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Pour qui s’intéresse à la recherche sur la diaspora dans les sciences sociales françaises voire francophones, la parution du livre de Chivallon passe certainement pour un événement. Alors que la recherche sur la diaspora tend tranquillement vers son institutionnalisation dans le champ académique français avec le lancement de groupes de recherches et d’au moins une revue lui ayant été exclusivement consacré – Diasporas : histoire et société – au début des années 2000, les chercheurs de l’Hexagone qui en sont spécialistes tardent encore à l’appliquer aux peuples noirs hors d’Afrique. Soulignons que les facteurs explicatifs de cette attitude sont abordés dans notre article, « De la disapora noire : enseignements du contexte français », paru dans la Revue Européenne des Migrations Internationales (vol. 22, no 1, 2006). À la différence de celle qui s’est développée dans le monde anglo-saxon, cette littérature se caractérise encore par son utilisation parcimonieuse du concept de diaspora, qu’elle ne considère pertinente que pour analyser l’expérience de certains groupes démo-ethniques dont la dispersion est qualifiée d’archétypale : les Grecs, les Juifs, les Arméniens et, dans une moindre mesure, les Chinois.
Dans ce livre, Chivallon déroule un projet novateur dans les sciences sociales françaises. Elle se fixe pour objectif de démontrer que la notion de diaspora est apte à saisir la multiplicité « des conceptions nourries sur le monde noir […] et les manifestations empiriques dans lesquelles elles puisent leurs logiques » (p. 34). Pour ce faire, l’auteur opte pour une approche exigeante. Comparative avant tout, celle-ci est à la croisée de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociologie, de la géographie et parfois de la linguistique. Bien que son auteur soit géographe de formation, ce livre contient en effet des pages remarquables sur l’historiographie des mondes noirs hors d’Afrique et en particulier sur des sujets tels que la traite atlantique et l’esclavage.
Aussi, l’approche s’adosse-t-elle à la fois sur les théories et les expériences sociales des populations noires telles qu’elles ont été directement recueillies par l’auteur au terme de séjours de recherche dans les Antilles et parmi les populations antillaises vivant en Grande-Bretagne ou établies par d’autres spécialistes des Amériques noires. De l’ouvrage se dégage un riche panorama des théories sociologiques et anthropologiques sur la diaspora en général ou plus spécifiquement sur la diaspora noire. Cette dernière notion fait d’ailleurs l’objet d’un travail épistémologique et sémantique dans ce livre. Chivallon en suit les traces depuis ses origines jusqu’à ses utilisations récentes pour en établir les différents entendements, qu’elle classe dans une typologie. Ainsi identifie-t-elle trois conceptions de la diaspora noire. La première, qualifiée de classique, affirme notamment la continuité de l’héritage culturel africain en terre américaine. La deuxième, dite hybride, conteste l’idée de continuité ou de reproduction de la communauté de culture, l’allusion à des essences pour soutenir celle de la recomposition d’identités à partir d’éléments culturels de la terre d’arrivée et d’autres qui seraient le résultat de facteurs naturels, des interactions et de l’ingéniosité humaine en terre de départ. Enfin la troisième, que l’auteur nomme non-diaspora, rend compte d’une aliénation de ces populations qui peinent à s’inventer sur leur nouvelle terre.
Face à ces différentes conceptions qui semblent s’opposer mutuellement, Chivallon considère utile, au plan heuristique, de ne pas souscrire entièrement à l’une d’entre elles à l’exclusion des autres, si tant est qu’il importe de saisir l’univers des Amériques noires dans toute sa diversité. Pour elle, chacune de ces conceptions renferme en effet une part qui aide à saisir les expériences, les conditions et les pratiques sociales ou idéologiques mêmes des peuples noirs des Amériques.