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Ce dossier de la revue Espaces et Sociétés rassemble neuf articles sur l’observation comme méthode de recherche, précédés d’une introduction de Florence Bouillon et Jérôme Monnet. Les auteurs proposent une réflexion sur cette technique d’enquête. Ils abordent plusieurs angles de l’observation, décrivent des outils pour la mener à bien et illustrent leurs propos par des études de cas provenant de leurs propres recherches de terrain ou de celles d’autres chercheurs. Il convient de relever que les auteurs diffèrent par leur appartenance disciplinaire (anthropologie, ethnologie, sociologie, géographie, architecture ou travail social).

Plus précisément, les chercheurs décrivent quel type d’observation ils ont choisi pour leur recherche et les raisons de ce choix. Ils optent notamment pour l’observation directe (participante, en immersion totale ou non participante) ou indirecte. Cette dernière est illustrée, entre autres, par Chanteloup et coll. pour le relevé GPS de tracés de skieurs de randonnée et de chamois dans une réserve naturelle. Notons que certains chercheurs emploient, au sein d’un même terrain d’étude, plusieurs variations de cette technique. En fonction de la technique d’enquête, ils expliquent les outils utilisés. Là encore, les chercheurs motivent leur choix de la photographie, de l’esquisse, de la prise de note sur le terrain, du journal de bord après terrain ou de l’enregistrement sonore ou vidéo ; et ils précisent si ces outils sont employés seuls ou en combinaison avec les autres. D’ailleurs, tout en soulignant les atouts de l’observation, les auteurs rappellent que cette technique est utilisée de pair ou en complément avec d’autres méthodes de recherche. À ce propos, ils exposent autant les avantages que les biais, les risques et les limites de l’observation en général ou de ses déclinaisons.

Généralement, l’observation est une méthode utilisée par le chercheur lui-même. Toutefois, Claire Lévy-Vroelant expose des travaux réalisés par ses étudiants dans les bains-douches parisiens, dans le cadre d’un de ses cours. La chercheuse se questionne d’ailleurs sur la pertinence de la sous-traitance de données de l’observation. À ceci s’ajoute que, contrairement à des méthodes de recherche telles que les statistiques ou l’étude d’archives, les auteurs rappellent que l’observation sollicite les cinq sens, ainsi que les perceptions des émotions de la population étudiée et du chercheur lui-même. Par cette spécificité, cette technique permet aux chercheurs qui la pratiquent d’avoir une connaissance incarnée du terrain étudié. Les textes de Claire Brisson sur les spatialités du corps sur les plages de Rio ou celui de Christophe Serra Mallol sur l’espace alimentaire polynésien le montrent bien. Il est de surcroît intéressant de souligner l’apport du texte de Marion Ink, une chercheuse ayant une déficience visuelle. Cette chercheuse développe des stratégies pour donner un sens aux informations incomplètes qu’elle perçoit visuellement. Son observation n’est pas brouillée par des détails qui parasiteraient la collecte de données.

La force de ce dossier réside dans le double regard critique dont font preuve les auteurs vis-à-vis de leur recherche, d’une part, et de la méthode d’observation en tant que telle, d’autre part. Cette prise de distance a amené certains d’entre eux à modifier leur méthode en cours de recherche. Tel est le cas de Tristana Pimor qui est passée de l’observation directe distante à l’observation impliquée, intégrée dans un groupe de squatteurs qu’elle suivait. Grâce à cette réorientation méthodologique, elle a réalisé qu’en raison de ses connaissances préalables et de ses lectures, son regard était biaisé par des idées préconçues sur le groupe, provenant tant de son vécu que de la littérature qu’elle avait assimilée. D’après elle, une connaissance de l’intérieur était le seul moyen pour casser les stéréotypes et gagner la confiance du groupe étudié. D’autres notent aussi qu’une position distante ou extérieure donne une illusion de non-intervention sur le groupe étudié. Plutôt que de rester en retrait, plus ou moins dissimulés derrière un appareil photographique ou un carnet de bord, ils ont choisi également d’entrer en relation avec les groupes étudiés. Par exemple, Christian Guinchard a choisi de tirer des bénéfices des réactions provoquées par sa présence, en conduisant des entretiens spontanés avec les passants et les riverains, pendant qu’il prenait en photo des espaces urbains sales et disqualifiés.

En somme, si ce dossier ne constitue ni un mode d’emploi ni un exposé de toutes les facettes de la méthode de recherche par l’observation, les textes présentés en donnent un large éventail. De plus, l’élaboration détaillée et réfléchie des outils de collecte des données ainsi que l’analyse critique des résultats suffisent pour dissiper les doutes quant à sa rigueur et à sa scientificité.