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Au cours des dernières années, de très nombreuses publications ont été consacrées à l’eau, cette ressource abondante et irremplaçable, mais menacée et inégalement répartie. Aussi, les hydrologues, les géographes, les environnementalistes, les économistes, les géopoliticiens et les juristes ont apporté divers éclairages à la connaissance d’un objet qui sollicite une approche multidisciplinaire.

C’est cette approche que nous propose Ajeagah Gideon Aghaindum dans son dernier ouvrage : Water as a weapon of international confrontations. La courte notice biographique, en quatrième page de couverture, nous informe d’ailleurs que l’auteur, attaché à l’Université de Yaoundé, détient un doctorat et plusieurs post-doctorats en biologie, en modélisation du cycle de l’eau et en génie environnemental. Il a publié auparavant Eco-autopsy of the Lake Nyos disaster in Cameroon, 30 years after calamity (2017) – lac de cratère volcanique qui, à la suite de son explosion en 1986, a libéré environ un kilomètre cube de dioxyde de carbone, laissant plus de 1700 morts.

Le titre lui-même du dernier essai de l’auteur peut paraître nous mettre sur la piste des conflits liés aux ressources en eau plutôt que sur celle d’un objet de coopération interétatique et intraétatique pour son utilisation responsable et équitable. D’ailleurs, les trois seuls chapitres de l’ouvrage sont intitulés respectivement Water as a weapon of peace, Water as a weapon of development et Water as a weapon of international cooperation. Il est tout aussi étonnant de constater que l’introduction générale ne compte pas moins de 77 pages sur un livre qui en contient à peine 209, conclusion, bibliographie et table des matières comprises.

Dès la première ligne, le ton est donné à l’ensemble : « If water is considered as life, can we really ascertain that life is water? » Et plus loin, cette citation de Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations Unies : « Fierce competition over water resources has prompted fears that water issues contain the seeds of violent conflict. If the entire world’s peoples work together, a secure and sustainable water future can be ours ».

Cette très longue introduction comprend une section malencontreusement intitulée Judiciary negotiations on water, dans laquelle le professeur Aghaindum fait observer à bon droit que de très nombreux traités ont été conclus entre États qui n’avaient pas nécessairement les meilleures relations diplomatiques. L’auteur en donne plusieurs exemples, dont ceux du Jourdain (Israël et Jordanie) et du Mékong (Cambodge, Laos, Thaïlande et Vietnam, qui ont coopéré tant bien que mal depuis 1957 dans le cadre de la Commission du bassin du Mékong, à laquelle se sont jointes plus tard la Chine et la Birmanie à titre de « partenaires de dialogue »).

Tout au long de l’ouvrage, l’auteur multiplie les études de cas, notamment sur les pays du bassin du Nil et ceux du Niger, et ne manque pas de souligner avec raison que bien des traités, s’ils ont quelque utilité, laissent voir à l’analyse leur faiblesse, dans la mesure où ils devraient être plus concrets, favoriser une meilleure coopération et contenir des mécanismes détaillés de résolution des conflits. L’auteur mentionne aussi la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation (adoptée en 1997 et entrée en vigueur en 2014) laquelle, dit-il, établit deux principes devant conduire les États : une utilisation « équitable et raisonnable » et l’obligation de prendre « toutes les mesures appropriées pour ne pas causer de dommages significatifs aux autres États du cours d’eau ». Pourtant, ce rappel est fort laconique, dans la mesure où, en dépit de ses lacunes, cette importante convention aurait mérité quelque développement.

Le professeur Aghaindum brosse des tableaux de plusieurs autres régions : lac Malawi, mer d’Aral, de nombreux fleuves (Sénégal, Congo, Zambèze, Limpopo, Gange, Danube). Les géographes trouveront ici d’intéressantes considérations relatives à ces cours d’eau, lesquels sont décrits systématiquement : importance du bassin versant, nombre de pays qui appartiennent à ce versant, principaux tributaires, variété des populations et des paysages qu’ils traversent, questions environnementales, modes d’utilisation de l’eau (y compris les aménagements hydroélectriques), deltas, le cas échéant, etc.

Pourtant, l’auteur aurait pu mieux exploiter la richesse de ces descriptions pour examiner les enjeux en présence et les règlements. Ainsi, il passe totalement sous silence la décision de la Cour internationale de Justice dans l’affaire du Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie / Slovaquie), selon laquelle, en 1997, la Hongrie a agi dans l’illégalité en suspendant puis en abandonnant la partie des travaux de barrage auxquels elle était tenue aux termes du traité qu’elle avait conclu avec la Tchécoslovaquie, en 1977. Une brève mention de cette affaire eût ajouté à la crédibilité de l’ouvrage, dans la mesure où l’auteur dit reconnaître l’importance de la résolution pacifique des différends en cette matière – le règlement par voie judiciaire étant, bien sûr, l’un des modes prévus expressément à l’article 33 de la Charte des Nations Unies. Aussi, l’auteur a manqué une occasion de critiquer le bien-fondé de ce jugement, tandis qu’il fait à bon droit observer que de nombreux traités consacrés à l’usage de l’eau sont insuffisants ou inefficaces.

Le traitement accordé au fleuve Indus constitue un autre exemple de l’ambivalence qu’on trouve dans ce livre. D’une part, l’auteur présente en quelques pages un tableau fort intéressant de l’enjeu de ce cours d’eau entre l’Inde et le Pakistan, et il fait une critique convaincante du traité de 1960 sur les eaux de l’Indus. D’autre part, il ignore l’arbitrage international concernant la réalisation d’un projet indien d’infrastructure hydro-électrique (Kishenganga Hydro Electric Power Project [KHEP]) situé sur un affluent de ce cours d’eau, la rivière Kishenganga. De 2011 à 2013, le tribunal a rendu quatre décisions dans lesquelles il observait que le traité avait été appliqué sans interruption durant plus de 50 ans en dépit des hostilités au Cachemire, tout en décidant que si l’Inde pouvait détourner des eaux de la rivière, elle était tenue d’y assurer un minimum de débit, prescrit par les arbitres (Indus Waters Kishenganga Arbitration [Pakistan v. India]) (PCA, 2013).

Si l’ensemble de l’ouvrage peut parfois laisser l’impression que l’auteur va dans toutes les directions (qui trop embrasse mal étreint), sa conclusion, fort convaincante, exprime quelques fortes idées maîtresses. L’un des plus grands défis du XXIe siècle est d’assurer une conservation et une exploitation rationnelle des ressources en eau dans le contexte d’une explosion démographique et du changement climatique, une telle gestion ayant un impact considérable sur la paix et la sécurité à tous les niveaux (national, régional et international). De plus, dans un monde où 90 % de la population vit dans des pays partageant l’eau, cette ressource doit être tenue et affirmée comme un droit humain universel et sa gestion doit être mené en coopération, versant par versant. Enfin, cette coopération entre pays d’un même versant ne peut être réalisée que par la création d’organismes et de règles guidant les leaders politiques, et cette coopération est la clé pour éradiquer la pauvreté et pour réaliser le développement durable de l’économie et la construction de la paix.