour les femmes... La tente est progressivement remplacée par le bâti en dur, en zone éparse ; la sédentarisation ne se fait pas seulement dans les agglomérations. Les nomades ne s’éloignent plus beaucoup, à cause de la scolarisation de leurs enfants. Cependant, une minorité d’éleveurs se déplacent en camion vers les régions du Nord où ils louent des chaumes en été. Cette pratique continue de nos jours.

Le nomadisme, tel que pratiqué durant la période précoloniale et les débuts de la période coloniale, est plus que jamais mis à mal. Cette déstructuration a graduellement affecté l’espace steppique sur le plan écologique : la dégradation s’accentue à proximité des zones de sédentarisation et la céréaliculture la renforce. Cette dernière pratique a un double objectif : réduire le déficit en aliments du bétail et « s’approprier les terrains » pour empêcher d’autres nomades d’y pénétrer. L’individualisme bat son plein, l’espace steppique est en voie de fermeture.

Durant la décennie 1990, la Steppe algérienne en général, et occidentale en particulier, n’échappe pas aux bouleversements économiques, sociaux et politiques vécus par l’État, car les circonstances nationales et mondiales obligent l’Algérie à appliquer des réformes libérales. Sur le plan politique, le multipartisme est officiellement autorisé, sur le plan économique, l’Algérie poursuit une politique de libéralisation et renonce au « socialisme étatique ». La profonde fracture politicoreligieuse de la société entraîne le pays dans une guerre civile impitoyable.

Les années 1990 représentent ainsi la période noire de l’Algérie indépendante. L’insécurité règne dans plusieurs régions du pays, rendant parfois impossibles les déplacements des personnes et des marchandises. Elle isole les nomades des Hautes Plaines sud-oranaises et leur interdit la zone tellienne, devenue trop dangereuse, notamment dans les parties méridionales des wilayas de Tlemcen, Sidi-Bel-Abbès, Saïda et Tiaret. Les éleveurs qui s’aventurent dans ces zones afin d’accéder aux pâturages payent parfois de leur vie ces tentatives. Seules les marges steppiques méridionales sont permises, car elles sont loin des zones d’insécurité.

Avec cet enfermement, la Steppe connaît une forte surcharge et le processus de désertification de la région n’a jamais été aussi virulent. En parallèle, la libéralisation du marché permet l’importation d’aliments du bétail pour compenser le déficit des réserves fourragères locales, mais ces aliments sont souvent vendus à des prix inaccessibles pour les moyens et petits éleveurs. Les nomades les plus touchés regrettent la période des années 1970, durant laquelle des tonnes d’aliments ont été importées à des prix accessibles pour faire face à la sécheresse.

À la fin des années 1990, alors que l’État se désengage encore, le nomade est désormais seul face à la crise : dégradation des parcours, insécurité, prix exorbitants des aliments du bétail, sécheresse persistante…Tout cela ne fait que déstructurer de plus en plus, non pas le mode de vie nomade, déjà largement remis en cause, mais l’activité pastorale elle-même ; les conséquences en sont la ruine des éleveurs les plus fragiles, la concentration des troupeaux aux mains des gros éleveurs, souvent sédentaires mais dont les troupeaux se déplacent en steppe, et la commercialisation quasi exclusive du bétail dans les grands souks [11] monopolistiques de la région. La part des nomades dans la population totale est en diminution régulière. En 2008, elle ne représente pas plus du dixième de la population de la région (figure 3 et tableau 1).

Figure 3

Évolution de la population nomade dans les Hautes Plaines sud-oranaises

Évolution de la population nomade dans les Hautes Plaines sud-oranaises
Source : ONS (Office National des Statistiques), 1966, 1977, 1987, 1998, 2008. Adapté par le Département de géographie de l’Université Laval

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Tableau 1

Évolution de la population des Hautes Plaines sud-oranaises

Évolution de la population des Hautes Plaines sud-oranaises

T.A.A. Taux d’accroissement annuel

* L’augmentation de l’effectif des nomades en valeur absolue en 1998 peut s’expliquer par les conditions difficiles liées au problème sécuritaire et dans lesquelles ce recensement a été fait. Par conséquent, ses résultats restent relativement peu fiables.

Source : O.N.S (1966, 1977, 1987, 1998, 2008 (résultats préliminaires pour la population nomade))

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De fait, le rythme de décroissance de la population nomade s’est accentué durant la dernière décennie, prouvant que ce genre de vie était en train de s’éteindre. Quant à ceux qui le conservent, ils en modifient les pratiques : la tente n’est plus le foyer familial, mais seulement un outil de travail utilisé par les bergers.

Cette évolution de la population steppique nous amène à nous interroger sur l’évolution de la fonction de la Steppe au plan économique. Quel est le devenir économique de la Steppe face à ces mutations démographiques et sociales ?

Du nomadisme à l’agriculture : la Steppe perd sa vocation pastorale

Par le mode de vie qu’elle offrait, la Steppe sud-oranaise avait pour activité principale le pastoralisme ; c’était le bled el-ghanem, le pays du mouton. C’est sur ce troupeau qu’était fondée l’économie steppique, avec son cortège d’activités artisanales dérivées (travail de la laine, des peaux, de l’alfa…). En déstructurant la société nomade, la colonisation a dramatiquement affecté l’économie pastorale.

Après l’indépendance, la Steppe est percutée par les politiques volontaristes de l’État, qui visent à modifier les rapports sociaux de production (révolution agraire) et à encadrer les populations (découpages administratifs, développement des services, politiques d’équilibre régional). La société steppique rejette la révolution agraire, mais aspire à une modernisation qui passe par la sédentarisation et par un développement de type individualiste.

Après l’échec de la révolution agraire et les tentatives de restructuration de l’activité pastorale, l’État a misé sur une autre politique, en espérant entamer un changement de la vocation principale de la Steppe. Il s’agit de la mise en valeur agricole.

Cette ambitieuse politique a réellement démarré avec la promulgation de la Loi sur l’APFA. Lancée en 1983, cette opération a été le moteur de la politique de mise en valeur agricole en milieux aride et semi-aride. Cette Loi consiste à donner le droit, à tout individu, d’acquérir des terres agricoles ou à vocation agricole en vue de les mettre en valeur. L’acquéreur ne devient propriétaire qu’après la réalisation du travail de mise en valeur, au bout de cinq années.

Le bilan de cette politique reste mitigé si l’on en croit les chiffres. Les premiers résultats exprimant l’évolution, entre 1984 et 1991, dans la wilaya de Naâma indiquent que 3990 ha ont été affectés, mais seulement 43,3 % ont été réellement mis en valeur (Khaldoun, 2004). En vérifiant la situation arrêtée en 2002 pour la même wilaya, il s’avère que la superficie totale attribuée est de l’ordre de 11 049 ha avec 4303 bénéficiaires. La part de la superficie réellement mise en valeur a connu une légère augmentation entre 1984 et 1991 ; elle est alors de 45,2 %, soit 5000 ha. À El-Bayadh, la surface totale attribuée dans le cadre de l’APFA représente plus de 18 % de la surface agricole utile de la région en 2008 contre 14 % en 2003 (Hadeid, 2011).

Dans tous les cas, la quasi-totalité des périmètres irrigués localisés dans les Hautes Plaines sud-oranaises connaissent hésitation et tâtonnement. Ce phénomène ne peut s’expliquer que par les rapports qu’entretiennent les gens avec la terre. Le savoir-faire en agriculture a toujours fait la différence en matière de pratiques agricoles. Les éleveurs, qui représentent une bonne partie des exploitants des périmètres, ne possèdent pas ce savoir-faire. Cela les amène à ne pas cultiver entièrement leurs parcelles, d’autant moins qu’ils pratiquent toujours le pastoralisme. Ceux qui s’investissent totalement dans leurs terres sont, en général, des personnes n’ayant aucune autre source de revenus, ce qui les oblige à utiliser au maximum la surface agricole attribuée.

Après le processus de libéralisation du secteur agricole, durant les décennies 1980 et 1990, et sous l’impact des réformes structurelles et de la politique des prix (1994-1999), les conditions matérielles et sociales des petits exploitants (qui forment l’immense majorité dans les campagnes algériennes) se sont, semble-t-il, détériorées (Bessaoud, 2002). Cela a conduit l’État à élaborer le Programme national de développement agricole (PNDA) à partir de 2000. Ce programme représente, en quelque sorte, un retour de l’État, notamment pour la reconstruction du territoire agricole, après une période de désengagement qui a duré plus d’une décennie.

Dans la Steppe, le lancement du PNDA, accompagné de son fonds spécial servant à financer les opérations de mise en valeur, a été si important aux yeux de la population pastorale qu’il a entraîné un engouement pour l’accession à la propriété foncière agricole. Ce dispositif a provoqué la multiplication [12] des opérations de mise en valeur dans un milieu steppique qui n’est pas prêt, ni sur le plan physique ni sur le plan humain, pour accepter tous ces programmes (Hadeid, 2006) (figure 4).

Néanmoins, les répercussions du PNDA sur la mise en valeur agricole n’ont pas été convaincantes en milieu steppique. L’exemple des Hautes Plaines sud-oranaises à travers les périmètres irrigués étudiés en est la preuve. L’équipement des exploitations par la puissance publique a bien eu lieu (installation du système goutte à goutte, construction de bassins de stockage d’eau…), sans que les exploitants travaillent mieux leurs terres pour autant. En fait, les bénéficiaires n’ont fait que « détourner » un programme ambitieux et généreux pour en tirer profit dans une Steppe frappée par la désertification et où l’activité principale, l’élevage, n’a pas trouvé d’échappatoire.

Figure 4

Répartition des périmètres de mise en valeur agricole dans les Hautes plaines sud-oranaises (Programme APFA, 2008)

Répartition des périmètres de mise en valeur agricole dans les Hautes plaines sud-oranaises (Programme APFA, 2008)
Source : Direction des services agricoles des wilayas d'El Bayadh et de Naama. Adapté par le Département de géographie de l’Université Laval

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Pour les nomades, cette politique de mise en valeur a suscité bien des convoitises, notamment une course plus ou moins déguisée à l’acquisition foncière dans le cadre de l’accession à la propriété. Mais il nous semble que l’accès au territoire à travers la recherche d’un accès à la propriété foncière sur des terres arch est révélateur de l’évolution des systèmes de production ; c’est souligner là l’importance des enjeux décelés autour du développement de l’agriculture en milieu steppique.

En dépit de tout cela, les conséquences socioéconomiques de cette politique ne peuvent pas être négligées. La mise en valeur a permis de créer des emplois, permanents et saisonniers, de même qu’elle a rendu possible l’approvisionnement des villes et des agglomérations steppiques en légumes et fruits, réduisant ainsi l’importation massive de ce type de produits, notamment du Tell et du Sahara du Sud-ouest (Béchar, Adrar). Il faut signaler que, sur le plan national, et depuis le lancement du PNDA en 2000, 445 000 emplois ont été créés en trois ans, dont 381 000 permanents. Ces chiffres ont été annoncés par le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, au mois d’avril 2003, à l’occasion de la réunion d’évaluation trimestrielle du PNDA (El Watan, 30 avril 2003). Quelle que soit leur validité, ces déclarations indiquent malgré tout que la mise en valeur a eu des effets, notamment en ce qui concerne la création d’emplois. Dans les Hautes Plaines sud-oranaises, cette politique n’a pas été sans effet en matière d’emploi. Les données fournies par le Service de l’agriculture de la wilaya d’El-Bayadh nous ont permis de dresser un bilan non exhaustif, dans la mesure où les concessions agricoles n’ont pas été prises en considération, vu l’indisponibilité de chiffres fiables et actualisés. Ainsi, à elle seule, l’APFA a permis de créer près de 1700 emplois jusqu’en 2008, à El-Bayadh. Ce chiffre représente près de 5 % des actifs agricoles de la wilaya, ce qui n’est pas du tout négligeable dans une zone à vocation pastorale. De même, la surface totale attribuée dans le cadre de l’APFA représente plus de 18 % de la surface agricole utile de la région, contre 14 % en 2003.

Avant, les terres agricoles étaient concentrées dans les oasis des ksour de l’Atlas saharien ; à présent, les périmètres de mise en valeur s’éparpillent sur la steppe proprement dite, donc sur les terres de parcours. À l’avenir, ces taux sont appelés à augmenter. Si on ajoute les projets qui verront le jour prochainement dans le cadre des concessions agricoles, les surfaces attribuées pourraient atteindre 30 000 ha et le nombre d’emplois avoisinera les 8000.

Sur le plan de la commercialisation et des échanges, il faut signaler que, dans les périmètres étudiés (Draâ-Lahmar, Raoudassa, Tiout, etc.), les productions ne dépassent pas les limites de la wilaya. Autrement dit, les produits sont destinés au marché local, ce qui représente un avantage pour les citoyens de la steppe, lesquels disposeront ainsi de produits frais (légumes et fruits). Selon les exploitants, les problèmes rencontrés (eau, contraintes liées aux sols, surfaces attribuées, commercialisation, etc.) ne leur permettent pas des productions importantes et davantage de rendements pour une éventuelle exportation, au moins vers les wilayas limitrophes. La faiblesse des rendements, [13] calculés à partir des principaux produits agricoles récoltés dans le cadre de la mise en valeur, donne un aperçu clair du tâtonnement de cette opération.

Sur le plan spatial, les périmètres situés dans la steppe apportent des changements paysagers à ce milieu caractérisé par la monotonie topographique et végétale, mais à condition que ces cultures réussissent. La région se voit tachetée par des plaques verdoyantes (figure 5) inégalement réparties dans l’espace.

Cette métamorphose donne quelques images marquantes de la steppe occidentale ; hélas, les mises en valeur qui réussissent sont rares et, dans le cas contraire, c’est un paysage de désolation qu’on découvre. Les mises en valeur en milieu steppique, supposées être le moyen de revaloriser l’activité agricole tout en améliorant les revenus des ruraux, ne sont-elles pas en train de contribuer à la dégradation de la steppe occidentale et d’augmenter ainsi la désertification que connaît la région depuis quelques décennies ?

Figure 5

Un périmètre de mise en valeur en milieu steppique réussi (commune de Tiout, wilaya de Naâma)

Un périmètre de mise en valeur en milieu steppique réussi (commune de Tiout, wilaya de Naâma)
Photo : M. Hadeid, 2008

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Très souvent, lorsque ce phénomène de désertification est cité, c’est la sécheresse qui est mise en avant, alors qu’en réalité, les raisons de ce problème écologique sont beaucoup plus d’ordre anthropique. On l’a vu, la colonisation a déjà déclenché ce processus en perturbant l’équilibre écologique de la période précoloniale fondé sur les transhumances ; puis, dans un souci de valorisation et de restructuration de la vie dans la Steppe, l’État n’a fait que prolonger les actions amorcées antérieurement (sédentarisation forcée, blocage des transhumances…). Les autres pratiques des habitants de la Steppe, éleveurs essentiellement, ne représentent qu’une forme de détournement des actions imposées par l’État et une sorte d’adaptation au nouveau contexte. Les pratiques dites anarchiques des éleveurs en matière d’élevage sont liées à l’utilisation des moyens de mécanisation modernes, à la pratique des labours, pourtant interdits depuis 1971, à l’abreuvement localisé, à l’éradication des espèces ligneuses par le défrichement, ainsi qu’à la sédentarisation en zone éparse. L’augmentation de la population pastorale et l’accroissement du troupeau constituent aussi des éléments de dégradation puisque l’espace steppique n’est pas apte à supporter de telles charges. Le cheptel dans la zone steppique a été multiplié par un facteur de 2,5 en 30 ans ; à l’inverse, la production fourragère a été divisée par 3. La charge potentielle devrait être de l’ordre de 0,25 mouton / ha, alors que la charge effective atteint 1,25 mouton / ha. [14]

Malgré l’ampleur du phénomène, la préoccupation de l’État à l’égard de ce fléau ne s’est pas concrétisée par des démarches sérieuses, à l’exception des actions ponctuelles de fixation de dunes et de plantation de ceintures boisées le long des routes et autour de quelques agglomérations. Jusqu’à présent, l’organisme le plus actif dans ses interventions est sans doute le Haut Commissariat au développement de la Steppe (HCDS). Les travaux réalisés, tels que les plantations pastorales, les mises en défens et les infrastructures hydrauliques, couvrent une bonne partie de la Steppe occidentale. Ces efforts restent insuffisants sur le plan quantitatif, mais ils ont permis à certains secteurs dégradés de se régénérer ; le cas de Cheguig en est le plus marquant. Cela dit, il faut signaler que le HCDS n’a pas d’autorité réelle puisqu’il n’arrive pas à faire respecter certains aménagements, notamment les mises en défens. Les gardiens embauchés par le HCDS connaissent toujours des difficultés à surveiller les périmètres, dans la mesure où les éleveurs, les plus gros surtout, ont souvent eu recours à la force pour faire pâturer leurs troupeaux sur les zones préservées. Il faut ajouter à cela, la complicité des agents communaux dans le non-respect de ce type d’aménagements. La tâche s’avère donc très rude pour éviter l’échec des opérations entreprises par les différents organismes s’intéressant aux problèmes de la Steppe (Hadeid, 2006). Par conséquent, ce phénomène écologique, menaçant la Steppe occidentale surtout, doit être perçu dans un ensemble constituant la problématique du développement de tous les espaces steppiques.

Ainsi, les conséquences spatiales de tous ces changements se manifestent par une sorte d’enfermement de la Steppe, espace censé être ouvert. Les clôtures des exploitations de mise en valeur, ou celles en attente d’une régularisation, se multiplient et vont jusqu’à bloquer le passage des troupeaux. Concernant parfois des zones non touchées par la mise en valeur et pour faire valoir le fait accompli, ces clôtures engendrent une accentuation de la charge sur les parcours encore libres, non clôturés, et leur dégradation. En fait, ce phénomène de cloisonnement de l’espace steppique représente l’une des mutations les plus marquantes qu’a connues et connaît toujours cette région.

De l’espace ouvert à l’espace cloisonné, ou la nouvelle structuration spatiale des Hautes Plaines sud-oranaises

Auparavant zone de passage et de transhumances, la Steppe sud-oranaise a connu bien des changements, et ce, en lien avec les actions étatiques ayant permis une certaine restructuration spatiale. Multiplication des agglomérations, alimentées par la sédentarisation des nomades, et redécoupages administratifs ont été les moteurs de cette réorganisation. Cependant, si ces changements ont permis un certain encadrement de la population, ils ont par contre renforcé le phénomène de désertification, qui ne cesse de progresser.

La multiplication des agglomérations et les découpages administratifs ont conduit à une importante réorganisation spatiale de la région

Depuis les débuts de l’ère coloniale, la Steppe occidentale a subi de continuelles transformations, tant de son espace que de sa société. Localement, ces transformations produites par le volontarisme de la puissance publique ont conduit à une importante restructuration spatiale. L’espace steppique s’est progressivement réorganisé autour d’un semis urbain et rural, formé d’agglomérations reliées par un réseau de routes et de pistes (figure 6).

La trame d’agglomérations de la Steppe sud-oranaise, dont le nombre a presque triplé en 40 ans, est répartie essentiellement le long des principaux axes routiers. Si les trois villes principales de la Steppe sud-oranaise (El-Bayadh, 85 577 habitants ; Mécheria, 65 043 habitants ; Aïn-Sefra, 47 415 habitants) demeurent toujours au sommet de la hiérarchie en structurant les échanges, le reste de l’armature a connu de grands changements, soulignés encore par le dernier recensement (2008). En effet, les agglomérations [15] de 5000 à 25 000 habitants sont passées de 7 à 10 entre 1998 et 2008 ; il en est de même pour les localités de moins de 5000 habitants, qui ont atteint le nombre de 75, alors qu’elles n’étaient que 59 en 1998.

Ce changement dans la trame urbaine de la Steppe sud-oranaise connaît aussi d’autres spécificités. Si le nombre des agglomérations de moins de 5000 habitants a connu une augmentation importante durant la dernière décennie, son poids démographique n’a pas beaucoup changé, avec 25,2 % en 1998 et 25,5 % en 2008.

Figure 6

Dynamique spatiale des Hautes Plaines sud-oranaises : de l’espace ouvert à l’espace cloisonné

Dynamique spatiale des Hautes Plaines sud-oranaises : de l’espace ouvert à l’espace cloisonné
Conception et réalisation : HADEID Mohamed, 2015

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À l’opposé, la classe des localités de 5000 à 25 000 habitants a vu son poids grandir, passant de 16,4 % de la population totale en 1998 à 22,2 % en 2008. Les trois principaux centres urbains de la région continuent à concentrer la population avec près de 40 % actuellement contre moins de 34 % en 1998 ; ils regroupent à eux seuls près de 70 % de la population urbaine [16] de la région. Ces trois villes importantes, qui structurent l’espace steppique autour d’elles, dominent la région grâce aux services qu’elles offrent (administration, santé, éducation, commerce, habitat, emploi, souks hebdomadaires et de bétail…). Aussi, constituent-elles des relais régionaux puisqu’elles entretiennent des relations étroites avec d’autres ensembles du territoire algérien.

Géographiquement, ces relations sont beaucoup plus méridiennes que transversales. Autrement dit, elles sont plus liées à l’espace régional occidental dominé par la métropole d’Oran qu’aux autres sous-régions steppiques. L’agglomération d’Oran avec ses infrastructures (le port en particulier) et plusieurs villes intérieures situées entre Oran et les Hautes Plaines sud-oranaises, telles que Saïda, Mascara, Sidi-Bel-Abbès et Tlemcen, constituent les pôles de cette structuration méridienne de la vie de relations.

Néanmoins, les multiples liens transversaux se maintiennent avec les espaces steppiques limitrophes ; ceci est tout à fait logique dans la mesure où les secteurs de Tiaret et d’Aflou, par exemple, sont en continuité naturelle et fonctionnelle avec une région steppique occidentale qui reste encore malaisée à délimiter. Alimentés par des centres de décision privés, ces liens sont fondés sur des pratiques légitimées par des stratégies familiales « dont la diversité et l’intensité des solidarités restent des éléments majeurs, trop souvent occultés, dans l’analyse de l’organisation spatiale en Algérie. Cette structure familiale, lointaine héritière de l’organisation communautaire tribale, a façonné les territoires locaux, voire régionaux, aidée en cela par une remarquable stabilité des limites administratives entre l’Algérie Occidentale et l’Algérie Centrale. Sur un autre plan, la nécessaire complémentarité entre les espaces physiques et les activités économiques a imposé aux hommes l’utilisation des tracés d’une circulation méridienne dominante que l’introduction d’une économie moderne d’échanges a matérialisée par la création d’un réseau routier et ferroviaire, portant les villes et les principaux souks de l’Ouest algérien. En un mot, ces infrastructures traduisent fidèlement le dessin des complémentarités méridiennes de cet espace » (Bendjelid, 1989). L’étude des migrations définitives et temporaires, ainsi que celle des aires d’influence des souks de bétail, indiquent et confirment cette appartenance des Hautes Plaines sud-oranaises à l’espace régional de l’Ouest algérien et son ouverture vers les autres secteurs de la Steppe, en particulier les plus proches.

Toutefois, il reste à déterminer les forces motrices (groupes sociaux à référence tribale ou groupes familiaux plus ou moins élargis) qui alimentent cette dynamique économique privée en voie de consolidation que, d’ailleurs, l’État lui-même n’arrive pas à évaluer et à maîtriser. L’organisation administrative de la Steppe sud-oranaise a subi bien des changements dans le passé (figure 7). Le mode de vie pastoral imposé par les conditions naturelles de ce territoire n’admettait ni limites administratives ni centres urbains. Le premier vrai découpage administratif de l’espace steppique a été dessiné par l’autorité militaire française dans le but de contrôler les tribus turbulentes des Hautes Plaines sud-oranaises et les déplacements des nomades et pour, en fin de compte, exploiter les richesses naturelles et animales de ce territoire.

Après l’indépendance, dans un souci d’homogénéisation et d’encadrement de tous les espaces du pays, mais aussi pour briser quelques structures régionales vivaces, le pouvoir politique central a procédé à la refonte de plusieurs découpages administratifs. Les deux premiers (1963 et 1975) n’ont pas profondément modifié l’organisation de la Steppe puisque le nombre de ses communes n’a pratiquement pas changé durant plus de deux décennies. Ce n’est qu’à l’occasion du dernier découpage administratif, entré en application en 1985, que la région a connu une modification radicale de son organisation administrative. Non seulement le nombre de communes a plus que doublé, mais la Steppe sud-oranaise a été scindée en deux wilayas, celles d’El-Bayadh et de Naâma. Si, pour la première subdivision, le choix du chef-lieu de wilaya était tout à fait attendu, il en fut autrement pour la seconde. En réalité, Naâma ne fut choisie qu’après un sérieux conflit opposant deux petites villes de même statut administratif, aptes à accéder à ce niveau hiérarchique : Mécheria (tribu des Hamyan) et Aïn-Sefra (tribu des Amour).

Figure 7

Le découpage administratif de 1985, quasiment calqué sur l'organisation tribale des grands arch

Le découpage administratif de 1985, quasiment calqué sur l'organisation tribale des grands arch
Adapté par le Département de géographie de l’Université Laval

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Devant cette situation périlleuse, le pouvoir central a décidé de promouvoir Naâma, petite localité rurale de 2374 habitants selon le recensement de 1987, située entre les deux villes. Cette promotion au rang de chef-lieu de wilaya était annonciatrice de la création d’une véritable ville nouvelle. Pour certains groupes sociaux, ce choix apparaît comme une chose raisonnable, mais pour d’autres, ces énormes investissements auraient pu être orientés vers des priorités différentes : équipement des petites localités steppiques ou de celles nouvellement promues en tant que chefs-lieux de commune, voire financement d’actions d’aménagement en vue de lutter contre la désertification affectant de plus en plus la région.

Ce découpage administratif peut être également perçu comme une sorte d’entrave au fonctionnement de la vie de l’espace steppique ; ce dernier s’organise en plusieurs sous-espaces, à l’intérieur desquels les habitants ont gardé depuis toujours de solides relations sociales, culturelles et commerciales.

Dans certains cas, pour les habitants de la région, le découpage administratif de 1985 a érodé bien des liens tissés au cours de l’histoire. Ainsi, Boussemghoun et Chellala, qui appartiennent au monde ksourien dont Aïn-Sefra est la capitale, ont été séparés de cette dernière pour être rattachés à la wilaya d’El-Bayadh. Mais, en dehors de leur dépendance administrative, ces deux communes vivent le dos tourné à El-Bayadh et continuent toujours à fonctionner comme dans le passé.

La commune d’El-Kheïter, qui a été soustraite à la wilaya de Saïda, vit un cas semblable. Finalement, n’ayant pu avoir gain de cause, les habitants ont fini par se plier à cette réorganisation territoriale qui les oblige à se diriger obligatoirement vers le chef-lieu de wilaya pour régler leurs affaires administratives ; seules leurs relations fonctionnelles et culturelles demeurent tournées vers leur ancien espace d’appartenance. Cette configuration nous renvoie vers le fonctionnement classique d’une structure sociale caractérisée par un communautarisme tribal.

Malgré les tentatives de modification effectuées dès l’époque de la colonisation, visant à mieux contrôler la société pastorale et l’espace, le fonctionnement de cet espace reste encore caractérisé par de fortes permanences. Assez peu étudié, ce fonctionnement pourrait contribuer d’une façon pertinente au développement préconisé par le pouvoir central, qui essaie par tous les moyens d’impliquer les citoyens dans le développement local. Malheureusement, jusqu’à présent, cet appel est beaucoup plus entendu comme synonyme de convoitise des ressources de l’espace steppique, c’est-à-dire de conflits, de concurrences et d’oppositions entre les différentes tribus de la Steppe. Mais il faut tout de même reconnaître que le découpage des wilayas et des communes de 1985 a consolidé les fonctions d’une série d’agglomérations réparties dans toute la Steppe occidentale, confirmant de fait les transformations régulières enregistrées dans la zone d’étude.

Une structure régionale des échanges affermie

En prenant comme paramètres d’analyse les migrations et les aires d’influence des souks de bétail, la Steppe sud-oranaise joue deux rôles qui lui confèrent un dynamisme certain. Le premier rôle se rapporte à son activité pastorale symbolisée par la tenue de souks – parfois rayonnant à l’échelle régionale comme celui de Mécheria, par exemple – qui attirent des maquignons de différentes villes de l’Ouest algérien.

Quant au second rôle, il est sous-tendu par la situation même de cet espace ancré dans une position de carrefour entre, d’une part, la route méridienne aboutissant aux Plaines littorales oranaises et, d’autre part, la route transversale allant d’El-Aricha vers El-Bayadh, Aflou, Laghouat…

Ce double rôle fonctionnel est un atout incontestable pour les Hautes Plaines sud-oranaises, qui possèdent les capacités matérielles et humaines pour développer des activités de service et d’accueil pour les visiteurs et les passagers. La tenue de souks d’importance sous-régionale et régionale donne l’image d’un territoire steppique de plus en plus intégré dans l’espace régional, voire national, en raison de l’importance et de la valeur de son cheptel ovin, qui permet de subvenir à la demande en viande rouge, exprimée principalement par les villes de l’Ouest algérien, et secondairement par d’autres villes algériennes. Ce ravitaillement se fait principalement par des maquignons, des chevillards et des intermédiaires, acteurs économiquement puissants de la Steppe et du Tell.

Le fonctionnement actuel de la Steppe nous a conduit à observer que cette région n’est plus l’espace ouvert d’autrefois, qu’elle se ferme, se clôture et perd progressivement ses traits initiaux. Parallèlement, son espace est de plus en plus organisé par une série d’agglomérations dont la taille et le poids ne cessent de s’accroître. Fonctionnellement, la Steppe sud-oranaise apparaît ainsi de moins en moins homogène : des sous-ensembles se différencient et affichent des niveaux de développement et de dynamisme très divers. Une typologie globale, fondée sur des critères démographiques, socioéconomiques et écologiques, peut aujourd’hui être proposée et servir de base à la réflexion (figure 8).

Les disparités qui se manifestent au sein des Hautes Plaines sud-oranaises sont la conséquence des mutations spatiales et socioéconomiques qu’a connues cet ensemble bien individualisé de l’espace algérien au cours des dernières décennies. Pourtant, il semble que le poids des héritages demeure décisif : la structure méridienne des échanges se maintient et le grand triangle qui regroupe des villes comme El-Bayadh, Mécheria, Aïn-Sefra, incluant Naâma et Bougtob, représente incontestablement l’ensemble le plus dynamique de l’espace steppique, ce qui a presque toujours été le cas depuis la période coloniale.

Figure 8

Dynamique des espaces et organisation des Hautes Plaines sud-oranaises

Dynamique des espaces et organisation des Hautes Plaines sud-oranaises
Source : Étude de terrain, office national des statistiques, 2008. Réalisation : M. Hadeid, A. Couillet, laboratoire ThéMA, 2012

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Autrement dit, malgré la formation d’autres zones plus ou moins dynamiques réparties dans la Steppe, tel que le secteur sud-ouest de la région, l’État, à travers ses politiques de développement fondées essentiellement sur les découpages administratifs et l’équipement, n’a fait que renforcer le rôle économique et polarisateur des espaces traditionnellement dominants. De même, l’initiative privée (maquignons, gros éleveurs, entrepreneurs…) n’a fait que suivre le chemin tracé par les investissements publics au détriment d’un vaste arrière-pays plus contraignant et plus sous-équipé. La planification nationale visant à répartir d’une façon équitable les villes et à promouvoir tous les sous-espaces ne semble pas se concrétiser dans un espace aussi spécifique que les Hautes Plaines sud-oranaises.

Les futurs projets d’aménagement de l’espace steppique sont donc amenés à rectifier le tir et à prendre en considération cet aspect pour atténuer les disparités intrarégionales et renforcer d’autres axes, d’autres zones que celles qui détiennent l’essentiel des activités économiques, concentrant ainsi une bonne partie de la population.

À une échelle plus générale, la Steppe algérienne occidentale apparaît bien individualisée par rapport aux autres ensembles steppiques du centre et de l’est du pays. Elle se distingue d’abord par son immensité, puisqu’elle représente 45 % de la surface totale de la steppe algérienne, alors qu’elle en constitue la partie la moins peuplée (15 % du total).

S’ajoutent à cela les éléments liés aux conditions naturelles : des précipitations particulièrement faibles (inférieures à 250 mm / an), des sols particulièrement minces et une forte orientation pastorale. Sur le plan des dynamiques environnementales, elle est la zone la plus touchée par le phénomène de désertification (40 % de sa surface contre 20 % pour le centre et l’est de la Steppe) (Hadeid, 2008). Elle affiche, enfin, un réseau urbain moins étoffé, moins complexe que ses voisines du centre et de l’est. Par conséquent, l’intervention de l’État sur cet espace devra sans doute à l’avenir mieux prendre en considération ses spécificités pour assurer la réussite des opérations d’aménagement.

À cet égard, l’exemple tunisien, souvent évoqué, est certes intéressant, mais il est difficile à appliquer dans la Steppe occidentale. Évoluant dans des conditions biogéographiques plus favorables (pluviométrie supérieure, nappe phréatique peu profonde…), les Tunisiens ont réussi à fractionner progressivement les anciennes communautés tribales…, permettant à l’espace pastoral de se rétrécir au profit d’une agriculture basée sur la céréaliculture et l’arboriculture.

Ainsi, parallèlement à la réduction des parcours, qui contribuent de moins en moins à alimenter le cheptel, l’intensification de la culture a conduit à une forte production de céréales, de l’orge en particulier (Attia, 1977). Seulement, le problème qui se pose est celui de la durabilité de tels systèmes agricoles sur des sols fragiles. À l’opposé, la steppe marocaine n’a connu ni ce fractionnement de l’espace pastoral tunisien (conversion vers l’arboriculture) ni les profondes réformes agraires (révolution agraire, APFA, PNDA) appliquées en Algérie. L’insuffisance en matière de réformes foncières et de développement agricole a conduit à une forme de stagnation de cette région en matière de développement. [17] Certains aspects similaires à l’exemple algérien sont à signaler, tels que le problème du surpâturage, le phénomène de désertification, et l’appropriation individuelle des terres pastorales collectives à travers l’extension des emblavures céréalières (Abaab A. et al., 1995).

Une véritable conversion du pasteur en agriculteur-éleveur est-elle possible dans les Hautes Plaines sud-oranaises au moment où les opérations de mise en valeur agricole dans la steppe ne cessent de s’étendre ? Il est clair, en tout cas, que l’aménagement de l’espace steppique doit impérativement s’inscrire dans une stratégie plus globale d’aménagement et de développement, en prenant en compte toutes les caractéristiques environnementales, spatiales, sociales et foncières de la Steppe, et en s’appuyant sur une réelle concertation avec les populations locales dans le cadre des projets d’aménagement. Cette orientation n’est pourtant pas évidente, dans la mesure où les intérêts, les visions et les logiques des différents acteurs en présence sont souvent très opposés.

Conclusion

Les Hautes Plaines steppiques sud-oranaises représentent un ensemble bien individualisé, tant sur le plan naturel que sur le plan social, par rapport aux différents ensembles régionaux d’Algérie. Les caractéristiques naturelles de cet espace font certes son originalité, mais démontrent aussi sa fragilité. Les populations de la Steppe ont bien su garder l’équilibre de cet espace jusqu’au XIXe siècle, en optant pour un mode vie basé sur le nomadisme ; mais la colonisation a contribué largement au déséquilibre de cette région fragile. Après l’indépendance et dans un souci, cette fois, d’organiser, de revaloriser, d’équiper et de maîtriser l’espace national, l’État a considéré le nomadisme comme étant à contresens de la modernité et a décidé d’une politique d’aménagement centralisé qui n’a pas suffisamment tenu compte des caractéristiques particulières de la Steppe. Les réactions des nomades à l’égard de ces tentatives « parachutées » ont été plutôt négatives : détournement ou contournement de la plupart des opérations proposées, notamment celles induites lors de la révolution agraire. L’État et les éleveurs avaient deux logiques opposées, induisant l’échec du projet d’aménagement de la Steppe. La politique de mise en valeur agricole a donné lieu à une réaction bien différente. Cette politique a occasionné un certain nombre d’avantages très attendus par les nomades, notamment celui de l’acquisition de la terre. Le lancement du PNDA, en 2000, n’a fait qu’accroître l’intérêt de la population locale en faveur de la mise en valeur. Les périmètres et les nouvelles exploitations ne cessent de se multiplier dans la Steppe, dont le paysage se transforme progressivement. Cette nouvelle politique pourrait avoir des conséquences spatiales marquantes sur le devenir de cet espace, dans la mesure où elle contribue à le découper progressivement en propriétés, entraînant la Steppe dans une situation de « blocage ».

La place de la Steppe occidentale dans l’espace régional et national montre que la région n’est plus marginalisée, ni sur le plan géographique ni sur le plan économique. Ces aspects nous amènent à nous interroger sur le rôle des centres de décision privés qui, basés sur des stratégies familiales héritières d’une organisation communautaire tribale, contribuent au fonctionnement méridien des échanges entre la Steppe, les Bassins intérieurs oranais et la métropole oranaise (Bendjelid et al., 2004). Ce rôle ne fait qu’affermir la fonction de cet espace en tant qu’arrière-pays fournisseur de matières premières (bétail en particulier) pour les régions telliennes et littorales de l’Ouest algérien. Mais ce rôle n’est peut-être que temporaire, car le processus de désertification de la Steppe occidentale est en train de prendre une dimension écologique en constante augmentation, capable non seulement de compromettre toute tentative de développement de ce territoire, mais aussi de réduire fortement l’activité de l’élevage dans la Steppe. Face à cette situation, l’activité pastorale ne devrait-elle pas changer ses pratiques traditionnelles, qui ne sont plus adaptées au système cloisonné dans lequel la Steppe évolue actuellement ?

Bien que les espaces steppiques maghrébins présentent des situations diverses en raison de leur contexte politicoéconomique différent, l’interrogation principale quant au devenir de ces espaces réside dans le fait que les politiques de développement futures doivent intégrer à la fois les exigences du contexte économique dominant et les contraintes de la durabilité des écosystèmes fragiles.