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Cet ouvrage rassemble des contributions très hétéroclites par leur forme et leur contenu sur l’imaginaire racial et sa réception par les sociétés, lesquelles ont pu sur ces bases construire des logiques de ségrégation au long cours et instaurer leurs mythes fondateurs. Aussi, la diversité de l’appréhension des auteurs de la thématique se révèle sous différents angles : par la manière dont la « race » a pu structurer la pensée d’hommes influents (tels que William Bagehot dont l’héritage controversé de son évolutionnisme sociologique est représentatif de l’ère victorienne), la trame narrative d’écrivains (comme Doris Lessing dont l’expérience au Zimbabwe montre l’incapacité de faire fi du paradigme racial après l’indépendance) ou la manière de s’approprier des espaces-temps particuliers (tel le carnaval de la Nouvelle-Orléans qui permet la mise en scène des identités raciales, zulu, indienne, latino…).

L’espace géographique couvert par l’ouvrage est étendu. Nous passons par l’Afrique du Sud, où Le Poullennec revient sur le récent massacre de Marikana pour expliquer dans deux documentaires qu’on ne peut plus lire le système politique et son fonctionnement à partir de la seule « faille opposant passé d’apartheid et présent démocratique ». Carpentier étudie quant à lui le retour du refoulé, par la confrontation de deux mémoires, celle de l’esclavage et celle de la discrimination raciale. L’enjeu identitaire s’avère de première importance pour être reconnu et potentiellement compensé, alors même que cela semble en contradiction avec ce qui était dénoncé sous l’apartheid (en d’autres mots, la réification identitaire). L’analyse par Teuilé des cartes postales représentant le peuple zoulou, au-delà de l’attrait pour l’exotisme dont témoignent ces cartes, montre la manière dont elles diffusaient les préjugés racistes et peuvent les perpétuer, si elles sont publiées sans être accompagnées d’une lecture ethnologique. La vision de l’Inde est étudiée à travers les yeux de Duff, missionnaire écossais qui, confronté au système des castes et à l’hindouisme, élabora un enseignement chrétien. La Grande-Bretagne apparaît par les enjeux de sélection canine (dans la mesure où l’on prête aux chiens des caractéristiques humaines à valoriser) auxquels est associée une analyse des poèmes animaliers écrits sous l’époque victorienne, ainsi qu’à travers les tensions quant au traitement de la délinquance juvénile (régime carcéral punitif permettant un « châtiment exemplaire », instruction ou mise à l’épreuve). Aux États-Unis, le prisme racial est illustré en trois déclinaisons : la manière dont les médecins racistes appréhendent la folie chez les Afro-américains et l’évolution de leur prise en charge (Grossi), le carnaval de la Nouvelle-Orléans (Godet) et l’émergence de l’identité « Juif arabe » (Malinovitch). Concept culturel et historique, cette acception a créé une certaine polémique, notamment dans les milieux juifs américains, en lien plus ou moins étroit avec les événements du Moyen-Orient.

L’hétérogénéité des articles, qui aurait pu être une richesse, devient vite un défaut quand aucun des textes ne renvoie à l’autre, quand aucune unité ne peut être dégagée pour réellement permettre de prendre conscience des oppositions identitaires fondées sur l’imaginaire des races dans le monde anglo-saxon. Même Prum, dans son introduction, peine à nous donner les clés de cette réflexion plurielle et des apports des uns et des autres à une analyse globale. Ce travail nous permet tout de même de dégager le fait que les préjugés sur la « race » ont longue vie et ont pu profondément imprégner la lecture des territoires, structurer les rapports entre les peuples (colonisateurs / colonisés notamment) et justifier la mise en place de systèmes politiques, d’éducation, d’incarcération… Il est donc nécessaire de pouvoir décrypter ces imaginaires, ce qu’ils véhiculent encore aujourd’hui, pour être en capacité de comprendre certaines sociétés.