Thème 7 - La géographie des nouvelles territorialités

De la surface aux réseauxNouvelles spatialités du polar montréalais[Notice]

  • Pierre-Mathieu Le Bel

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Sur la page couverture du premier tome du Bien des autres (figure 1), le polar de Jean-Jacques Pelletier (2001), on voit une carte représentant le nord-est de l’Amérique du Nord. Il s’agit d’une carte toute simple où n’apparaissent pas les frontières. Communiquer au lecteur où commencent l’Ontario et les États-Unis n’était pas l’objectif du cartographe. Sur ce Québec grossièrement défini s’étend l’ombre d’une main qui présage des luttes géopolitiques à venir au fil des 800 prochaines pages. Cette ombre semble laisser supposer la présence d’une entité lointaine aux prétentions planétaires. La couverture du second tome nous laisse voir, en plus d’une carte, l’image de manifestants à la cause inconnue et, du coup, les luttes internationales se trouvent liées aux manifestations locales des antagonismes. On le devine, les lieux du crime de ce polar ne sont pas confinés au même endroit. Le présent texte a pour but de montrer ce que la géographie littéraire, ici celle du roman policier auquel Montréal sert de scène, peut apporter au discours de la géographie urbaine et à la réflexion portant sur la métropole québécoise. Nous verrons que les protagonistes, à travers leurs façons de concevoir, de vivre leur espace, peuvent alimenter la réflexion sur la ville et compléter ainsi un travail de conceptualisation d’un monde urbain jusqu’ici surtout tourné vers les questions de politique, d’économie et de sociologie. Peu de géographes se sont intéressés à l’espace montréalais tel que porté par des oeuvres littéraires et aucun ne l’a fait par l’entremise du roman policier. Dans ce domaine, on ne peut compter que sur Pierre Deslauriers (1994) qui faisait ressortir les territoires francophones et anglophones de Montréal séparés par la zone de la Main, et sur Marc Vachon (2003) qui s’est intéressé à Patrick Straram et aux mouvements d’avant-garde de la contre-culture québécoise des années 1960. Chez les littéraires, on a été plus nombreux à s’intéresser à la question spatiale, sans toutefois parler de polar. Par exemple, LaRue et Chassay (1989), dans leurs Promenades littéraires dans Montréal, ont porté une attention particulière à différents thèmes dont plusieurs sont des lieux, un souci bien proche de celui du géographe, mais sans en utiliser les concepts. Si dans ces études, le polar est absent, c’est sans doute un peu parce que le roman policier est souvent considéré comme un genre mineur quand on le compare à la grande littérature. À ce propos, Norbert Spehner, un littéraire, s’est penché sur le sujet en 2000 en publiant un ouvrage sur le roman policier en Amérique française. Le livre dresse un historique du genre, en fait la typologie et confond ceux qui croyaient le genre policier absent au Québec. En effet, on trouve chez nous de plus en plus de romans policiers de qualité et leur popularité ne se dément pas depuis une bonne décennie. Cet engouement serait même généralisé. Ainsi, le Nouvel Observateur réalisait dernièrement un dossier sur le polar et sa popularité grandissante. Genre éminemment urbain, le polar est né avec la ville industrielle. Il fournit de nombreuses représentations de l’espace urbain que des géographes du monde entier, tels des détectives, ont exploré : Cette citation rend en effet bien compte de l’esprit qui pouvait animer celui des géographes intéressés au roman policier. Le détective y est vu comme une sorte de flâneur baudelairien, fin analyste de la réalité sociale et fin descripteur du paysage. C’est le cas de tout auteur en général aux yeux des premiers géographes dits humanistes qui se sont penchés sur la littérature. Douglas McManis (1978) considère tout auteur comme une source de données complémentaires permettant de confirmer ou d’infirmer des faits …

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