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Cet ouvrage rédigé par trois politologues de l’Université du Québec à Montréal se veut clair, concis et facile à lire. Il s’agit cependant d’un choeur à trois voix puisque la partie «Russie» (58 pages) a été rédigée par Albert Legault, la partie «Amérique» (36 pages) par Frédéric Bastien et la partie «Chine» (43 pages) par André Laliberté. Cette contribution ne présente pas de conclusion ou, plus exactement et d’une façon non conventionnelle, la conclusion se trouve dans l’introduction! Publié aux Presses de l’Université Laval dans la collection «Politique étrangère et sécurité», ce livre relève clairement de cette branche de la science politique dénommée «relations internationales» et dispose de très peu d’approches à connotation géographique, ce qui en diminue l’utilité pour un public de géographes. On n’y trouve pas de véritable bibliographie finale, mais une masse imposante de notes placées à la fin de chaque partie (217 pour la partie Russie, 90 pour la partie Amérique et 195 pour la partie Chine) à l’intérieur desquelles se glissent de véritables références bibliographiques. On regrettera l’absence totale de cartes, alors que le thème traité s’y prêtait merveilleusement.

L’argument central et le thème moteur de ce livre peuvent se résumer à peu près comme suit: il n’existe pas, à l’heure actuelle et depuis un laps de temps relativement court, peut-être dix ou vingt ans, de motifs d’opposition sombres ou aveugles entre la Russie, les États-Unis et la Chine. Entre eux, la dissuasion nucléaire n’est plus qu’un concept existentiel, d’autant plus que la menace du recours à des armes de destruction massive ne provient plus des États, mais de groupuscules violents nourris par une idéologie destructrice et vengeresse. Ce sont plutôt des minorités en mal d’être qui menacent la Russie, beaucoup plus que la Chine, mais surtout les États-Unis, devenus le bouc émissaire de tous les maux de la planète. Aucun de ces trois pays ne cherche à remettre en cause les gains acquis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui bouleverserait leur stabilité stratégique, leur croissance économique et leur bien-être collectif. Voilà pourquoi, sur le plan de la lutte anti-terroriste, cette toile de fond explique la remarquable alliance entre Moscou, Pékin et Washington. C’est donc ce thème moteur de l’ouvrage qui en justifie le titre quelque peu racoleur: depuis plus d’un siècle, le pétrole constitue le principal moteur de la croissance économique. Or la dépendance pétrolière est telle, en ce début du XXIe siècle, qu’elle oblige les trois grandes puissances à coucher dans le même lit!

Dans quelle mesure ces trois puissances s’opposent-elles et dans quelle mesure peuvent-elles coopérer? À travers les trois parties, les auteurs démontrent que les trois pôles du triangle se retrouvent dans la même position que les puissances conservatrices du XIXe siècle face à la montée des révolutions libérales. Russie, Chine et États-Unis se préoccupent davantage de stabilité que de justice pour prospérer. Albert Legault montre en quoi la Russie est farouche et défensive mais, en même temps, pragmatique. Pour ce faire, il analyse les doctrines de sécurité russes, la situation énergétique du pays, ses déséquilibres commerciaux et ses dépendances énergétiques. Il apporte deux coups de projecteur très significatifs sur la Tchétchénie et sur la Géorgie. De son côté, Frédéric Bastien aborde une Amérique messianique mais inquiète. Il scrute la politique étrangère américaine au XXe siècle, puis il étudie la politique de sécurité nationale sous Bill Clinton avant de diagnostiquer le changement de doctrine avec George Bush après le 11 septembre 2001. Enfin, André Laliberté s’attarde sur une Chine montante et assurée. Il montre quels sont les éléments constitutifs de la doctrine de sécurité chinoise. Il observe la situation énergétique de ce pays, ainsi que l’influence de l’approvisionnement énergétique sur sa politique étrangère. Une étude de cas est consacrée au Sinkiang et à la lutte anti-terroriste.

Plusieurs critiques peuvent être apportées à ce petit livre. Premièrement, dans une vision un peu raccourcie, l’analyse ne porte que sur une sorte de triptyque «sécurité énergétique/lutte anti-terroriste/sécurité nationale». Or les relations entre ces trois pays ne reposent pas uniquement sur ces trois seuls ingrédients. Deuxièmement, l’Union Européenne, le Japon et l’Inde, autres partenaires de poids dans les relations internationales, sont quasiment passés sous silence, ce qui ne laisse pas de surprendre. Troisièmement, l’ouvrage donne une impression de collage de trois parties pratiquement autonomes. En outre, comme le laisse sous-entendre la fin de l’introduction, les trois parties ressemblent à des documents de synthèse et à des rapports d’étape d’un plus vaste projet de recherche. Ce sont tous ces éléments, ainsi que l’absence d’analyse géographique, qui limitent la portée de ce livre pour un lectorat de géographes.