Comptes rendus bibliographiques

GOTTMANN, Jean (2005) La politique des États et leur géographie. Paris, CTHS, 261 p. (ISBN 978-2-7355-0624-8)[Notice]

  • Jean-Paul Hubert

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  • Jean-Paul Hubert
    Institut national de recherches en transports et leur sécurité

La renommée internationale de Jean Gottmann (1915-1994) est associée à Megalopolis (1961). Ce livre magistral explicita pour la première fois la spécificité des formes postindustrielles d’organisation régionale et d’urbanisation sur la côte nord-est des États-Unis. La méthode d’analyse de l’organisation de l’espace que J. Gottmann appliqua si remarquablement était issue de l’école de géographie régionale française, mais profondément renouvelée pour saisir les dynamiques nouvelles à l’oeuvre au XXe siècle, tout spécialement dans le Nouveau Monde. Cette conception très originale fut élaborée dès la fin des années 1940 et développée dans un autre livre, la Politique des États et leur géographie, paru en 1952 ; c’est dire l’importance de sa réédition qui est une heureuse suite d’un colloque de la Société de Géographie et de la Bibliothèque nationale de France consacré à l’oeuvre de J. Gottmann et à son actualité, onze ans après sa mort . Elle est enrichie d’une éclairante préface de Luca Muscará, également biographe de J. Gottmann et organisateur du colloque précité, et de la bibliographie complète de ses très nombreux travaux parus entre 1933 et 1994. Actuel, ce texte le reste étonnamment. Son auteur a inventé quantité de concepts qui sont aujourd’hui la base de l’analyse géographique, politique ou régionale : les systèmes de relations sont au coeur de la réflexion ; l’opposition entre cloisonnement et circulation développée tout au long de l’ouvrage préfigure la dialectique entre réseaux et territoires devenue classique ; J. Gottmann envisage toujours une circulation potentiellement ouverte donc a priori mondialisée, ce qui met l’accent sur le rôle des services, de la finance, des innovations et donne au contrôle des carrefours et des mobilités une importance politique fondamentale. S’il n’était qu’un texte théorique visionnaire, la Politique des États et leur géographie pourrait n’avoir d’intérêt que pour l’historien. Il n’en est rien. L’ouvrage est aussi une exceptionnelle contribution à la pensée géographique et peut éclairer bien des aspects de la complexité du monde actuel. Il semble pourtant partir d’une question bien démodée : celle du déterminisme géographique (c’est-à-dire : du milieu naturel), mais la question est transformée et devient celle d’un autodéterminisme historique, ou auto-organisation, des territoires. Pour J. Gottmann en effet, la capacité de l’action politique à déterminer l’espace géographique et à s’inscrire dans l’histoire dépend de son habileté à le comprendre, à s’appuyer sur lui, soit d’une certaine façon, à être déterminée par lui. Cette question-là d’un autodéterminisme ne se balaye donc pas du revers de la main, et la notion de développement durable le rappelle cruellement aujourd’hui. La problématique du déterminisme méritait donc d’être vigoureusement bousculée. Les théoriciens du XIXe siècle dont les doctrines sont analysées au chapitre deux – et bien d’autres après malheureusement – ont posé la question en termes de relations verticales figées entre phénomènes naturels et humains. J. Gottmann la reconsidère à même l’espace géographique : dans le jeu historique des positions des carrefours, des circulations et des cloisonnements associés à des iconographies, traits culturels et symboliques propres à une communauté. L’effet du renversement est considérable car il conduit, ni plus ni moins, à doter la géographie d’un objet théorisé. « La géographie est – pour J. Gottmann – née du besoin de jeter un pont entre les sciences de la nature et les sciences humaines ». Il n’y avait pas meilleure façon d’expliciter la nature de ce pont que de procéder ainsi. J. Gottmann nous explique ainsi que le cloisonnement du monde, présenté au premier chapitre, n’est pas un phénomène purement spirituel projeté sur la surface terrestre mais bien le résultat d’une interaction dynamique et spatialisée entre circulations, facteurs de changement, et …

Parties annexes