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Avec un tel titre, cet ouvrage ne gagnerait pas un prix en matière de marketing s’il devait en exister un. Toutefois, la référence au « local » dans le sous-titre, contribue à fournir une certaine idée du contenu. La quatrième de couverture offre, au lecteur l’ayant en main en librairie, de précieuses informations. On y lit : « Être du coin, venir d’ici, être du cru, être un enfant du pays ». Cette dernière image me rappelle mon enfance, quand nous allions à Saint-David-de-Yamaska à la maison paternelle où est né mon grand-père. La vieille tante qui nous accueillait disait toujours : « Bienvenue dans le pays ! » Voilà qui peut rassurer le lecteur québécois qui, en effet, s’y retrouvera.

Cet ouvrage auquel ont participé onze auteurs, dont neuf sont des doctorants (six en sociologie et un en géographie), comprend sept chapitres se rapportant en majorité au monde rural français. Sans surprise, on nous apprend qu’il a pour origine un colloque tenu à Poitiers, en mai 2013, et placé sous l’égide du Groupe de recherches sociologiques sur les sociétés contemporaines (GRESCO). Des quatre responsables de l’ouvrage, seule Aunis possède un doctorat et était post-doctorante à l’Université Laval au moment de la publication.

Les concepts d’autochtonie et de capital d’autochtonie (ce dernier étant ici abondamment utilisé) ne feront pas florès au Québec. Dans l’introduction générale, on signale leur très faible utilisation en géographie. J’ajouterais : pas du tout en économie. En fait, je n’ai jamais rencontré ces concepts durant les quelque 40 ans de lecture en sciences humaines. Au chapitre IV on lit que « l’inscription locale des trajectoires professionnelles est au coeur des travaux fondateurs du concept de capital d’autochtonie ». Son auteur poursuit en précisant que ce concept « constitue un principe de différentiation interne aux classes populaires, accordant des chances inégales d’accès à certains statuts sociaux (comme se faire élire à un conseil municipal) ». Pour ce qui est d’« être du coin », l’auteur fait allusion à l’origine sociale et familiale d’un individu. Pour sa part, l’auteur du dernier chapitre ne manque pas d’ajouter que le capital d’autochtonie « apparaît comme une ressource stratégique mobilisée par les acteurs dans l’accès au pouvoir local et à la gestion des affaires communales ». On aura compris que ce vocable « savant » ne se rapporte à rien d’autre que la réputation ou la crédibilité dont jouissent ou ne jouissent pas des citoyens d’une petite localité où tout le monde se connaît.

Il est donc question, dans cet ouvrage, de problématiques familières des deux côtés de l’Atlantique : entre autres, la production de spécialités dites de terroir, la mise en place d’éoliennes, l’agriculture biologique, l’apport positif ou négatif des néoruraux. Les chapitres qui s’y réfèrent ont bénéficié de mon attention. Inutile d’insister donc sur le chapitre I traitant de la pratique des disciplines du hip-hop dans des quartiers populaires qui se comparent mal au quartier Centre-Sud de Montréal ou au quartier Saint-Roch de Québec. Il en va autrement avec le chapitre où l’auteur rapporte les propos de néoruraux ayant du mal à trouver leur place parmi les « gens du coin ». On comprendra les réticences que ces nouveaux arrivants suscitent en s’identifiant comme des opposants au modèle productiviste en vigueur. Leur statut d’« étranger » leur colle à la peau. Le chapitre V m’a particulièrement intéressé pour les souvenirs qu’il m’a rappelés lorsque je m’intéressais à ce qu’on désignait dans les années 1980 sous l’étiquette d’« économie alternative » (Lévesque et al., 1989). À la même époque, en France, on parlait de « vivre et travailler autrement ». Ce noble idéal n’est pas disparu et prend la forme aujourd’hui d’un militantisme anticroissance. Et on retrouve des néoruraux en quête d’un mode de vie « plus simple » ou plus « cool », plus proche de la nature. On s’étonne de voir une allusion au Québec sans, hélas, aucun exemple ou une quelconque forme de justification. Au lecteur québécois de faire lui-même, s’il y a lieu, les liens possibles, car n’avons-nous pas connu à la fin des années 1960 notre mouvement de retour à la terre ? Il doit bien en rester quelque chose. L’auteur, ici, ambitionne de montrer comment l’engagement local peut prendre la forme d’une ressource en considérant la reconversion professionnelle (passer de comptable à producteur maraîcher) comme étant l’approfondissement d’une posture militante.

Avec le chapitre VI, on reconnaît une problématique abondamment abordée par la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois. [1] « C’est local, c’est ce qui nous intéresse », peut-on lire dans le très long titre de ce chapitre. La référence aux « circuits-courts » à travers les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne permet le rapprochement avec notre Union paysanne, qui se veut le contrepoids de la toute puissante Union des producteurs agricoles (UPA). Encore une fois, il est question de ceux qui effectuent leur « retour à la terre ». La vente au marché local, soit l’équivalent de ce qu’on désigne en anglais comme étant des farmers markets, selon l’auteur, s’appuie « sur les ressorts d’un capital d’autochtonie, soit l’ensemble des ressources que procure l’appartenance à des réseaux de relations localisées ».

Enfin, avec le dernier chapitre, l’auteur offre l’exemple d’un village des Alpes de Haute-Provence dont la population est passée de 420 habitants en 1856 à 120 en 1954 pour remonter à un peu plus de 500 de nos jours. On comprendra que, pour être un élu local dans ce village (comme ailleurs), il importe de développer son capital d’autochtonie. Or, l’arrivée en proportion importante de néoruraux compromet pour les natifs la valeur de ce fameux capital et peut jouer contre eux dans un conflit entre partisans et opposants d’implantation d’éoliennes. On ne s’étonnera pas du fait que les allochtones venus s’établir en pays rural affichent leur opposition à tout projet susceptible de modifier le paysage bucolique qui les a attirés, alors que les natifs font preuve d’une propension favorable à toute initiative battant le pavillon du développement économique.

Les auteurs doctorants de cet ouvrage, à la faveur de leur méthode faisant appel à des entretiens avec des acteurs locaux, auraient pu mettre davantage en relief les difficultés du « vivre ensemble » entre les natifs et les néoruraux. Ces derniers, on le sait, au Québec comme en France, s’implantent avec leur vision de ce qu’est ou devrait être la campagne. Cela les conduit à vouloir trop souvent le beurre et l’argent du beurre. Oui, malgré une rhétorique un peu lourde, cet ouvrage, tout en se rapportant à des contextes historiques et sociaux différents, montre bien que les mondes ruraux français et québécois recèlent de nombreuses similitudes.