Mettre en cohérence les 23 contributions de 24 auteurs n’est pas chose aisée et il importe au premier chef de féliciter Frédéric Lasserre qui a su maîtriser un thème d’actualité aussi lourd de controverses et de conflits que de choix difficiles tant au plan des techniques que des politiques. La tâche de l’éditeur s’est avérée d’autant plus ardue, qu’en la matière, de multiples questions se superposent et se recoupent, de sorte qu’il est difficile de proposer une mise en ordre rigoureuse. Celle qui a été retenue répartit un riche ensemble de données entre cinq entrées, savoir : 1) Que sont les projets de transferts massifs ; 2) L’eau des villes ; 3) L’eau pour le développement ; 4) Les transferts massifs, objets de développement ou instrument géopolitique ; 5) Les transferts massifs au coeur des controverses sociales et internationales. Les interférences entre ces thèmes sont évidentes, ce qui explique la partition aux fins de simplification de certaines études régionales entre plusieurs items. Citons à titre d’exemple la question des eaux du Nil qui est traitée dans la quatrième (extension de l’espace cultivé) et la cinquième (conflits internationaux) partie de l’ouvrage. Cette dissociation facilite une lecture critique et permet d’établir de solides points de comparaison entre divers espaces hydrauliques concernés par un même thème. Au niveau de lecture le plus simple, l’ouvrage peut se comprendre comme une vaste enquête couvrant les modalités et les problèmes de transfert dans les contextes socioéconomiques et spatiaux les plus divers, qu’il s’agisse de régions subarctiques comme le Nord canadien ou de régions arides comme le désert de Libye, de pays riches comme ceux de l’Amérique du Nord ou de pays pauvres comme le Sénégal. Si certaines références semblent un peu trop classiques (d’un point de vue français s’entend), comme l’approvisionnement en eau de la ville de Paris, d’autres offrent de solides mises au point concernant entre autres les républiques de l’Asie centrale ex-soviétique et le Xinjiang. D’autres apportent des données précieuses sur des espaces peu ou mal référencés comme l’Iran ou les péninsules de l’Asie du Sud-Est. Toutefois, le coeur de la recherche correspond au statut des eaux canadiennes et aux possibilités de transferts en direction des États-Unis. Quatre grands chapitres sont consacrés à cette question sensible, abordée de façon volontariste par l’un des tenants de ce système GRAND qui permettrait, au prix de travaux titanesques, de transférer les eaux douces stockées après barrage dans la baie James, vers l’Ouest canadien via le Lac Supérieur et vers les bassins de l’Ohio et du Mississippi via le Lac Huron. Cette option est fortement contestée dans les trois autres contributions qui, à travers diverses approches, dénoncent cette priorité de l’offre et contestent la relance des projets les plus discutables, à commencer par la culture du maïs et du coton dans des zones désertiques, au prix d’une déstabilisation dramatique des hydrosystèmes modifiés. Quelques idées-forces structurent l’ensemble des contributions et confèrent à l’ouvrage une incontestable unité. La plus immédiate concerne le statut de l’eau considérée par les uns comme une valeur patrimoniale alors que pour d’autres elle n’est qu’une marchandise négociable. Rapportées au Canada, ces positions antagonistes impliquent soit l’incessibilité de la ressource, soit sa valorisation par l’exportation. D’aucuns voient dans cette seconde acception une source de profit pour le Canada et surtout pour le Québec, mais les analystes font remarquer que dans le cadre de l’ALENA le principal demandeur, en l’occurrence les États-Unis, pourrait user de la ressource commune sans dédommager son détenteur, l’eau étant une richesse commune aux deux parties. La mise en évidence de cette option explique le fait qu’à l’exception du Nouveau-Brunswick tous les territoires …
LASSERRE, Frédéric (dir.) (2005) Transferts massifs d’eau : outils de développement ou instruments de pouvoir ? Québec, Presses de l’Université du Québec, 576 p. (ISBN 2-7605-1379-3)[Notice]
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Jacques Bethemont
Université Jean Monnet