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On a un peu laissé en plan l’adaptation aux changements climatiques dans le débat sur la politique du climat. Ce débat a beaucoup porté sur les mesures d’atténuation, sur la manière de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le Protocole de Kyoto s’est fait le champion de cette approche, même s’il n’a pas connu le succès escompté. Et pourtant, dès la rédaction de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, l’adaptation à un climat se réchauffant était très clairement envisagée. Il est apparu avec le temps que, même si l’atténuation est une première voie d’adaptation, elle est loin d’être suffisante. Il faut des politiques, des actions et des interventions qui ciblent directement les vulnérabilités et l’adaptation.

Les deux directeurs de la publication ont réuni des textes qui abordent la question sous l’angle de l’aménagement du territoire. Ils ont eu raison de faire ce choix, car les effets d’un réchauffement climatique se feront sentir sur les territoires et sur des environnements locaux et régionaux. On a souvent mis l’accent sur des mesures économiques, individuelles et collectives, dans l’adaptation au climat, les assurances jouant un rôle primordial. Or, quand il s’agit de gestion des territoires, les assurances ne suffisent plus. Il faut des mesures et des politiques plus concertées qui visent spécifiquement l’aménagement des territoires. Sur quoi, sur quelles expériences peut-on fonder ces actions ? Les auteurs présentent deux types d’expérience : des interventions historiques et des interventions récentes, divisant ainsi l’ouvrage en deux parties distinctes.

La partie historique présente des cas où il est question de l’adaptation de populations transplantées dans des climats nouveaux pour elles. Un chapitre général définit les enjeux d’adaptation aux climats tropicaux. L’auteur apporte des distinctions intéressantes entre acclimatation, adaptation et autres termes qui s’en approchent. Ce n’est que très graduellement que le terme adaptation s’impose. L’auteur montre que deux grandes voies d’intervention ont été choisies : la santé publique et l’aménagement du territoire. Des mesures d’hygiène personnelle et d’hygiène publique ont été définies, proposées et mises en oeuvre, jumelées souvent à des interventions territoriales. La suite de cette partie historique se penche sur des cas particuliers, principalement au Brésil, pays très bien représenté dans l’ensemble de l’ouvrage, mais aussi sur des régions où le peuplement et la colonisation française se sont produits : la Guyane et la région sahélienne. Dans chaque cas, des actions et des interventions spécifiques ont fait l’objet de débats, d’expérimentations et de choix de mesures publiques. Mais, comme le montre l’exemple du Brésil, l’adaptation au climat tropical peut s’insérer dans une politique plus large. En effet, l’évolution de la politique de préservation du patrimoine naturel et culturel du Brésil est très intimement liée à l’évolution du pays et à sa volonté d’affirmer son autonomie et sa modernité. L’auteur montre que certains choix, notamment en matière de patrimoine culturel et architectural, ont été faits et justifiés au nom d’une idéologie moderniste.

La deuxième partie porte sur des expériences d’adaptation récentes. Le chapitre sur l’aménagement spatial aux Pays-Bas montre avec force ce qu’on est prêt à faire pour s’adapter à un climat plus chaud dont les incidences en matière de gestion de l’eau sont évidentes dans un pays aux prises avec des eaux capricieuses. Mais les Pays-Bas peuvent miser sur une longue expérience historique pour affronter les défis que leur pose l’eau. S’attendant à des inondations plus fréquentes et plus fortes, l’action publique s’est redéfinie et a même revu des aménagements passés, moins bien adaptés aux nouvelles conditions climatiques et aquatiques. Par exemple, l’auteur analyse une vaste intervention de « dépoldarisation » visant à mieux absorber les crues d’eau et à réduire les vulnérabilités physiques et sociales.

D’autres études de cas, menées en milieu semi-aride brésilien, en Colombie, au Japon et dans les Landes de Gascogne, sont toutes instructives sur les enjeux aménagistes découlant des changements climatiques. L’exemple de la forêt des Landes de Gascogne, malmenée par des événements extrêmes de vent, fait apparaître, après débat, des solutions originales qui remettent en cause les aménagements précédents. En effet, dans un souci de s’adapter à ces événements, la politique de la culture intensive et exclusive d’arbres sélectionnés a cédé le pas à une politique plus variée, plus écosystémique, du territoire des Landes. Il est intéressant d’observer le rôle qu’ont joué différents savoirs experts et représentations sociales dans la construction de cette nouvelle politique.

Le dernier chapitre est une réflexion sur l’acceptabilité sociale, fondée sur des enquêtes et des expériences de terrain menées par les trois auteurs au Québec et en France. L’acceptabilité sociale est définie comme un processus qui peut aussi conduire à l’effet contraire. Au lieu de susciter l’acceptation d’un projet, c’est l’inverse qui se produit : le projet est refusé, et souvent pour des raisons défendables. À l’acceptabilité sociale correspond la « réfutabilité » sociale, processus social inverse que la recherche doit tenter de comprendre. Les auteurs ne mettent pas suffisamment en évidence cette possibilité, même si elle n’est pas entièrement exclue de leur réflexion.

Les deux directeurs de la publication ont mis en commun des études pertinentes. Ils ont introduit le sujet et justifié leur point de vue. L’adaptation « au changement climatique » – contrairement à la Convention-cadre sur les changements climatiques, ils préfèrent utiliser le singulier plutôt que le pluriel – force à revoir les pratiques et les conceptions en aménagement du territoire et, de manière plus large, les rapports humains à la nature. La pensée et les politiques aménagistes sont aux prises avec des enjeux différents qui ne sont plus uniquement de l’ordre des politiques modernistes ayant longtemps dominé. L’adaptation des politiques et des pratiques d’aménagement au nouveau contexte climatique n’a pas changé de fond en comble les conceptions sur la place des êtres humains dans la nature. Les pratiques aménagistes rapportées dans les études de cas participent à la construction d’une modernité écologique selon une thèse défendue en sociologie, mais ne remettent pas en cause, comme certains le voudraient, les rapports modernes à la nature.