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Dresser un portrait de l’importance de l’eau dans l’art contemporain, c’est ce que le livre de Patrik Marty a fait avec brio. Une analyse en six tableaux où le rapport de l’artiste avec l’eau est exploré. L’eau dans l’expression artistique et esthétique des courants de l’art contemporain à travers des artistes emblématiques, dont Bill Viola. Les amateurs d’histoire de l’art apprécieront très certainement l’entrée en matière par une analyse fort intéressante de l’oeuvre de Viola. En préface, Bernard Lafargue indique : « Bill Viola est l’artiste emblématique du courant de la spiritualité de l’eau. » Pour avoir suivi un peu l’artiste dans un certain nombre d’expositions, je suis à même d’apprécier le caractère très approfondi de l’analyse de Marty sur l’oeuvre de Viola. C’est une entrée en matière d’autant plus intéressante qu’elle nous permet de mieux comprendre le rapport de l’artiste avec l’eau et de cheminer par la suite dans les cinq tableaux qui suivront, à travers ce parcours à la fois temporel et spatial du rapport entre l’eau et l’art contemporain.

Dans ce parcours de près de 300 pages, l’auteur présente les oeuvres d’artistes contemporains tels Pekka Kainuliainen, Susana Majuri, Carlotta Brunetti, Daniel Buren, Charles Daudelin, Armand Vaillancourt, Basis Irland, Ichi Ikeda, Antti Laitinen, Jean Max Llorca et Zena Holloway, pour ne citer que ceux-ci, afin de brosser un tableau des différents rapports que peuvent entretenir les artistes avec l’eau. C’est aussi à travers des dimensions à la fois géographiques et géopolitiques qu’est présenté le rapport des artistes à l’eau dans leur oeuvre. Le rapport de l’eau avec le territoire est aussi analysé.

Pour Marty, « [l]a problématique de l’Eau de l’Art réside dans cette interdépendance de la phénoménologie de nos différentes cultures avec l’eau, au travers de l’expression artistique, et donc à la lumière d’une esthétique écosophique » (p. 16). Ainsi, en introduisant les mythes et symboles de l’eau, Marty positionne l’eau dans sa valeur anthropologique et historique. C’est également à partir d’un regard sur l’eau dans l’histoire de l’art qu’il introduit le concept de l’eau écosophique en association avec le courant de l’écologie profonde (Deep Ecology) (Naess, 2008). Du nord au sud en passant par les milieux forestiers, les zones désertiques, les régions nordiques et le monde urbain, Marty présente différentes facettes de l’eau telles qu’abordées et examinées par les artistes. Ce livre montre comment ceux-ci rendent compte, dans leurs oeuvres, à la fois de leur réalité et de leur approche intime dans la manière de traiter l’eau, et cela, en lien avec les pressions sociales, les avancées technologiques, son corolaire écologique et géopolitique, son esthétisme et, finalement, son pouvoir ludique et sensoriel.

C’est aussi le rapport de l’entité nature dans l’art contemporain que Marty a voulu faire ressortir. Dans son analyse, il présente les différents courants et modes d’expression artistique de l’art contemporain, que ce soit dans l’art performance le land art ou l’expression des plasticiens, des sculpteurs, des peintres et des artistes des arts visuels et du numérique. C’est à travers les dimensions éphémères et permanentes d’une oeuvre que l’auteur renforce le discours des artistes, tout comme le sien propre, pour la défense de la nature et la promotion d’une esthétique écosophique en art. Son livre est un regard géoartistique sur l’eau à travers le temps et l’espace. Les dimensions et les valeurs patrimoniales de l’eau y sont bien défendues.

Pour reprendre les mots de Marty, au chapitre III, section 3.5, « l’eau [est] marqueuse d’identité, marqueuse de mémoire ». Eh bien, il a su, dans son analyse, montrer le rôle et l’importance de l’expression artistique dans l’art contemporain en matière d’environnement et présenter un mouvement artistique qui milite pour la protection de la ressource « eau ». En terminant, je vous laisse sur un passage tiré du livre (p. 251) : « L’eau est devenue un des éléments fédérateurs, car si elle est la mémoire de ce monde passé, elle reste toujours notre devenir et le terreau de notre imagination, à condition de ne pas la considérer comme un simple produit négligeable et exploitable à souhait. »