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L’initiative de la maison d’édition Parenthèses de porter à la connaissance des architectes et des urbanistes ce texte connu jusqu’à maintenant dans la traduction désuète de William Moser et Léon Jaussely [1923] devrait permettre de mieux faire comprendre l’importance et l’actualité de Raymond Unwin. Chaque nouvelle édition d’un texte théorique est prétexte à une nouvelle lecture. La présentation érudite de Jean-Pierre Frey aide à contextualiser la modernité d’un ouvrage vieux de plus de 100 ans.

Cette modernité tient dans la question qui traverse tout l’ouvrage d’Unwin sur la conservation de l’identité de la ville, sa beauté et son pittoresque comme héritage identitaire : sur quels fondements l’urbaniste (town designer) peut-il, ou doit-il, s’appuyer pour développer et moderniser une ville ? Pour préserver ou retrouver ce qu’Unwin appelle « les attraits de la ville », il faut interroger son histoire – apprendre à y lire « comme dans des livres ouverts » – depuis sa fondation jusqu’à sa transformation à l’âge classique, en passant par sa croissance médiévale. La modernité doit éviter de rompre avec ce qui constitue la leçon des plans anciens, c’est-à-dire les traces de la vitalité sociale des villes, afin de pouvoir retrouver « une belle forme d’expression de la vie collective ». Ses références aux travaux de Joseph Stübben (Der Städtebau, 1890) et de Camillo Sitte (Der Städtebau nach seinen künstleriechen Grünsätzen, 1889) indiquent l’importance qu’Unwin accorde à l’histoire des formes urbaines et à ce que nous appelons aujourd’hui le design urbain. Unwin, ennemi autant du pastiche que de la nostalgie, interroge les pratiques les plus innovantes de planification de son époque pour trouver une réponse moderne à la croissance des banlieues, pour lui, des villes à part entière. Une autre référence importante, Ebenezer Howard (Garden cities of tomorrow, 1898), conduit Unwin à une réflexion majeure sur la nature de la banlieue (suburb) et sur l’importance de son embellissement autour de la gestion d’un art du « paysage urbain ». Plus que l’hygiénisme ou la planification, ce qui rend la lecture d’Unwin toujours indispensable, c’est, pour reprendre la formule d’André Corboz, sa vision d’un « urbanisme dans la ville », d’un urbanisme qui ne s’oppose pas à la ville. L’art de dessiner les cités et les faubourgs d’Unwin prépare d’une certaine manière la venue des textes des typomorphologistes et d’Aldo Rossi (L’architettura della città, 1966). Il initie à la difficulté d’un urbanisme savant, inspiré du « désordre de l’art » pour modeler le désordre de la ville avec art, afin de répondre aux besoins de variété et d’harmonie des citoyens. C’est ce que les urbanistes d’aujourd’hui recherchent à travers le concept « d’intensité urbaine ».

On peut juste regretter que l’éditeur, par souci promotionnel, n’ait pas repris la traduction française du titre original proposé par Henri Sellier : La pratique de l’aménagement des villes, introduction à l’art de dessiner les cités et les faubourgs. Le titre conservé ici reprend celui de la précédente édition française de Moser et Jaussely. Il ne rend pas compte de l’oeuvre d’Unwin, encore moins de son projet.