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Le monde se transforme avec l’avènement d’une mondialisation annoncée, aux contours souvent flous, mais qui altère les frontières, modifie les rapports qu’entretiennent des sociétés avec leur territoire, gonfle les flux de toutes sortes, favorise autant les clivages que les rapprochements régionaux. La géopolitique permet-elle encore de comprendre le monde ? Ainsi s’interrogeait notamment la Revue de Politique Française en 2000. Non pas que le monde soit désormais inintelligible, mais la rapidité de ses mutations permet de poser la question de la pertinence de nos grilles d’analyse.

À l’instar de toute discipline des sciences humaines, la géopolitique ne peut prétendre expliquer le monde. Définie de façon empirique dans ses méthodes, afin d’étudier les rivalités de pouvoir sur des territoires entre différents groupes d’acteurs, elle ne saurait élaborer une quelconque théorie générale et prédictive des relations entre les êtres humains, leur milieu et l’histoire. Ce caractère pragmatique, empirique, alimenté d’enquêtes de terrain, n’invalide toutefois en rien le caractère explicatif de la démarche géopolitique, bien au contraire, car elle permet d’intégrer de nombreux angles d’approche dans le cadre d’une analyse multidisciplinaire, mariant les géographies physique et humaine, tout en rassemblant géographie, sociologie, sciences politiques, histoire, anthropologie. Ce sont les resources de cette géopolitique que nous mobilisons actuellement pour étudier trois enjeux importants : les impacts des changements climatiques sur la navigation nord-américaine, la gestion de l’eau et la dynamique des frontières dans un contexte de recomposition territoirale des États.

Changements climatiques et géopolitiques de l’Arctique

Au cours des dernières années, les changements climatiques ont commencé à marquer le visage de la planète. Un changement majeur est très certainement dans l’Arctique la fonte des glaces et leur retrait depuis une dizaine d’années, que ce soit dans l’archipel canadien ou au nord de la Sibérie russe. Cette fonte des glaces laisse entrevoir la possibilité de l’ouverture des passages du Nord-Ouest et du Nord-Est entre l’Atlantique et l’Asie. Routes beaucoup plus courtes que par Suez ou Panama, elles offriraient des possibilités commerciales et industrielles notables, tout en permettant l’exploitation de gisements considérables de pétrole et de minerais. Cependant, ces routes constituent aussi des enjeux stratégiques majeurs pour le Canada et les États-Unis. Pour ces derniers, la liberté de navigation de la marine américaine est fondamentale ; pour le Canada, les eaux des détroits arctiques font partie des eaux intérieures, relèvent de leur seule souveraineté et ne seraient pas soumis aux droits de passage inoffensif et de transit. La pression américaine, modérée jusqu’à présent, se fera-t-elle plus précise alors que les changements climatiques modifient le portrait géopolitique de la région ?

Des changements climatiques majeurs

Il est vrai qu’une incertitude demeure sur la pérennité du phénomène et sur sa vitesse réelle. In n’en demeure pas moins que, globalement, les scientifiques sont d’accord sur ce point : avec les changements climatiques, la banquise permanente de l’océan Arctique, du moins dans le secteur de l’archipel canadien, devrait disparaître d’ici vingt ans environ. Seule subsisterait une banquise d’hiver, dont l’étendue et le calendrier demeurent encore inconnus. Depuis 1960, la surface globale de la banquise permanente a diminué de 14 %, et de 6 % depuis 1978 ; son épaisseur s’est réduite de 42 % depuis 1958. À Iqaluit, la capitale du Nunavut (Canada), les glaces disparaissent de plus en plus tôt, allongeant désormais la saison navigable de deux mois et demi à plus de trois mois. Les pilotes des brise-glace canadiens confirment ces observations empiriques d’une réduction drastique de la couverture de glace des eaux en été (Lasserre, 2001 : 148). À Churchill, dans la baie d’Hudson, l’embâcle, habituelle à la fin d’octobre, ne se produit plus aujourd’hui que vers la mi-novembre, allongeant d’autant la saison navigable. Les autorités de ce port ont déjà investi plus de 25 millions de dollars pour moderniser les infrastructures afin d’accueillir le trafic supplémentaire (Christian Science Monitor, 7 juin 2000). Dans l’Arctique russe, la saison de navigation d’été avec une escorte minimale ou nulle, traditionnellement de juillet à octobre, s’étend de plus en plus souvent au mois de novembre, voire au début décembre [1].

Tableau 1

Distances entre ports (km) selon la route maritime

Itinéraire

Londres - Yokohama

New York - Yokohama

Hambourg - Vancouver

Panama

23 300

18 560

17 310

Suez et Malacca

21 200

25 120

29 880

Cap Horn

32 289

31 639

27 200

Passage du Nord‑Ouest

15 930

15 220

14 970

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Des enjeux commerciaux et miniers

Cette nouvelle donne climatique a d’importantes répercussions sur le passage du Nord-Ouest, notamment en regard de la navigation commerciale. Jusqu’à tout récemment, les rigueurs polaires fermaient cette route à tout trafic commercial. Si les glaces d’été disparaissent au cours des prochaines années, cette route maritime deviendra praticable pendant plusieurs mois, et permettra de réduire de façon considérable la distance entre l’Europe et l’Asie par rapport au trajet du canal de Panama, avec une réduction majeure des coûts associés au transport maritime.

Par le passage du Nord-Ouest, le trajet entre Londres et Tokyo n’est plus que de 15 700 kilomètres, contre 23 300 par Panama et 21 200 par Suez, la principale route entre l’Europe et l’Asie, ce qui présente une route plus courte de 5500 km (2 %). De plus, à la différence de Suez, et surtout de Panama, le passage du Nord-Ouest n’impose aucune limite de gabarit ni de tirant d’eau aux navires. Avec la fonte de la banquise arctique canadienne, il est possible que cette route devienne, à moyen terme, un chemin très fréquenté pour relier l’Europe à l’Asie. Grâce à la baisse des coûts des technologies de construction navale comme la double coque renforcée, il est possible pour des cargos de naviguer dans des eaux où flotte une banquise résiduelle.

Un autre des intérêts majeurs de la région de l’archipel arctique canadien est celui des ressources naturelles qu’elle renferme : pétrole, gaz naturel, plomb, zinc, or, diamants, tungstène, uranium et argent. Un important effort de prospection a été entrepris par les gouvernements canadien et du Nunavut. Aujourd’hui, tant la confirmation de l’existence de ces gisements prometteurs d’hydrocarbures et de minerais dans l’Arctique canadien, que la conjoncture de retraite des glaces, suscitent l’intérêt actif d’Ottawa comme du secteur privé. Des projets de construction de ports en eau profonde sont envisagés à Kugluktuk (ex-Coppermine Bay), sur le détroit Union, ainsi qu’à Bathurst Inlet : leur conception est directement reliée aux nouveaux projets miniers ainsi qu’à la perspective de navigation plus libre sur un passage du Nord-Ouest moins englacé, navigation qui permettra d’exploiter et de rentabiliser des investissements miniers.

Vers une remise en cause de la souveraineté canadienne ?

Corollaire de l’ouverture possible du passage du Nord-Ouest, la souveraineté canadienne sur ces eaux pourrait à nouveau être remise en cause par Washington. Ce n’est pas sur le territoire des îles de l’archipel que porte le différend : la souveraineté canadienne semble y être bel et bien acquise. Par contre, en ce qui concerne les espaces maritimes, le Canada affirme que le passage du Nord-Ouest relève des eaux intérieures canadiennes et que, de ce fait, le Canada peut exercer son contrôle sur toute activité dans ce secteur. Afin d’appuyer sa position, le Canada a adopté une ligne de base qui englobe l’ensemble de l’archipel arctique, ligne de base qui transforme les eaux en deçà de son tracé en eaux intérieures, selon la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.

Or la position canadienne est réfutée par les États-Unis et l’Union européenne, qui affirment que le tracé des lignes de base est invalide, et que le passage du Nord-Ouest serait plutôt un détroit international, dans lequel s’applique la liberté de passage. Si le passage du Nord-Ouest est reconnu comme un détroit international, alors le Canada ne peut plus prétendre à un contrôle unilatéral et exclusif sur le transport maritime dans la région. Le libre passage des navires deviendrait donc la norme et le Canada ne pourrait plus empêcher la circulation de navires dans cette région.

En août 1985, un brise-glace américain, le Polar Sea, avait traversé l’archipel arctique par le passage du Nord-Ouest sans en demander l’autorisation au gouvernement canadien. À la suite de l’incident, Washington et Ottawa étaient convenus… de demeurer poliment en désaccord, faute d’enjeu pratique réel à l’époque. Mais, avec la fonte des glaces, l’ouverture du Passage pourrait radicalement changer les perspectives pour les Américains. En effet, outre l’avènement possible d’une importante route commerciale maritime et la mise en valeur du potentiel minier du Grand Nord, l’ouverture du passage du Nord-Ouest permettrait la desserte aisée de bases de lancement de missiles dans le cadre du programme de défense antimissiles. Un passage du Nord-Ouest libre de glace déclencherait probablement une remise en cause de la souveraineté canadienne sur les détroits arctiques.

Comme on le constate, l’étude des impacts des changements climatiques sur la navigation dans l’Arctique exige la pertinence d’une approche multidisciplinaire, mariant géographie physique (changements climatiques; évolution de la banquise ; courants marins et dérive des icebergs), géographie politique à plusieurs échelles, sciences politiques, droit international, études de défense, dans une perspective diachronique, afin de saisir l’ensemble des enjeux et des projets des différents acteurs.

La gestion de l’eau : le défi du XXIe siècle

Guerres de l’eau, rareté de l’eau, gestion de l’eau : qu’il s’agisse de consommation individuelle ou d’usage agricole, qu’elle soit destinée à un usage industriel ou de loisir, l’eau est devenue l’objet de vives convoitises et de débats tendus quant aux modalités de son partage et de sa distribution, entre États bien sûr, mais aussi au sein même de ceux-ci, entre les différents groupes d’usagers, les villes, les industries, secteurs agricoles. La question, d’abord de l’accès à l’eau considérée comme une ressource essentielle, puis du partage de l’eau pour les autres usages, et enfin, surtout, de la conflictualité d’un partage de plus en plus difficile, a pris récemment le devant de la scène.

L’eau sera-t-elle effectivement l’enjeu des conflits du XXIe siècle, comme on l’annonce dans de nombreux médias ? Au-delà des formules dramatiques, on peut se demander pourquoi l’eau est devenue aujourd’hui objet de discours belliqueux, de projets grandioses de privatisation ou de transferts massifs, alors même qu’elle n’est pas rare à l’échelle du globe ? Faut-il prêter attention aux prédictions alarmistes de certains analystes qui annoncent la multiplication des crises et des conflits, parfois violents, dans de nombreuses régions du globe, dont l’ouest des États-Unis, la Chine, l’Éthiopie, et même des régions pourtant à priori plus humides comme les prairies canadiennes, la Thaïlande, l’Espagne ou le sud de la Grande-Bretagne ? Ou ne faut-il voir dans ces discours qu’une version moderne des peurs millénaristes, que des solutions modernes comme des technologies plus adaptées ou la mise en place de mécanismes de marché pourront résoudre prochainement ?

La crise actuelle est bien plus une crise de la répartition, de la distribution de cette eau et des choix relatifs à l’usage de cette eau, qu’une question de rareté réelle. Comment les mécanismes mis en place à travers l’histoire par les sociétés humaines pour distribuer cette eau peuvent-ils se gripper aujourd’hui ? Quels sont les mécanismes politiques qui pourraient conduire à l’émergence d’un conflit sur le partage de ressources en eau ? A contrario, quelles solutions sont envisageables pour favoriser la nécessaire coopération dans ce domaine ?

Cet axe de recherche a permis, grâce à des analyses multiscalaires et multidisciplinaires, de faire ressortir plusieurs facteurs explicatifs. D’une part, la rapide croissance de la population au cours du XXe siècle a largement contribué à stimuler une hausse des usages de l’eau, essentiellement pour la production agricole, d’autant que la Révolution verte, lancée dans les années 1960, passait par l’extension des surfaces irriguées. Mais si la population a triplé au XXe siècle, la demande en eau a été multipliée par six. L’accroissement démographique, de même que les hausses du niveau de vie et l’urbanisation induisent de très fortes pressions sur le secteur agricole. Il faut produire plus pour nourrir l’humanité ; il faut produire en quantités industrielles pour satisfaire les besoins d’une société plus riche, où l’alimentation est davantage sophistiquée et où la viande prend plus de place. D’autre part, l’urbanisation et l’industrialisation induisent aussi des changements dans la structure de consommation de l’eau au sein de chaque société. Longtemps prépondérants, les usages agricoles sont aujourd’hui souvent remis en cause par les villes et des industries qui font valoir la plus grande valeur socioéconomique de leurs usages de la ressource.

La question technique de l’approvisionnement en eau (construction et entretien des réseaux et des réservoirs qui les alimentent) se double par ailleurs d’un problème financier (comment payer de tels travaux ?) et politique (où aller chercher de tels volumes d’eau ?). Des tensions entre ville et campagne résultent ainsi de cette soif des grandes villes, comme en témoignent les conflits entre Los Angeles et la vallée d’Owens ; les tensions entre Las Vegas et sa périphérie, entre Mexico et les États de la région. Alger, la plus grande agglomération d’Algérie avec trois millions d’habitants, voisine avec la plaine agricole irriguée de la Mitidja. Malgré les pompages et les barrages, la ville manque d’eau et accapare peu à peu celles de la Mitidja. Les pouvoirs publics algériens ont donc été amenés à faire venir l’eau des montagnes de Kabylie, à l’est. On voit ainsi s’établir une compétition à la fois spatiale et sectorielle pour le contrôle de l’eau.

La structure du secteur agro-alimentaire a changé aussi. L’avènement de l’agriculture de rente a bouleversé la structure des prélèvements en eau pour l’agriculture, car agriculteur y a cédé la place à un exploitant dont l’objectif est la rentabilisation maximale et rapide de son investissement. À une préoccupation exprimée en termes de quantités produites, s’est substituée une logique financière dont l’impact sur les quantités demandées est énorme, car l’exploitant cherche à augmenter sa production en recourant à une irrigation autrefois inconnue sous des latitudes tempérées. L’endettement des exploitants renforce cette tendance à surconsommer une eau perçue comme une protection contre l’aléa climatique.

Sur le registre politique, de nombreux États restent sensibles au dogme de l’autosuffisance alimentaire, par crainte de la vulnérabilité que pourrait signifier tout embargo sur leurs importations. L’usage de cette arme commerciale par les États-Unis au cours du XXe siècle alimente cette représentation politique. De plus, le maintien d’un important secteur agricole emploie une part notable de la population active, laquelle, autrement, quitterait la campagne pour des villes engorgées où le mécontentement dû au chômage serait source d’instabilité politique. La quête d’autosuffisance alimentaire est donc à usage interne autant qu’externe. Elle se traduit par la multiplication des grands ouvrages hydrauliques et des projets de transferts massifs interbassins destinés à accroître les surfaces irriguées, mais aussi, corollaire logique, par l’augmentation du nombre de litiges entre États au sein du bassin versant, portant sur le partage d’une ressource fixe dont les usages augmentent rapidement.

D’un autre côté, on ne saurait nier que les calculs géopolitiques et les représentations influencent grandement les politiques des gouvernements en matière de gestion de l’eau. Ainsi, en Israël, le maintien d’un secteur agricole efficace, certes grâce à des innovations technologiques importantes (recyclage de l’eau urbaine, goutte à goutte, etc.) mais néanmoins glouton en eau, s’explique en bonne partie par le souci d’occuper, d’utiliser la terre dans une logique de compétition spatiale avec les Palestiniens. Il s’explique aussi par le mythe du colon bâtisseur d’un nouvel Israël par le travail de la terre, représentation encore vivante même si l’attrait symbolique du kibboutz s’est fané. En Égypte, l’idée de permettre à l’Éthiopie, située en amont, de puiser abondamment dans les eaux du Nil bleu heurte doublement, d’abord en faisant écho à la crainte d’une dépendance agricole, ensuite parce que l’idée que l’eau du Nil appartient à l’Égypte est profondément ancrée dans les représentations historiques des dirigeants égyptiens.

Ces éléments de problématique font ressortir la complexité des facteurs qui entrent en jeu dans les questions de partage et de gestion de l’eau : facteurs économiques, sociaux, politiques; acteurs multiples ; poids des représentations. Ils justifient également la nécessité d’aborder ces problématiques selon une approche multiscalaire : besoins locaux, régionaux ; insertions des territoires et des acteurs considérés dans un espace national et mondial.

Frontières et recompositions territoriales de l’État

Les phénomènes frontaliers constituent un autre domaine particulièrement fertile pour l’analyse géopolitique. Qu’il s’agisse du concept, erroné mais politiquement très répandu, de frontière artificielle, communément employé pour décrire de façon lapidaire les frontières des républiques ex-soviétiques d’Asie centrale ou encore des frontières africaines issues de la colonisation ; qu’il s’agisse de la construction de structures publiques transfrontalières en Europe, que favorise l’expansion européenne [2]  ; ou encore de phénomènes liés à une emprise politique fragile des États sur leur territoire dans des conditions de marginalité, comme dans le Triangle d’Or ou dans l’est congolais à la frontière rwandaise : on observe que la recomposition de ces espaces frontaliers, où les frontières ont changé de statut et de fonction, se traduit aussi par l’apparition de modes de gouvernance très particuliers des espaces frontaliers. Ces modes s’opposent à la conception classique d’un État, seul dépositaire de l’autorité politique sur un territoire donné, défini de façon précise par une frontière conçue comme une ligne continue et précisément délimitée. Or la frontière peut redevenir, comme dans leur conception sud-est asiatique pré-coloniale, une zone floue plus ou moins définie, zone dans laquelle se développent des légitimités politiques autres que celle de l’État. Ces zones peuvent aussi être l’objet de logiques de gestion de l’espace très diverses, où l’espace peut n’être perçu que comme porteur de ressources naturelles à piller, mais où la gestion de l’espace par certains acteurs peut évoluer de l’exploitation des ressources destinée à financer un effort de guerre, vers une représentation de l’espace comme simple support d’une activité économique. Ainsi, dans le Triangle d’Or comme dans l’est du Congo, certains acteurs, motivés initialement par des volontés autonomistes (Shans de Birmanie) ou sécuritaire (armée rwandaise au Congo pourchassant les milices du génocide de 1994), avaient développé un rapport à l’espace dans lequel celui-ci pouvait être compris comme une marche, une zone marginale. Par la suite, cette représentation a évolué vers une perception de ce même espace essentiellement centré sur sa valeur économique, d’où le pillage des ressources en diamants et en coltan du Congo, et la transformation des milices ethniques birmanes en armées privées vivant du narcotrafic.

Conclusion

Ces recherches font ressortir, ici encore, la complexité des jeux d’acteurs, lesquels évoluent avec le temps selon les représentations de ceux-ci, mais aussi en fonction des changements de leur environnement à différentes échelles. Elles soulignent l’intérêt d’une approche diachronique et multidisciplinaire, mais surtout de la nécessité de mesurer l’imbrication des différentes échelles d’analyse. Le monde est globalisé, mais cette mondialisation se traduit différemment selon les phénomènes, selon les acteurs, selon les enjeux qui s’y développent.

La complexité que ces trois exemples souligne n’invalide en rien la pertinence et la cohérence de la démarche géopolitique. En effet, si cette complexité et cette diversité sont bien réelles, à travers la multitude des combinaisons possibles et le caractère unique de chacune d’elle, il n’en demeure pas moins vrai que l’objet d’étude demeure dans tous les cas l’équation entre rivalités de pouvoir et territoires. À travers une approche multiscalaire, multidisciplinaire où plusieurs acteurs sont considérés dans leurs stratégies et leurs représentations, la géopolitique présente un outil d’analyse précis et utile pour transcender cette complexité et proposer des grilles de lecture des enjeux de pouvoir sur des territoires, qu’il s’agisse de l’échelle locale ou mondiale, et qu’il s’agisse d’acteurs comme des États, des groupes sociaux, des entreprises, des groupes de pression, des pouvoirs publics locaux. Par cette approche méthodologique et la prise en compte des enjeux politiques, la géographie se dote d’un nouvel atout pour produire des analyses pertinentes lui permettant de comprendre des situations géopolitiques complexes : elle est donc, là encore, une science moderne et en phase avec les transformations du monde contemporain.