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L’ouvrage dirigé par Étienne Berthold est élaboré à partir des États généraux du Vieux Québec, organisés en 2010. Par cette activité, le directeur souhaitait – comme le précise l’introduction – provoquer un débat entre les universitaires et les praticiens. Si nous adhérons à ce projet, et si nous en connaissons les difficultés de mise en oeuvre, le travail éditorial nous apparaît décevant. En effet, l’ouvrage est organisé en deux parties : la première rassemble les textes d’analyse, tandis que la seconde comprend « des portraits précis, des témoignages, parfois des prises de position fermes » (page 8). Mais la distinction ne s’impose pas d’emblée ; en effet cinq des six textes de la première partie s’appuient sur des démarches empiriques localisées dans un terrain non moins précis, et certains textes de la seconde partie sont bien des analyses. Surtout, la dualité ne rend pas compte des débats. Des témoignages, notamment celui de Pierluigi Tamburrini sur Venise, sont livrés tels quels sans aucune mise en perspective, alors qu’il s’agit clairement d’un manifeste, d’ailleurs intitulé « Venise en danger ». L’ouvrage, sans exposé des principaux débats, sans introductions intermédiaires, sans conclusion, nous laisse sur notre faim.

L’ensemble apporte cependant des éclairages très intéressants sur ces quartiers plus ou moins « touristifiés », ou soumis à la « touristification », processus par lequel le tourisme tend à devenir la fonction principale, voire exclusive. Cette évolution affecte essentiellement les centres historiques des villes touristiques, voire la ville dans sa totalité, ce qui est le cas de Venise. Ce processus induit des tensions. Les unes viennent de la difficulté, pour les habitants permanents, de vivre dans un quartier fortement marqué par les pratiques des touristes ; les autres de ce que la mise en tourisme induit des adaptations architecturales qui prennent des libertés avec des états antérieurs ; d’autres enfin de ce que le patrimoine des uns n’est pas nécessairement celui des autres. L’ensemble donne à réfléchir, mais plusieurs textes sont particulièrement intéressants car ils proposent des avancées réflexives. Amandine Chapuis et al. suggèrent de dépasser le dualisme touriste-habitant et proposent une typologie plus sophistiquée des « usagers », en fait de ceux qui accèdent au centre historique de Paris à la journée, terme peu élégant, mais n’est-il pas de même des touristes ? Anne Watrmez analyse finement les patrimoines : des experts, des touristes et des habitants. Mais sa représentation des touristes, censés suivre à la lettre les itinéraires préparés par les experts, mérite d’être davantage questionnée. Nathalie Lemarchand aborde le processus de touristification par l’appropriation progressive de l’espace par le commerce distractif. Tsouria Kassab, quant à elle, montre à propos d’Alger que si le tourisme a des effets négatifs, l’absence de tourisme est pire. En effet, par sa capacité de recyclage, le tourisme inspire les acteurs, mais cela signifie aussi leur mise à niveau, comme est nécessaire la transformation des bâtiments historiques dès lors qu’ils sont réhabilités pour un nouvel usage, administratif, culturel ou autre. Au-delà, il y a des transformations inspirées et d’autres qui ne le sont pas.